JEU des 5 questions

Cinq questions à Étienne Lepage, dramaturge

© Lucie Desrochers

De Trop humain en 2021, pièce portée par la Jeune troupe du Quat’Sous, on passe à Trop humains en 2024. Qu’est-ce qui a changé ?

J’ai écrit ! Au départ, j’avais regroupé plein de textes pour faire un atelier avec la Jeune troupe du Quat’Sous. Il y avait toutes sortes de choses. Des textes inédits, écrits ici et là, mais aussi des restes de d’autres projets. Ça couvrait plusieurs années, et à part que ça venait de moi, il n’y avait pas nécessairement une grande recherche d’unité. Quand l’idée de faire un projet à part entière est apparue, la question du propos global est devenue plus brûlante, et donc je me suis remis au boulot. La moitié des textes du spectacle n’étaient pas dans l’atelier.

Dans le processus, j’ai aussi changé de titre. C’est l’équipe du Quat’Sous et Catherine [Vidal] qui m’ont fait réaliser que c’était toujours le bon titre, et un « s » est apparu je sais même plus quand !

On peut certainement parler de grande complicité avec Catherine Vidal à la mise en scène. Comment cela se traduit-il dans le travail ?

Oui, il y a une grande complicité, mais étonnamment, ça ne passe pas beaucoup par la parole. On se parle des projets, bien sûr, et on essaie de s’expliquer respectivement ce qu’on pense, mais nos préoccupations, nos trajectoires et nos responsabilités sont tellement différentes que souvent, nos discussions sont plus des comptes-rendus d’où on en est individuellement. Puis, on se donne des moments précis pour regarder un enchaînement, et c’est à partir de ce qu’on voit concrètement qu’on repart chacun de notre bord pour continuer le travail. C’est donc moins un partage d’idées qu’une sorte de confiance que l’autre va s’occuper de ce qui le concerne avec intelligence, sensibilité, et au final, un certain goût, qui, je pense, est ce qu’on partage vraiment au fond.

On retrouve aussi quatre membres de la Jeune troupe qui était de la partie en 2021. Garde-t-ils et elles les mêmes rôles et est-ce que ça facilite le travail ?

En grande partie, oui. On a essayé un peu de brasser les cartes, mais certaines rencontres entre des textes et des interprètes de la Jeune troupe étaient tellement fortes que ça devenait impossible de s’en passer. Cela dit, comme il s’agit d’un spectacle de sketchs, tout ce qui les lie (les sketchs) est complètement différent, et c’est donc un nouveau spectacle à performer pour eux.

Dans la description du spectacle, on parle d’humour. Est-ce qu’il prend une autre couleur cette fois, où il reste assez noir, voire cinglant ?

Haha, non! Le comique qui émane de mon écriture reste le même, d’abord parce que je n’essaie pas de faire rire. C’est une sorte de conséquence des autres objectifs que je poursuis. Je suis souvent le premier surpris à rire de ce que j’écris. En réalité, ce que je cherche, c’est à mettre en scène des élans d’intelligence qui se révèlent plein de maladresse, de complaisance ou de violence. Les couleurs qui changent, ce sont le territoires que j’explore. Par exemple, dans Rouge Gueule, c’était beaucoup les perversions sexuelles et violentes. Dans Trop humains, c’est des penchants plus quotidiens qui, s’ils n’étaient pas mis sous la loupe de la scène, passeraient inaperçus. On est dans l’exploration d’un humain plus ordinaire, mais aussi, plus subtil. On flirte avec des personnages qui, sans doute, ressemblent beaucoup au public.

Nous posons cette question à tout le monde en ce moment en raison de la crise de financement des arts vivants, comment cela vous affecte-t-il en tant que dramaturge ?

Le milieu des arts vivants au Québec est né de processus complexes, hasardeux, miraculeux même. Chaque petit morceau qui s’effrite prendra des efforts surhumains à réparer, et ce qui meurt en un jour mettra des années à revenir, si ça revient tout court. Et tout ça tandis que le monde coule en flammes. Ça suce. Mais l’art ne va pas sauver le monde. L’art fait vivre. Et donc, peu importe sous quelle forme et dans quelles conditions, j’essaie chaque jour de réaffirmer mon engagement envers lui. Continuons de créer, de chialer, de partager, de donner, d’essayer. Chaque minute passée avec l’art est une minute de gagnée.

Trop humains est présenté au Théâtre de Quat’Sous du 11 septembre au 5 octobre 2024.

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