Critiques

La démagogie des dragons : Quête inachevée

© Valérie Remise

Les Productions Yuzu (agrume originaire de l’est de l’Asie), compagnie artistique fondée en 2024 visant à promouvoir les artistes asiatiques, présente en ce moment sur la scène Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui sa toute première création. L’autrice, Tamara Nguyen et le metteur en scène Vincent Kim ainsi que leur alter ego incarné·es par les deux interprètes Claudia Chan Tak et Dominik Rustam, ont deux points en commun : n’avoir jamais mis les pieds au Vietnam et désirer en connaître un peu plus sur ce pays d’Asie du Sud-Est.

N’ayant comme bagage culturel qu’un goût prononcé pour les typiques phôs et bahn mis, les quatre artistes ont donc décidé de mettre le cap sur le nord du Vietnam, question de se connecter à une partie de leur identité. Les impressions et les anecdotes de ce voyage ont inspiré Tamara Nguyen pour accoucher d’une œuvre à mi-chemin entre le théâtre documentaire et la satire, mêlant fiction et faits réels.

La pièce débute alors que les deux protagonistes, étudiant·es au secondaire, se rencontrent lors d’un exposé en anglais de Tamara sur le pays de ses parents. Dans un vocabulaire anglophone approximatif, la jeune élève tente de décrire le Vietnam à l’aide d’une présentation visuelle truffée de clichés. L’exercice malhabile n’a d’effet que de faire rire Vincent, irritant Tamara et mettant ainsi un terme à une potentielle amitié entre les deux congénères.

Quinze ans plus tard, le hasard rapproche à nouveau le duo. Vincent tente de joindre les deux bouts en cumulant figurations et deuxièmes rôles au petit écran, tout en rêvant d’une carrière internationale. De son côté, Tamara est maintenant autrice. Elle vient d’obtenir une subvention pour écrire une pièce sur le pays de ses aïeux. De plus, elle est très présente sur TikTok en tant qu’aspirante influenceuse. Le jeune homme, baignant dans une américanité certaine, relève les contradictions de son interlocutrice, coincée entre une obsession pour les réseaux sociaux et une certaine introspection identitaire. Mais Tamara est déterminée et finit par convaincre Vincent de l’accompagner dans son périple, ce dernier voyant là une opportunité d’obtenir son premier grand rôle au théâtre.

© Valérie Remise

Connexion maladroite

Ce qui s’avérait au départ comme une expérience culturelle révélatrice devient malheureusement un enchaînement de péripéties plus ou moins pertinentes. On suit nos deux compères, des rues étroites et agitées d’Hanoï jusqu’à un hôtel de luxe de la Baie d’Halong à la recherche du véritable contact. Cependant, tout sonne faux chez Vincent et Tamara qui tentent gauchement de communiquer avec les autochtones; la barrière linguistique les forçant à s’exprimer dans un mélange d’anglais et de français, qui les confine dans leur statut de touristes.

Mais il et elle ne sont pas les seul·es à se sentir isolé·es; le public aussi a du mal à se connecter à ce récit qui, malgré ses bonnes intentions, ne réussit pas à passer la rampe. L’humour décalé et la naïveté des personnages ne suffisent pas à nous les rendre crédibles et encore moins à nous identifier un tant soit peu à eux. Leur quête reste dérisoire. Pourtant, l’aspect documentaire esquissé par des entretiens vidéo, dont l’un avec une immigrante vietnamienne de 70 ans promettait une réflexion plus approfondie sur la souffrance identitaire. Toutefois, ce segment noyé dans un flot de situations, de dialogues et de chorégraphies superficiels n’est que la pointe de l’iceberg qu’on aurait bien aimé voir immerger. C’eût été un devoir de mémoire que de souligner un tant soit peu la résilience extraordinaire de ce peuple qui a traversé tant de tragédies.

La démarche préconisée par l’équipe de création est certes légitime, mais en abordant la quête identitaire sur un ton hautement satirique et à vouloir prendre tant de recul, on finit par s’en éloigner. Cependant, comme il s’agit ici d’une première, que ce soit au niveau de la production que de la mise en scène, il sera intéressant de surveiller le cheminement de cette jeune compagnie.

© Valérie Remise

 La démagogie des dragons

Texte : Tamara Nguyen. Mise en scène : Vincent Kim. Assistance à la mise en scène : Ariane Roy. Scénographie : Maryanna Chan. Lumière : Leticia Hamaoui. Environnement sonore et musique : Guido Del Fabbro. Vidéo : Antonin Gougeon-Moisan. Costumes : Jessica Poirier-Chang et Claudelle Dextraze. Mouvement : Christbob Phu et Song Tran. Conseil artistique : Phan Hoi Do. Conseil vocal : Emilie Dionne. Prise de son : Thomas Sédillot. Régie générale : Ariane Roy. Avec : Claudia Chan Tak et Dominik Rustam. Une création de Productions Yuzu en codiffusion avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 11 octobre 2024.