JEU des 5 questions

Cinq questions à Fabien Fauteux, auteur et metteur en scène

© Marc-Antoine Zoueki

Le plus récent spectacle du Théâtre Tortue Berlue, Alix et le loup, décortique les clichés au sujet du loup dans le conte bien connu d’Ésope, L’enfant qui criait au loup. Les représentations ont lieu dans un autobus et s’adressent aux enfants de 4 à 8 ans.

Dans votre pièce, le loup de la « fable » ne fait plus peur. Selon cette approche intéressante, l’animal est donc un faux méchant, un gentil, quoi ?

Ni l’un ni l’autre ! Là où les personnages de la pièce (et le public, on le présume) s’attendent à trouver une bête diabolique, ils et elles trouvent plutôt un être qui leur ressemble, qui a lui aussi ses émotions, ses aspirations et ses contradictions. En écrivant la pièce, je souhaitais justement me défaire de ce manichéisme, très présent dans les contes classiques et l’art populaire, où l’on est soit « bon » soit « méchant ». J’ai été d’ailleurs touché d’apprendre, lors de mes recherches avant l’écriture, que cette vision traditionnelle du loup « méchant » a eu historiquement de lourdes conséquences : on a longtemps chassé le loup de façon impitoyable et systématique, si bien qu’il a disparu de régions entières. Il faut lire les récits de chasses qui étaient publiés dans les journaux au Québec au début du 20e siècle, c’est surréel ! On jurerait qu’on lit le récit d’une chasse au Windigo. Pourtant, le loup est un animal fascinant, qui ressemble à l’humain à plusieurs points de vue, et qui ne mérite certainement pas un tel opprobre.

Autre étonnement, le texte de présentation parle du fait que la ou le marionnettiste devient aussi un personnage dans le spectacle ?

Je dirais même plus : c’est la protagoniste. Mais on ne le sait pas au début du spectacle. Plus la pièce avance, plus on se rend compte que la fable est un prétexte pour interroger le rapport de l’artiste à l’histoire qu’il ou elle construit, puisque cet artiste perd un peu le contrôle de ce qu’il ou elle souhaitait raconter au début, pour se laisser entraîner sur un chemin étonnant. J’adore qu’au théâtre on puisse à la fois raconter une histoire et explorer les mécanismes de la représentation elle-même, de façon complice avec le public, c’est ce qui rend cet art unique selon moi. C’est d’autant plus intéressant lorsqu’on vise un jeune public, qui a l’habitude de se regrouper pour se faire adresser la parole directement (par un conteur, une enseignante, etc.); on détourne ce rapport naturel pour surprendre et mettre en lumière que l’adulte est aussi un être imparfait, qui cherche des réponses à des questions impossibles.

© Marc-Antoine Zoueki

L’autobus est votre marque de commerce. En quoi cet espace confiné restreint et/ou accroît les possibilités créatrices ?

Je dirais que ce sont les restrictions elles-mêmes qui accroissent les possibilités créatrices. Je regarde ce que l’on fait dans l’autobus aujourd’hui et je me dis que je ne l’aurais jamais imaginé lorsque j’y ai monté mon premier spectacle, il y a 6 ans. Avec le temps et la réflexion, on parvient toujours à transformer une limite en opportunité, et c’est l’un des principaux plaisirs que j’ai comme créateur. Par exemple, dans ce spectacle, on fait bouger des morceaux de décor avec des bras télescopiques contrôlés électroniquement; c’est un procédé qui n’est possible que parce que nous travaillons à petite échelle, puisque dans un plus grand théâtre, un tel mécanisme aurait eu un coût prohibitif. Ce qui est d’autant plus chouette, c’est que notre lieu permet de déjouer les attentes du public, qui ne pense pas de prime abord qu’une si petite scène puisse cacher de telles trouvailles. L’épithète qui revient le plus souvent lorsqu’on interroge le public à la suite d’une représentation, c’est « magique ». Pourtant, on ne réinvente pas la roue ! On est simplement privilégié d’avoir accès à notre propre lieu de création avec lequel on peut évoluer.

Tortue Berlue aura bientôt 10 ans, que dire du chemin parcouru, au propre comme au figuré ?

En examinant simplement les chiffres, c’est vertigineux. On offre aujourd’hui environ 700 représentations par année (450 pour le seul autobus) devant plus ou moins 35 000 enfants, seulement au Québec. La compagnie est gérée par quatre employé·es permanent·es et collabore avec de 20 à 30 artistes, selon la période. Nous avons eu la chance de recevoir en 2020 une subvention en immobilisations, au fédéral et au provincial, qui nous a permis d’acheter et aménager un tout nouvel autobus-théâtre, qui a remplacé notre premier véhicule tout rouillé; une telle subvention est assez inédite pour une si jeune compagnie. Loin de nous conforter, cette évolution nous met au défi, comme artistes, de nous montrer à la hauteur de cette attention. C’est pourquoi, dans les dernières années, nous avons mis beaucoup d’emphase sur le travail de recherche, les laboratoires de création, afin d’approfondir notre rapport à l’écriture, à la marionnette, à l’espace. Alix est le loup est le spectacle qui a eu la plus longue gestation dans notre histoire – presque 2 ans et demi – et nous en sommes extrêmement fier·ères.

Sans avoir la berlue on peut dire que les arts vivants sont en crise au Québec, est-ce que la situation décriée par plusieurs vous affecte ou vous préoccupe ?

J’ai un rapport trouble à cette question. D’un côté, oui nous sommes affectés : nous venons justement d’essuyer un refus de subvention qui nous oblige à supprimer un poste essentiel et à revoir nos plans de production/diffusion. Nous nous inquiétons, comme tout le monde, pour l’avenir de notre organisme et de notre milieu. D’un autre côté – et c’est très personnel, je ne parle pas au nom de la compagnie ici – j’ai un gros malaise à revendiquer plus de ressources à un moment où l’on voit tant de besoins en éducation, en santé, en accès au logement, en adaptation aux changements climatiques qui ne sont pas financés suffisamment. Il faudrait peut-être sortir de ce paradigme qui place en opposition les différents secteurs de la société demandant du financement. Y a-t-il des stratégies qui feraient se mailler plus étroitement les artistes et leurs concitoyens ? Faire en sorte que l’investissement dans un secteur profite à tous les secteurs, par effet domino ? Existe-t-il d’autres modèles de développement culturel qui nous fassent sortir de cette logique d’affrontement, qui placent le milieu artistique d’un côté, le gouvernement de l’autre, avec la société prise au centre ?

Alix et le loup est présentée les 28 et 29 septembre ainsi que les 12, 13, 19 et 20 octobre dans un autobus un peu partout à Montréal.

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