Opinion

Lettre au Ministre de la culture

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Les réflexions exprimées dans ce texte n’engagent que son auteur ou son autrice et ne reflètent pas nécessairement les positions de JEU.

Les cosignataires du Manifeste du risque total publié en ces pages, Sébastien Dodge et Jean-François Casabonne, ont aussi fait parvenir au ministre de la Culture une lettre contenant des propositions concrètes en appui aux arts vivants ainsi qu’à ceux et celles qui les pratiquent.

Montréal, juin 2024

Monsieur le ministre de la Culture,

Vous avez eu la chance d’être le témoin privilégié d’un mouvement sans précédent qui a vu les artistes de toutes les disciplines des arts vivants se réunir ce printemps afin d’exiger qu’on reconnaisse la précarité de leur situation et l’importance de leur rôle au sein de notre société. Vous avez pu entendre les témoignages de nombreux d’artistes pratiquant leur art et vivant dans l’indigence. Vous avez pu sentir la détresse d’artistes portant à bout de bras leurs œuvres, contribuant, en silence, au gigantesque corpus de notre culture nationale et vivant péniblement à la petite semaine. Vous avez pu découvrir que plusieurs d’entre nous, non seulement travaillent gratuitement, mais paient de leur poche pour performer sur les scènes du Québec. Vous savez les enjeux de notre milieu. Vous connaissez la situation financière ridicule de notre Conseil des arts et des lettres. Vous comprenez que les fonds alloués à la culture sont insuffisants. Et pourtant, nous ne vous écrivons pas aujourd’hui afin de vous demander de débloquer de l’argent frais pour les arts vivants.

Ce grand mouvement des artistes de toutes les disciplines, auquel vous avez assisté, a créé beaucoup d’espoir, d’horizon et une volonté de trouver de nouvelles avenues. Une idée est apparue d’abord un peu floue puis de plus en plus claire. Nous vous écrivons aujourd’hui afin de vous partager ce projet qui, nous le croyons, pourrait trouver en vous un allié. Plus qu’un allié, nous sommes convaincus que vous seriez l’acteur clé de son incarnation, de sa réalisation. Ce projet pourrait être un apport majeur pour la société québécoise.

Il s’agirait de se doter, en tant que nation, d’une déclaration qui mettrait la culture au cœur de notre vie commune, du vivre ensemble. Une affirmation sans équivoque de notre identité culturelle francophone qui témoignerait de notre tissu métissé et qui serait comme un phare, comme un legs pour les générations futures. Cette déclaration pourrait être le socle de notre volonté de faire vivre et rayonner nos arts et nos artistes dans un monde où la découvrabilité des productions culturelles nationales est de plus en plus menacée par les géants du divertissement. Il s’agirait de voter une déclaration décrétant la culture comme étant la colonne vertébrale de notre nation québécoise.

Grâce à cette déclaration, les budgets et les lois québécoises auraient une pierre d’assise pour trouver un sens, une ligne directrice qui ne laisserait plus jamais les artistes, les artisans en marge de la société. Et qui permettrait à cette même société de grandir fière de son appartenance culturelle.

Seriez-vous prêt à entériner cette déclaration que nous vous proposons aujourd’hui ? À insister auprès des ministères concernés afin qu’ils l’intègrent dans leur vision budgétaire comme un gage de pérennité pour notre culture. À risquer totalement de la proposer de façon transpartisane pour qu’elle puisse être adoptée à l’Assemblée nationale et ainsi devenir, tous partis confondus, le tronc commun de notre vivre-ensemble ?

Nous vous remercions d’avoir pris le temps de nous lire et nous espérons pouvoir trouver en vous un allié indéfectible de la culture.

Jean-François Casabonne, comédien
Sébastien Dodge, comédien
Anne-Marie Levasseur, comédienne
David Lavoie, gestionnaire culturel

Déclaration

Nous, gens du Québec,

Traversés par un fleuve tumultueux de désir de vivre, agencement de toutes les eaux, où coulent et couleront encore tant de siècles métissés d’avenir,

Convaincus qu’ici, territoire de liberté, tous et toutes ont droit d’être, toutes et tous, en terre d’ici, expriment farouchement cette liberté, particulièrement à travers le sublime truchement de la langue française,

Souhaitons décréter hautement que notre culture, héritage de tant de métissage, soit considérée comme l’ultime levier de notre existence, comme le point d’ancrage de ce que nous sommes collectivement et soit portée au centre de la vie citoyenne.

Nous, gens du Québec, sommes un grand peuple artisan de vie et porterons fièrement et à travers le temps cette culture qui est la nôtre.