Critiques

Sakura – After Chekhov : De la Volga au Saint-Laurent

© Andrée Lanthier

Le Centaur commence sa saison en actualisant un classique de Tchekhov, La Cerisaie, sur ses planches. Ancré dans un Canada moderne et des enjeux actuels, le pari est grand de transposer cette œuvre au contexte d’aujourd’hui.

Inspirée du chef-d’œuvre de l’auteur russe, la pièce raconte l’histoire d’une famille de la haute société forcée de vendre son domaine, ici une grande maison familiale, y compris un verger bien-aimé, pour rembourser les dettes accumulées pendant des années de mauvaise gestion et de décadence. Le nom de la pièce, Sakura, qui signifie « cerisiers en fleurs » en japonais, est un habile clin d’œil à la pièce originale.

C’est l’acteur et auteur Harry Standjofski qui adapte le texte pour le rendre canadien et actuel. On troque donc les titres de noblesse et les noms de domaines pour des personnages plus actuels; la jeune ingénue devient une femme dans la fleur de l’âge consciente des difficultés financières et environnementales modernes de sa famille dysfonctionnelle. La mère de famille devient une âme libre et libérée malgré les drames qui affligent sa vie. Le valet de chambre est maintenant un homme à tout faire alcoolique. Des rôles d’agent immobilier véreux, de militant environnemental et de fille aînée déchirée entre loyauté et réalisme prennent aussi une tangente encrée dans des dynamiques et problématiques d’aujourd’hui.

© Andrée Lanthier

On échange aussi la campagne russe contre une région québécoise, le long du fleuve Saint-Laurent. On y fait souvent référence pour nous faire comprendre l’ancrage d’ici de la pièce contemporaine. On oscille entre comédie, drame, urgence climatique et identitaire, le tout teinté d’une certaine nostalgie d’une époque révolue où les valeurs humaines prévalaient sur les intérêts financiers, s’il en fut une. La fluidité des échanges entre les personnages prend un peu de temps à se faire sentir. Elle est cependant beaucoup plus présente dans la deuxième partie de la pièce. La distribution est impressionnante, entre Deena Aziz qui joue très bien la matriarche un peu instable, Marcel Jeannin en agent immobilier comique, mais ambitieux et manipulateur et Paul Van Dyck en homme à tout faire excentrique qui apporte beaucoup d’humour à la pièce. Ravyn R. Bekh, Stefanie Buxton, Marc-Antoine Kelertas et Howard Rosenstein incarnent aussi chacun à leur façon les personnages modernes de ce classique de belle manière.

La jolie mise en scène d’Eda Holmes est efficace et agréable à l’œil. On image la grande maison familiale avec un ensemble de vieilles toiles projetées au mur. La scène est découpée en plusieurs étages pour offrir plus d’entrées et de sorties aux personnages. Ces derniers utilisent aussi la salle remplie de spectateurs et spectatrices pour apparaître ou sortir de scène. Les transitions de décors sont habilement faites par les personnages eux-mêmes, notamment à l’aide d’un rideau translucide sur lequel on projette des images traduisant les changements de saison et qu’on ouvre et ferme à des moments clés.

Cette pièce de presque trois heures avec entracte, une forme de plus en plus délaissée au profit de pièces plus courtes et sans pause aurait peut-être avantage à s’inspirer de cette tendance. La première partie est lente à démarrer et un peu trop contextuelle. Les personnages prennent du temps à se présenter les uns aux autres, certaines scènes sont longues inutilement. La deuxième partie, en revanche, est plus courte et plus dynamique. On y fait la fête et la tension dramatique est à son comble. La pièce se termine sur une fin littéralement inévitable, nous rappelant ce qui compte vraiment, et que la « maison » n’est pas que matérielle.

Le pari de transposer le classique russe à un contexte actuel est réussi, mais la forme pourrait être resserrée, le rendant encore plus moderne.

© Andrée Lanthier

Sakura – After Chekhov

Texte : Harry Standjofski. Mise en scène : Eda Holmes. Avec Deena Aziz, Ravyn R. Bekh, Stefanie Buxton, Marcel Jeannin, Marc-Antoine Kelertas, Howard Rosenstein et Paul Van Dyck. Décors et costumes : James Lavoie. Éclairages : Tim Rodrigues. Musique et conception sonore : Torquil Campbell. Conception vidéo : Charlotte Baker. Assistance à la mise en scène et régie : Trevor Barrette. Assistante à la metteure-en-scène : Cara Rebecca. Assistance aux éclairages : Aurora Torok. Assistance et régie de plateau : Kate Hagemeyer. Apprenti à la régie : Abi Sanie. Au Centaur Theatre jusqu’au 6 octobre 2024.