JEU des 5 questions

Cinq questions à Luce Pelletier, metteuse en scène

© Hugo B. Lefort

Pour les 40 ans de son Théâtre de l’Opsis, Luce Pelletier convie cinq metteurs et metteuses en scène (Sébastien David, Mélanie Demers, Martin Faucher, Olivier Morin et le duo Mélodie Noël-Rousseau et Geneviève Labelle) à travailler, tout comme elle, autour d’une scène de Macbeth.

40 ans d’Opsis, contre vents et marées bien souvent, et votre regard reste vif et stimulant. De quelle fontaine de jouvence tirez-vous les idées et la passion qui vous anime toujours ?

Je suis entrée à l’option théâtre de Lionel Groulx à l’âge de 17 ans, pleine de rêves et armée d’une passion sans faille pour le théâtre. Sans bien savoir ce que c’était, j’avoue. Aujourd’hui, j’ai encore l’impression d’avoir 17 ans quand je plonge dans un projet. Je réunis une équipe avec qui je travaille dans le plaisir. L’équipe et le plaisir sont deux notions très importantes. Ma famille théâtrale me nourrit et me stimule. Retrouver des interprètes et des créateurs et créatrices dans une salle de répétition me rend encore follement heureuse. Me perdre dans les textes, effectuer des recherches sans fin et mieux comprendre la société dans laquelle j’évolue est synonyme de délicieux moments. Mon travail de metteuse en scène est axé essentiellement sur le texte et le jeu des interprètes. Quand je lis des textes de théâtre, je les vois sur scène, je les entends, ça tournoie dans ma tête et je n’ai qu’une envie : raconter cette histoire sur scène. La rencontre avec le public est également très importante dans ma pratique et me donne cet élan qui me permet de me lever le matin et de déplacer des montagnes.

Cinquième reprise de ce concept de regroupement d’artistes autour d’une même scène, pourquoi Macbeth cette fois ?

J’ai longuement hésité pour le choix de la scène. Il fallait que ce soit un classique dont on connaît l’histoire pour mieux se l’approprier. Shakespeare est un auteur complexe et ses textes ont de multiples couches, ce qui est parfait pour ce genre de travail. On ne voit pas souvent Macbeth sur nos scènes, mais on connaît l’histoire de base. Les deux personnages, Macbeth et Lady Macbeth, sont riches et peuvent être interprétés de mille façons. Tout est ouvert. Tout est possible. C’est la beauté des textes classiques qui ont traversé le temps mais qui doivent s’adresser au public actuel. Bref, ce texte semblait répondre à tous les critères !

Le respect que dont vous êtes l’objet dans le milieu est constant aussi. Comment avez-vous fait le choix des metteurs et des metteuses en scène?

J’ai choisi des metteurs et des metteuses en scène qui avaient des esthétiques différentes. Des gens dont j’aime le travail, mais qui vont dans des chemins autres. Il faut dire que je suis une spectatrice très curieuse. Je vais beaucoup au théâtre et je m’abandonne dans plusieurs univers, même s’ils sont loin des miens. Faire de la mise en scène, c’est faire des choix. C’est décoder des textes afin de trouver notre façon de raconter l’histoire. Je leur ai donc laissé carte blanche quant à leur distribution, leur adaptation et leur traduction. Il fallait raconter l’histoire de Macbeth et de sa Lady à notre façon. L’exercice est périlleux, il ne faut pas vouloir épater la galerie, mais suivre son chemin. Chaque équipe a eu énormément de plaisir en répétition et chaque proposition diffère énormément l’une de l’autre. D’une façon toute naturelle, c’est génial ! Il n’y aura pas une meilleure proposition qu’une autre, juste des visions différentes faites par des gens avec des sensibilités différentes et le public pourra mieux comprendre le métier de metteur et de metteuse en scène. Sans que ce ne soit aucunement pédagogique. Juste une grande partie de plaisir. Un jeu. Jouer est un jeu disait Peter Brook.

Sans dévoiler de secrets, vers quoi vous dirigez-vous dans vos prochains projets ?

Je suis meilleure quand je suis dans l’action. Les temps de préparation me rendent folle si je ne sais pas où je vais. J’ai sur ma table plein de projets amorcés pendant la pandémie qui verront le jour au fil des prochaines années. Les mettre au monde prend plus de temps que je ne pensais. La pandémie a tout bousculé, le théâtre se fait autrement, les délais ne sont plus les mêmes. Je crains parfois de ne plus être à la page, mais en même temps, ça me garde jeune et ça me motive de m’adapter aux nouvelles pratiques. J’ai également un côté entrepreneurial très présent. Amorcer l’organisation d’un projet et trouver des solutions aux problèmes me donnent encore une bonne charge d’adrénaline.

Le sous financement des arts vivants est décrié par tous et toutes en ce moment. Comment cela vous affecte-t-il?

C’est terrible. Les compagnies de théâtre sortent d’un grand exercice de demande de subvention pluriannuelle. Un moment où l’on doit faire le bilan des dernières années et se projeter dans le futur. Un exercice extrêmement difficile qui s’est soldé par des réponses insatisfaisantes pour tout le monde. J’ai l’impression de tourner en rond, de toujours recommencer les mêmes étapes, me battre pour les mêmes choses et je ne vois pas le jour où ça ira mieux. Le manque de financement était criant il y a 30 ans et l’est encore aujourd’hui. Comment croire au futur ? J’enseigne à l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe. Je trouve ça émouvant tous et toutes ces jeunes qui rêvent de ce métier et qui redoublent d’efforts pour le pratiquer. Je voudrais tellement qu’ils et elles aient un meilleur parcours que celui que ma génération a eu. J’aimerais tellement que les artistes qui font du théâtre soient payé∙es à leur juste valeur et puissent en vivre dignement. Oui, j’ai encore énormément de plaisir à pratiquer mon métier et je m’organise pour que les moments de joie soient plus nombreux que les moments difficiles, mais le découragement n’est jamais bien loin. Travailler ne m’a jamais fait peur, mais il me semble que mon milieu est dû pour une aide substantielle qui va lui donner les ailes dont il a besoin pour aller de l’avant.

Le sang appelle le sang est présenté au Théâtre de Quat’Sous du 17 au 19 octobre 2024.

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