À 16 ans, on ne devrait pas apprendre à gérer la perte de son amie. Pourtant, l’autrice et metteure en scène Sarianne Cormier ainsi que d’autres ami·es de Julie Surprenant l’ont fait. Après la subite disparition de celle-ci le 15 novembre 1999, ces jeunes ont dû encaisser la nouvelle, puis l’absence définitive. Dans une volonté de rappeler qui était Julie et le manque qu’elle a laissé derrière elle, Sarianne plonge dans ses souvenirs, cruels comme heureux. Ses mots incarnés par la relève trouvent alors une résonnance sans pareil.
La nouvelle tombe, les hypothèses s’enchainent. Peu à peu, le futur sans Julie se profile. Les amies, Marilou, Karine, Jean-Philippe, Arianne, la sœur Andrée, l’amoureux Gabriel et le témoin Marco : on les rencontre alors que leur esprit est confus, leur tristesse immense et leur quotidien bouleversé.
La mise en situation dans le commissariat est directe et l’interprétation permet de rapidement discerner les caractères. Une petite réserve émerge face au jeu du personnage de Karine, qui semble flirter avec la parodie. Heureusement, ce ressort comique finit par s’assouplir et par trouver sa juste place. Le lien précis de ces jeunes avec Julie est dévoilé grâce à la thématique du coincement. Marilou est coincée dans ses réflexions, Arianne, dans sa volonté de – peut-être – aller de l’avant, Jean-Philippe dans ses espoirs, Karine, dans son quotidien miteux au Subway. L’émotion monte d’un cran quand on comprend qu’Andrée sera toujours dans l’ombre de sa sœur, que Gabriel sera à jamais aux prises avec sa culpabilité; pourquoi n’était-il pas avec elle ? Et Marco, le dernier à l’avoir vue vivante, devra endurer des souvenirs troublés par le pot.
Dès lors, les comédien·nes offrent une performance dichotomique maîtrisée. D’un côté ressort leur besoin d’extérioriser; de l’autre transparait leur souhait d’essayer de continuer. Pour eux, pour elles, pour Julie. Et sur ce point, le jeu est impeccable. Si le trait épais donné à certains personnages au début de l’œuvre est discutable, plus de doute possible après 20 minutes. Ces adolescent·es sont crédibles et représentent la juste part de contestation, de nonchalance et d’empathie à laquelle on peut s’attendre de jeunes des années 90. D’ailleurs, quelques références musicales et vestimentaires de cette période sont disséminées. En dépit du contexte, se dégage de ces clins d’œil une douce nostalgie, de celles qui nous dessinent un sourire discret sur les lèvres.
L’empreinte de l’absente
Et si, finalement, le personnage principal était Julie elle-même ? En dépit de son absence, elle reste éminemment présente. Du graffiti durant le prologue au bal de promo, comme le dit si bien Andrée : « T’es partout dans la maison, tu peux pas être nulle part ! ». Son aura habite effectivement chaque espace. Chez elle, là où Gabriel joue de la batterie, ou encore dans le salon d’Arianne. Chaque lieu est dévoilé par le coulissement d’une porte de garage. Système ingénieux et efficace pour des transitions fluides et de nouveau, un écho subtil à la période évoquée.
Julie est aussi personnifiée de manière plus concrète, par un fantôme qui évoque celui du film A Ghost Story. L’attitude sereine et réconfortante qui teinte alors la déambulation de cette apparition – endossée par chacun·e des interprètes – semble se muer en un au revoir.
Par son écriture drôle et poignante, Sarianne Cormier parvient à donner corps au mal-être, et à osciller entre enjeux individuels et collectifs. Le traitement secondaire des personnages adultes n’est pas sans rappeler le modus operandi de certaines séries pour adolescent·es dans lesquelles leur caractérisation est souvent grotesque et leur implication inexistante. Mais l’objectif étant de saisir l’ampleur du désastre à un moment si charnière de la vie, ses choix n’en sont que plus logiques.
La pièce se ferme sur une image poignante, à la fois émotive, puissante et pleine de promesses. Et si c’était cela finalement, le pouvoir du souvenir et de l’amitié ?
Texte et mise en scène : Sarianne Cormier. Assistance à la mise en scène : Jean Gaudreau. Interprètes : Xavier Bergeron (remplacé le soir de la première par Mattis Savard-Verhoeven), Pénélope Ducharme, Clémence Dufresne-Deslières, Lyna Khellef, Jules Ronfard, Madani Tall, Valérie Tellos. Décor : Patrice Charbonneau-Brunelle. Costumes : Gavrielle Tougas-Fréchette. Éclairages et intégration vidéo : Robin Kittel-Ouimet. Musique : Navet Confit. Directeur photo : François Messier-Rheault. Une production La Manufacture présentée à La Licorne jusqu’au 16 novembre 2024.
À 16 ans, on ne devrait pas apprendre à gérer la perte de son amie. Pourtant, l’autrice et metteure en scène Sarianne Cormier ainsi que d’autres ami·es de Julie Surprenant l’ont fait. Après la subite disparition de celle-ci le 15 novembre 1999, ces jeunes ont dû encaisser la nouvelle, puis l’absence définitive. Dans une volonté de rappeler qui était Julie et le manque qu’elle a laissé derrière elle, Sarianne plonge dans ses souvenirs, cruels comme heureux. Ses mots incarnés par la relève trouvent alors une résonnance sans pareil.
La nouvelle tombe, les hypothèses s’enchainent. Peu à peu, le futur sans Julie se profile. Les amies, Marilou, Karine, Jean-Philippe, Arianne, la sœur Andrée, l’amoureux Gabriel et le témoin Marco : on les rencontre alors que leur esprit est confus, leur tristesse immense et leur quotidien bouleversé.
La mise en situation dans le commissariat est directe et l’interprétation permet de rapidement discerner les caractères. Une petite réserve émerge face au jeu du personnage de Karine, qui semble flirter avec la parodie. Heureusement, ce ressort comique finit par s’assouplir et par trouver sa juste place. Le lien précis de ces jeunes avec Julie est dévoilé grâce à la thématique du coincement. Marilou est coincée dans ses réflexions, Arianne, dans sa volonté de – peut-être – aller de l’avant, Jean-Philippe dans ses espoirs, Karine, dans son quotidien miteux au Subway. L’émotion monte d’un cran quand on comprend qu’Andrée sera toujours dans l’ombre de sa sœur, que Gabriel sera à jamais aux prises avec sa culpabilité; pourquoi n’était-il pas avec elle ? Et Marco, le dernier à l’avoir vue vivante, devra endurer des souvenirs troublés par le pot.
Dès lors, les comédien·nes offrent une performance dichotomique maîtrisée. D’un côté ressort leur besoin d’extérioriser; de l’autre transparait leur souhait d’essayer de continuer. Pour eux, pour elles, pour Julie. Et sur ce point, le jeu est impeccable. Si le trait épais donné à certains personnages au début de l’œuvre est discutable, plus de doute possible après 20 minutes. Ces adolescent·es sont crédibles et représentent la juste part de contestation, de nonchalance et d’empathie à laquelle on peut s’attendre de jeunes des années 90. D’ailleurs, quelques références musicales et vestimentaires de cette période sont disséminées. En dépit du contexte, se dégage de ces clins d’œil une douce nostalgie, de celles qui nous dessinent un sourire discret sur les lèvres.
L’empreinte de l’absente
Et si, finalement, le personnage principal était Julie elle-même ? En dépit de son absence, elle reste éminemment présente. Du graffiti durant le prologue au bal de promo, comme le dit si bien Andrée : « T’es partout dans la maison, tu peux pas être nulle part ! ». Son aura habite effectivement chaque espace. Chez elle, là où Gabriel joue de la batterie, ou encore dans le salon d’Arianne. Chaque lieu est dévoilé par le coulissement d’une porte de garage. Système ingénieux et efficace pour des transitions fluides et de nouveau, un écho subtil à la période évoquée.
Julie est aussi personnifiée de manière plus concrète, par un fantôme qui évoque celui du film A Ghost Story. L’attitude sereine et réconfortante qui teinte alors la déambulation de cette apparition – endossée par chacun·e des interprètes – semble se muer en un au revoir.
Par son écriture drôle et poignante, Sarianne Cormier parvient à donner corps au mal-être, et à osciller entre enjeux individuels et collectifs. Le traitement secondaire des personnages adultes n’est pas sans rappeler le modus operandi de certaines séries pour adolescent·es dans lesquelles leur caractérisation est souvent grotesque et leur implication inexistante. Mais l’objectif étant de saisir l’ampleur du désastre à un moment si charnière de la vie, ses choix n’en sont que plus logiques.
La pièce se ferme sur une image poignante, à la fois émotive, puissante et pleine de promesses. Et si c’était cela finalement, le pouvoir du souvenir et de l’amitié ?
Julie
Texte et mise en scène : Sarianne Cormier. Assistance à la mise en scène : Jean Gaudreau. Interprètes : Xavier Bergeron (remplacé le soir de la première par Mattis Savard-Verhoeven), Pénélope Ducharme, Clémence Dufresne-Deslières, Lyna Khellef, Jules Ronfard, Madani Tall, Valérie Tellos. Décor : Patrice Charbonneau-Brunelle. Costumes : Gavrielle Tougas-Fréchette. Éclairages et intégration vidéo : Robin Kittel-Ouimet. Musique : Navet Confit. Directeur photo : François Messier-Rheault. Une production La Manufacture présentée à La Licorne jusqu’au 16 novembre 2024.