Les réflexions exprimées dans ce texte n’engagent que son auteur ou son autrice et ne reflètent pas nécessairement les positions de JEU.
Pierre MacDuff
L’auteur a dirigé le Conseil québécois du théâtre (1983-1991) et a été l’un des porte-parole du Mouvement pour les arts et les lettres du Québec (2000-2003).
Le 2 octobre dernier, un Front commun des arts réunissant 17 associations et organismes nationaux tenait une conférence de presse pour réclamer du premier ministre du Québec que les crédits accordés au Conseil des arts et des lettres soient portés à 200 millions par année et indexés par la suite. Le même jour, une pétition demandant la tenue d’états généraux sur la culture était rendue publique. Cette dernière initiative soutient que la moyenne salariale des artistes n’a pas évolué de façon significative depuis 30 ans en dépit de l’injection de sommes importantes dans le domaine de la culture; elle a pour principal but d’interroger la façon dont l’argent de l’État percole jusqu’aux créateur·trices tout en déplorant la difficulté de tracer le parcours que suit l’argent public en culture.
Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, a écarté la tenue d’états généraux sur la culture. C’est une sage décision. Avant même de statuer sur la personne ou le comité qui aurait l’autorité nécessaire pour mener à terme de tels états généraux, il faudrait circonscrire les constituantes de ce secteur qui englobe autant la télédiffusion que la lecture, ce qu’on appelait jadis les « beaux-arts » avec leur prolongement numérique, la pratique amateur et le loisir culturel, la diffusion nationale et internationale, les arts d’interprétation, les musées, le cinéma et l’édition, l’infrastructure des conseils de la culture comme instance de concertation régionale, le mécénat culturel, la formation, le patrimoine, le rôle des organismes ou sociétés d’État (Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Place des Arts, Musée de la Civilisation, Grand Théâtre), etc. Enfin, comment ignorer la problématique de la langue française quand celle-ci a prédominé dans toutes les versions de la politique culturelle au point de rendre parfois secondaire toute autre dimension du domaine culturel. Des états généraux sur la culture sans aborder la question linguistique, les sociétés d’État, la formation, ou au final, tout ce qui exclut la rétribution des artistes et concepteur·trices?
Un appel à des états généraux se conçoit lorsque rien n’existe ou en cas de nécessité de faire table rase. Le Québec est l’une des rares sociétés disposant d’une loi sur le statut de l’artiste et d’une politique culturelle, cette dernière se traduisant par des politiques disciplinaires sous-jacentes : lecture, diffusion, musées, etc. En outre, on rappellera qu’au terme de concertations menées de rigoureuse façon, certains milieux dont le théâtre et la danse se sont dotés de plans directeurs dont le principal frein à leur pleine réalisation découle de l’insuffisance du soutien public. Des état généraux auraient pour effet de ramener à la case départ des travaux conduits de façon démocratique avec rigueur et opiniâtreté par des organismes sectoriels représentatifs.
Des états généraux n’auraient par ailleurs aucune emprise sur les GAFAM; seule une action politique où le Québec ne devrait pas être seul à monter au front peut infléchir les règles inéquitables de ces conglomérats. Les questions relatives à l’intelligence artificielle peuvent et doivent être traitées en connaissance de cause par des instances sectorielles, ce qui n’empêche pas la tenue de forums de réflexion plus larges vu les multiples facettes de ces problématiques et leur interconnexion.
Enfin, la pétition entretient malheureusement une confusion. Le Conseil des arts et des lettres du Québec est l’unique instance qui soutient au moyen de bourses dans diverses disciplines, les artistes, écrivain·es et concepteur·trices. Il intervient aussi par le biais de subventions auprès d’organismes sans but lucratif, ce qui inclut des entreprises qui revendiquent le statut d’institution. Pour sa part, l’industrie culturelle à but lucratif est soutenue par plusieurs structures, dont la SODEC, qui allouent des subventions ou qui interviennent par le biais d’incitatifs fiscaux. Plusieurs des problèmes pointés par la pétition concernent ce secteur et peuvent être solutionnés par des règles de gouvernance ou des interventions ministérielles visant à mieux circonscrire leurs modes d’opération.
Pour sa part, le CALQ produit annuellement et en toute transparence des rapports publics détaillés qui donnent à voir de façon précise quelles instances et quelles personnes ont obtenu une aide financière, dans quelle discipline et à quelle fin, en vertu de quels programmes y incluant les aides spéciales non récurrentes. Les membres de son conseil d’administration sont soumis à un strict code d’éthique. La seule autre alternative pour garantir tout conflit d’intérêts serait de n’avoir en son sein que des personnes issues de la société civile et d’affaires qui ne siègent sur aucun conseil d’administration d’organismes culturels, ce qui va à l’encontre des demandes du milieu de s’assurer de la présence au sein des ces instances d’artistes et de gestionnaires culturel·les.
Ce qui précède ne minimise pas l’importance des problèmes mis en lumière par la pétition avalisée par plus de 600 signataires concerné·es. Ceux-ci sont réels, lourds de conséquences et appellent une intervention pressante du ministre. À tout le moins, M. Lacombe aura-t-il l’assurance de l’appui du milieu des arts dans ses représentations auprès du premier ministre. Il doit trouver réponse aux iniquités relevées par les pétitionnaires dans le secteur des industries culturelles et satisfaire de façon prioritaire aux demandes que lui adressent les 17 associations et organismes nationaux réunis sous l’égide du Front commun des arts; ceux-ci demeurent les mieux outillés pour répondre à la complexité des enjeux des milieux qu’ils représentent.
Pierre MacDuff
L’auteur a dirigé le Conseil québécois du théâtre (1983-1991) et a été l’un des porte-parole du Mouvement pour les arts et les lettres du Québec (2000-2003).
Le 2 octobre dernier, un Front commun des arts réunissant 17 associations et organismes nationaux tenait une conférence de presse pour réclamer du premier ministre du Québec que les crédits accordés au Conseil des arts et des lettres soient portés à 200 millions par année et indexés par la suite. Le même jour, une pétition demandant la tenue d’états généraux sur la culture était rendue publique. Cette dernière initiative soutient que la moyenne salariale des artistes n’a pas évolué de façon significative depuis 30 ans en dépit de l’injection de sommes importantes dans le domaine de la culture; elle a pour principal but d’interroger la façon dont l’argent de l’État percole jusqu’aux créateur·trices tout en déplorant la difficulté de tracer le parcours que suit l’argent public en culture.
Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, a écarté la tenue d’états généraux sur la culture. C’est une sage décision. Avant même de statuer sur la personne ou le comité qui aurait l’autorité nécessaire pour mener à terme de tels états généraux, il faudrait circonscrire les constituantes de ce secteur qui englobe autant la télédiffusion que la lecture, ce qu’on appelait jadis les « beaux-arts » avec leur prolongement numérique, la pratique amateur et le loisir culturel, la diffusion nationale et internationale, les arts d’interprétation, les musées, le cinéma et l’édition, l’infrastructure des conseils de la culture comme instance de concertation régionale, le mécénat culturel, la formation, le patrimoine, le rôle des organismes ou sociétés d’État (Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Place des Arts, Musée de la Civilisation, Grand Théâtre), etc. Enfin, comment ignorer la problématique de la langue française quand celle-ci a prédominé dans toutes les versions de la politique culturelle au point de rendre parfois secondaire toute autre dimension du domaine culturel. Des états généraux sur la culture sans aborder la question linguistique, les sociétés d’État, la formation, ou au final, tout ce qui exclut la rétribution des artistes et concepteur·trices?
Un appel à des états généraux se conçoit lorsque rien n’existe ou en cas de nécessité de faire table rase. Le Québec est l’une des rares sociétés disposant d’une loi sur le statut de l’artiste et d’une politique culturelle, cette dernière se traduisant par des politiques disciplinaires sous-jacentes : lecture, diffusion, musées, etc. En outre, on rappellera qu’au terme de concertations menées de rigoureuse façon, certains milieux dont le théâtre et la danse se sont dotés de plans directeurs dont le principal frein à leur pleine réalisation découle de l’insuffisance du soutien public. Des état généraux auraient pour effet de ramener à la case départ des travaux conduits de façon démocratique avec rigueur et opiniâtreté par des organismes sectoriels représentatifs.
Des états généraux n’auraient par ailleurs aucune emprise sur les GAFAM; seule une action politique où le Québec ne devrait pas être seul à monter au front peut infléchir les règles inéquitables de ces conglomérats. Les questions relatives à l’intelligence artificielle peuvent et doivent être traitées en connaissance de cause par des instances sectorielles, ce qui n’empêche pas la tenue de forums de réflexion plus larges vu les multiples facettes de ces problématiques et leur interconnexion.
Enfin, la pétition entretient malheureusement une confusion. Le Conseil des arts et des lettres du Québec est l’unique instance qui soutient au moyen de bourses dans diverses disciplines, les artistes, écrivain·es et concepteur·trices. Il intervient aussi par le biais de subventions auprès d’organismes sans but lucratif, ce qui inclut des entreprises qui revendiquent le statut d’institution. Pour sa part, l’industrie culturelle à but lucratif est soutenue par plusieurs structures, dont la SODEC, qui allouent des subventions ou qui interviennent par le biais d’incitatifs fiscaux. Plusieurs des problèmes pointés par la pétition concernent ce secteur et peuvent être solutionnés par des règles de gouvernance ou des interventions ministérielles visant à mieux circonscrire leurs modes d’opération.
Pour sa part, le CALQ produit annuellement et en toute transparence des rapports publics détaillés qui donnent à voir de façon précise quelles instances et quelles personnes ont obtenu une aide financière, dans quelle discipline et à quelle fin, en vertu de quels programmes y incluant les aides spéciales non récurrentes. Les membres de son conseil d’administration sont soumis à un strict code d’éthique. La seule autre alternative pour garantir tout conflit d’intérêts serait de n’avoir en son sein que des personnes issues de la société civile et d’affaires qui ne siègent sur aucun conseil d’administration d’organismes culturels, ce qui va à l’encontre des demandes du milieu de s’assurer de la présence au sein des ces instances d’artistes et de gestionnaires culturel·les.
Ce qui précède ne minimise pas l’importance des problèmes mis en lumière par la pétition avalisée par plus de 600 signataires concerné·es. Ceux-ci sont réels, lourds de conséquences et appellent une intervention pressante du ministre. À tout le moins, M. Lacombe aura-t-il l’assurance de l’appui du milieu des arts dans ses représentations auprès du premier ministre. Il doit trouver réponse aux iniquités relevées par les pétitionnaires dans le secteur des industries culturelles et satisfaire de façon prioritaire aux demandes que lui adressent les 17 associations et organismes nationaux réunis sous l’égide du Front commun des arts; ceux-ci demeurent les mieux outillés pour répondre à la complexité des enjeux des milieux qu’ils représentent.