Sous un amoncellement de pierres grises évoquant le Mont-Royal, Stone and Bone Spectacular s’ouvre comme une excavation théâtrale. Fruit d’un développement de quatre ans et issu de la résidence d’artistes autochtones du Centaur Theatre (initiée en 2021), le projet signé par l’artiste interdisciplinaire Ange Loft se veut une tentative audacieuse de réancrer Montréal – Tioh’tià:ke – dans sa mémoire enfouie, là où les os, les pierres et les récits oraux révèlent les fondations effacées d’une culture autochtone.
Sur le plan symbolique, le Centaur mérite les honneurs d’avoir prêté sa scène à une œuvre qui dépasse la simple reconnaissance territoriale. En confiant à Loft la mission de restituer la narration autochtone et de confronter les silences de l’histoire, le théâtre s’engage dans un dialogue nécessaire avec le passé colonial montréalais.
Cependant, la mise en scène et la structure dramaturgique peinent à soutenir le poids de cette ambition. Si la narration est dense, ambitieuse et foisonnante, elle s’égare dans un enchevêtrement d’anachronismes : costumes de tulle coloré, castelet dont la fonction demeure obscure, accessoires massifs qui encombrent la scène… La cohérence narrative s’effrite, donnant parfois l’impression d’un « stream of consciousness » scénique – une suite d’évocations, de fragments poétiques et de déclamations qui peinent à s’unir en un tout signifiant – avec en parallèle des efforts chorégraphiques desquels on peine à dégager du sens.
Un regard dramaturgique éclairé – et une certaine distance artistique – aurait sans doute permis d’harmoniser les genres (burlesque, danse, récit historique, chanson) et de faire émerger un fil conducteur plus clair.
Des interprètes engagés, mais isolés
Sur scène, le spectacle rassemble une distribution de talents autochtones remarquables, dont Barbara Kaneratonni Diabo, Waksonti:io Kirby, Veronik Picard et Dylan Thomas-Bouchier. Chacun apporte une intensité, une sincérité indéniable à sa partition. Une distribution soigneusement choisie, mais qui triomphe en individualité plus qu’en collégialité. Ainsi, l’absence d’interactions véritables entre les personnages transforme souvent le spectacle en concert de monologues, où les voix se succèdent sans se rencontrer.
Même la trame amoureuse esquissée entre le personnage de Magic et une Canadienne française au pied léger (interprétée par Picard) peine à insuffler une humanité durable au récit.
Une œuvre entre nécessité et chaos
Il faut saluer la poésie du projet, son ambition de revisiter la mémoire urbaine de Montréal à travers le prisme des nations mohawk, haudenosaunee, huron-wendat, anishinaabe et abénakise. Les intentions sont claires : redonner voix et territoire à ceux qu’on a réduits au silence. La trame musicale est très belle, à défaut d’être pertinente au projet. Et somme toute, la forme trahit parfois le fond : l’émotion se dilue dans une surabondance de symboles, là où le dépouillement et une recherche plus soutenue de l’histoire orale auraient mieux servi la puissance du propos.
Stone and Bone Spectacular est une œuvre courageuse et profondément habitée, mais encore à l’état brut. Elle se situe quelque part entre le rituel et la performance poétique, entre la mémoire et le manifeste. Si sa fougue et son imagination en font un jalon important de la scène autochtone contemporaine, elle gagnerait à creuser davantage la cohérence de son récit pour atteindre la force évocatrice qu’elle promet.
Texte : Ange Loft. En collaboration avec Barbara Kaneratonni Diabo et Iehente Foote. Mise en scène : Ange Loft. Interprétation : Barbara Kaneratonni Diabo, Iehente Foote, Wahsontí:io Kirby, Véronik Picard, Iota’keratenion Thomas-Beaton et Dylan Thomas-Bouchier. Scénographie : Jay Havens. Costumes : Lauren Ashley Jiles. Lumières : Kahentanó:ron Brianna Montour. Musique : Olivia Shortt, Victor Kee et Alejandra Nuñez. Présentée au Centaur Theatre jusqu’au 26 octobre 2025.
Sous un amoncellement de pierres grises évoquant le Mont-Royal, Stone and Bone Spectacular s’ouvre comme une excavation théâtrale. Fruit d’un développement de quatre ans et issu de la résidence d’artistes autochtones du Centaur Theatre (initiée en 2021), le projet signé par l’artiste interdisciplinaire Ange Loft se veut une tentative audacieuse de réancrer Montréal – Tioh’tià:ke – dans sa mémoire enfouie, là où les os, les pierres et les récits oraux révèlent les fondations effacées d’une culture autochtone.
Sur le plan symbolique, le Centaur mérite les honneurs d’avoir prêté sa scène à une œuvre qui dépasse la simple reconnaissance territoriale. En confiant à Loft la mission de restituer la narration autochtone et de confronter les silences de l’histoire, le théâtre s’engage dans un dialogue nécessaire avec le passé colonial montréalais.
Cependant, la mise en scène et la structure dramaturgique peinent à soutenir le poids de cette ambition. Si la narration est dense, ambitieuse et foisonnante, elle s’égare dans un enchevêtrement d’anachronismes : costumes de tulle coloré, castelet dont la fonction demeure obscure, accessoires massifs qui encombrent la scène… La cohérence narrative s’effrite, donnant parfois l’impression d’un « stream of consciousness » scénique – une suite d’évocations, de fragments poétiques et de déclamations qui peinent à s’unir en un tout signifiant – avec en parallèle des efforts chorégraphiques desquels on peine à dégager du sens.
Un regard dramaturgique éclairé – et une certaine distance artistique – aurait sans doute permis d’harmoniser les genres (burlesque, danse, récit historique, chanson) et de faire émerger un fil conducteur plus clair.
Des interprètes engagés, mais isolés
Sur scène, le spectacle rassemble une distribution de talents autochtones remarquables, dont Barbara Kaneratonni Diabo, Waksonti:io Kirby, Veronik Picard et Dylan Thomas-Bouchier. Chacun apporte une intensité, une sincérité indéniable à sa partition. Une distribution soigneusement choisie, mais qui triomphe en individualité plus qu’en collégialité. Ainsi, l’absence d’interactions véritables entre les personnages transforme souvent le spectacle en concert de monologues, où les voix se succèdent sans se rencontrer.
Même la trame amoureuse esquissée entre le personnage de Magic et une Canadienne française au pied léger (interprétée par Picard) peine à insuffler une humanité durable au récit.
Une œuvre entre nécessité et chaos
Il faut saluer la poésie du projet, son ambition de revisiter la mémoire urbaine de Montréal à travers le prisme des nations mohawk, haudenosaunee, huron-wendat, anishinaabe et abénakise. Les intentions sont claires : redonner voix et territoire à ceux qu’on a réduits au silence. La trame musicale est très belle, à défaut d’être pertinente au projet. Et somme toute, la forme trahit parfois le fond : l’émotion se dilue dans une surabondance de symboles, là où le dépouillement et une recherche plus soutenue de l’histoire orale auraient mieux servi la puissance du propos.
Stone and Bone Spectacular est une œuvre courageuse et profondément habitée, mais encore à l’état brut. Elle se situe quelque part entre le rituel et la performance poétique, entre la mémoire et le manifeste. Si sa fougue et son imagination en font un jalon important de la scène autochtone contemporaine, elle gagnerait à creuser davantage la cohérence de son récit pour atteindre la force évocatrice qu’elle promet.
Stone and Bone Spectacular
Texte : Ange Loft. En collaboration avec Barbara Kaneratonni Diabo et Iehente Foote. Mise en scène : Ange Loft. Interprétation : Barbara Kaneratonni Diabo, Iehente Foote, Wahsontí:io Kirby, Véronik Picard, Iota’keratenion Thomas-Beaton et Dylan Thomas-Bouchier. Scénographie : Jay Havens. Costumes : Lauren Ashley Jiles. Lumières : Kahentanó:ron Brianna Montour. Musique : Olivia Shortt, Victor Kee et Alejandra Nuñez. Présentée au Centaur Theatre jusqu’au 26 octobre 2025.