JEU des 5 questions

Cinq questions à Rose-Anne Déry, metteuse en scène

© Éva-Maude TC

Rose-Anne Déry met en scène Faire mal dans le cadre des 5 à 7 de la Licorne. L’expérience variée de la comédienne, scénariste et metteuse en scène lui sert à aborder un solo à l’humour caustique portant sur les réseaux sociaux et la solitude.

Comme disait l’ancien directeur artistique de la Licorne, Denis Bernard : « Ce n’est pas mon premier barbecue ». Ce n’est pas non plus votre premier 5 à 7 non plus. Qu’aimez-vous dans ces courtes formes ?

J’aime beaucoup le côté sans prétention d’une forme comme les 5 à 7 de la Licorne. On boit une bière, on mange une collation, on écoute un spectacle d’environ une heure avant de sortir souper : tout ça est très « bonne franquette », accessible, facile à consommer. J’aime réfléchir à l’œuvre en ce sens quand je fais la mise en scène d’un format comme celui-ci. Je me concentre sur l’essentiel, sans fioritures. J’ai envie que le public entende bien le texte, que ce qui prime soit le jeu et l’histoire qu’on a à raconter, de façon sobre et efficace… ça fait toujours du bien de revenir à la base !

Le sujet, les réseaux sociaux notamment, est brûlant d’actualité. Est-ce que l’autrice britannique Phoebe Eclair-Powell y passe quelques messages aidés par son humour ?

Oui. Je dirais que le spectacle parle, bien sûr, des réseaux sociaux, mais que l’autrice s’en sert surtout pour aborder quelque chose de plus profond et d’intemporel: notre rapport à la solitude. On y suit une protagoniste qui est seule, je dirais même isolée. Elle est donc envieuse et se compare beaucoup aux autres. Les réseaux sociaux, dans ce contexte-ci, créent un environnement très propice à exacerber ces sentiments négatifs qui existent chez elle, et vont contribuer à alimenter son obsession envers une influenceuse. Pour moi, l’autrice remet en question aussi la naissance de la haine gratuite, et de la glorification de la haine en ligne, dans une ère où les gens se permettent beaucoup de méchanceté sur les réseaux sociaux, comme protégés par leur écran. L’humour mordant de l’autrice y est bien présent et nécessaire parce qu’en présentant des thématiques aussi profondes avec humour, elle permet au public de prendre du recul et de s’attacher au personnage.

Comment avez-vous travaillé en répétitions avec Isabeau Blanche ?

C’était un processus assez spécial, parce que nous n’étions que nous deux en répétitions ! Alors, il y avait beaucoup d’écoute et d’échanges. On a énormément parlé du personnage, de la pièce, de ce qu’on veut dire à travers cette histoire-là, avec quoi on souhaite que les gens repartent. Isabeau est une actrice d’expérience et de grand talent; elle a abordé ce solo avec un professionnalisme irréprochable et ce fut un immense bonheur pour moi de la voir évoluer et proposer toutes sortes de nuances au personnage ! On a surtout voulu faire honneur au texte et créer une protagoniste complexe, très multidimensionnelle pour éviter les clichés liés, justement, aux vedettes des réseaux sociaux. Isabeau a su peaufiner chacune de ses scènes avec tellement de précision et une profonde sensibilité qu’elle réussit à rendre son personnage attachant malgré toutes les énormités qu’elle va dire ou faire au fil de son obsession !

Au printemps, vous mettrez en scène aussi Le Scriptarium. Comment se prépare-t-on à cette aventure qui met en lumière l’écriture de jeunes autrices et auteurs ?

C’est difficile de s’y préparer trop à l’avance, parce que les textes finaux des jeunes arriveront seulement quelques semaines avant le spectacle ! Je peux me préparer en m’entourant d’une merveilleuse équipe de production du Théâtre le Clou, ainsi que de concepteurs et de conceptrices avec qui je sais que la création va être stimulante. Ce que je peux faire en amont, c’est aussi m’inspirer de l’univers de la formidable Elkahna Talbi, qui est la commissaire cette année pour les jeunes qui participeront. J’ai aussi déjà vu Le Scriptarium comme spectatrice à plusieurs reprises, et je suis toujours extrêmement touchée par la vérité et la sensibilité qui émane des textes écrits par les jeunes. Alors je peux m’inspirer des années précédentes pour déjà réfléchir au rythme et à l’ambiance que je souhaiterais voir, mais toutes mes idées peuvent changer une fois que je recevrai les textes ! D’ici là, j’essaie de faire de la recherche sur ce qui touche les jeunes ces temps-ci et sur ce qui les intéresse.

Impossible en ce moment de passer à côté de l’enjeu du financement des arts vivants, est-ce que cela vous affecte à Tableau noir ?

C’est certain que ça affecte tout le milieu, dont les compagnies qui sont financées par projet, comme nous chez Tableau noir. Ça nous force à chercher des solutions pour faire des spectacles avec moins de moyens. Ce que je trouve le plus dommage, c’est que ça affecte directement les salaires de plusieurs travailleurs du milieu culturel, en plus d’affecter leur façon de travailler. À Tableau noir, on cherche toujours à payer les gens en premier avant de mettre de l’argent dans le matériel, et donc les conséquences des compressions affectent directement les concepteurs et les conceptrices, qui doivent réfléchir avec minimalisme, ce qui paradoxalement leur ajoute une charge de travail. J’adore les conceptions minimalistes, mais c’est agréable quand c’est un choix artistique et non une obligation budgétaire. Le contexte financier crée donc de grosses contraintes créatives pour les artistes de nos spectacles, et on se demande à chaque fois si on aura à choisir entre les salaires et la qualité, ce qui est vraiment désolant et absurde.

Faire mal est présenté à la Licorne du 22 octobre au 11 novembre 2024.

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