Depuis sa création, Homicide a-t-il fait l’objet de modifications que ce soit au texte et/ou à la mise en scène ?
Homicide qui sera repris au Prospero, est essentiellement le même spectacle que celui créé en 2023, dans le même théâtre. L’équipe s’est toutefois fait plaisir à préciser certaines conceptions, à condenser des rythmes, ici et là… à fignoler une œuvre, quoi ! La reprise d’un spectacle tel qu’Homicide c’est rare et précieux, quoique depuis quelque temps en théâtre adulte, on voit se développer une tendance de la reprise, même d’une institution théâtrale à une autre. Je dois dire que je trouve cette revalorisation des œuvres franchement réjouissante !
Quels avantages/désavantages émergent du fait de travailler avec un auteur qui est un proche ?
La collaboration avec Pascal Brullemans a toujours été naturelle et fluide. Nous avons une conception réciproque de l’engagement que la création peut prendre dans une vie artistique et personnelle. Plusieurs diront (dont nos enfants) que nous sommes « workaholics », ils ont sûrement raison, mais nous sommes surtout animé·es d’une « ferveur » envers la création théâtrale. Pour ma part, je n’y ai jamais vu de désavantage. Peut-être cela peut-il sembler quelque peu extrême de vivre et de travailler de manière si étroite, mais cette collaboration tant intime qu’artistique, nous permet, je crois, de déployer le meilleur de ce que nous sommes comme créatrice, créateur et citoyen∙ne.
Tout le monde a parlé du fait qu’il s’agit d’une thématique pour le moins épineuse bien assumée dans le spectacle, mais y a-t-il eu des zones d’ombres ou remises en question au cours du processus, que ce soit d’ordre moral ou peut-être même d’autocensure ?
Évidemment, oui. Lorsque Pascal m’a fait lire les premières lignes d’Homicide, la question de la légitimité de donner la parole à un être que la société considère comme monstrueux, c’est tout de suite posé ! C’est justement pour ça que Pascal et moi faisons du théâtre ! Nous avons le privilège d’exercer un métier où, nous réunissons autour d’un projet, une multitude d’intelligences, qui nous oblige à réfléchir à des enjeux sociétaux, que nous n’aurions pas le loisir de visiter autrement. Homicide a offert à l’équipe de création, et j’espère au public, qui a osé venir vivre avec nous cette expérience théâtrale, l’occasion d’aller à la rencontre d’une part sombre de notre humanité, car oui, cette noirceur nous appartient, elle existe et il ne sert à rien de la cacher et de la nier… Pour Pascal Brullemans et moi, le théâtre sert aussi à ça.
Doit-on faire preuve d’une attention particulière en mise en scène aux interprètes, dont le cœur et le corps, on le sait, peuvent être marqués longtemps par une proposition aussi forte ?
Je travaille sur les spectacles de Projet MÛ à long terme et ceux-ci s’inscrivent dans des cycles de création qui me permettent de plonger dans une recherche tant formelle qu’actuelle. Homicide s’inscrit dans le cycle Contempler la défaite, qui essaie de prendre un pas de recul sur l’époque frénétique dans laquelle nous évoluons depuis une vingtaine d’années. Pour ce spectacle, lorsque j’ai fait appel aux interprètes Dany Boudreault et Christian Rangel, il était déjà très clair que certaines scènes porteraient une violence sourde. Ceux-ci, comme tous les interprètes et collaboratrices et collaborateurs qui travaillent avec moi, participent intrinsèquement à la création du spectacle, on parle ici d’une intelligence collective où chacun∙e embrasse entièrement l’importance de sa fonction dans la création de l’œuvre. Les interprètes sont la représentation physique des personnages que je mets en scène, mais ces personnages sont au service d’une histoire, d’un reflet de notre société que, comme équipe de création, nous souhaitons mettre en exergue. Effectivement sur scène, les interprètes d’Homicide reproduisent des gestes difficiles à regarder, mais chacune de ces actions a été réfléchie, discutée, testée des dizaines de fois avant qu’ensemble, nous prenions la décision que, pour la qualité et la compréhension du spectacle, cette scène soit vitale et existera. Je crois que cette attention, cette écoute des artistes avec qui je travaille et que j’inscris dans ma démarche artistique, sont ma manière de prendre soin d’elles et d’eux. Il ne peut pas y avoir d’instrumentalisation possible; le consentement, la compréhension d’être au service de l’œuvre, la préoccupation de toute l’équipe au respect et au bien-être des interprètes, qui endossent le côté visible de la somme de cette démarche artistique, est au cœur de chaque création de Projet MÛ.
On ne répétera probablement jamais assez que les arts vivants connaissent une crise de sous-financement, comment cela affecte-t-il le travail ?
Comment répondre à cette question, sans y laisser une pointe de déception et d’amertume ? Projet MÛ entame sa 19e année d’existence, comme compagnie de création québécoise. Lors du dernier exercice de financement de subvention à la mission, je soulevais cet enjeu tout simple au Jury du CALQ en écrivant « La question que Projet MÛ se pose à travers cette demande que vous êtes en train de lire est : est-ce qu’une compagnie, qui a pratiquement 20 ans d’existence, une feuille de route diversifiée et réputée, peut soutenir deux employé.es à temps plein ? ». Projet MÛ, crée des spectacles tant pour les adultes que pour le jeune public, nous avons le privilège d’être reconnus pour notre pertinence artistique et de tourner au Québec et en Europe. Depuis 2022, faute de trouver du personnel compétent pour me soutenir dans l’administration de la compagnie, je menais à bout de bras les activités artistiques, de développement, de diffusion et de médiation de Projet MÛ, en contrepartie et pour la première fois de ma carrière, je retirais un salaire décent de mon travail, comprendre ici que je m’élevais enfin au-dessus du seuil de pauvreté. Malheureusement, ce cumul de tâches est impossible à soutenir à long terme et j’ai dû engager des employées pour réussir à mener à bien les activités programmées pour 24-25 et par le fait même réduire énormément ma rémunération, je retrouve donc le statut précaire de l’artiste québécois moyen, car le CALQ n’a pas pu répondre à notre demande de financement quadriennal. Et là, je ne parle pas des deux prochains spectacles du cycle Contempler la défaite, Après Tout, une coproduction avec la Maison Théâtre, qui sera créée en janvier 2025 et d’une prochaine coproduction pour adulte ainsi que la suite d’Homicide, qui devrait être créée à l’automne 2025. Faute de financement, ces projets sont nettement menacés dans leur qualité artistique sans compter tout le stress que cela engendre. Donc, oui, je suis clairement affectée par le sous-financement des arts et la non-reconnaissance du statut de l’artiste au Québec et, oui, déçue également, mais plus particulièrement pour la génération d’artistes qui s’élève derrière nous et qui, pour le moment, ne peuvent même pas rêver d’accéder à « mes » moyens de création !
Homicide est présenté au Théâtre Prospero du 5 au 16 novembre 2024.
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Depuis sa création, Homicide a-t-il fait l’objet de modifications que ce soit au texte et/ou à la mise en scène ?
Homicide qui sera repris au Prospero, est essentiellement le même spectacle que celui créé en 2023, dans le même théâtre. L’équipe s’est toutefois fait plaisir à préciser certaines conceptions, à condenser des rythmes, ici et là… à fignoler une œuvre, quoi ! La reprise d’un spectacle tel qu’Homicide c’est rare et précieux, quoique depuis quelque temps en théâtre adulte, on voit se développer une tendance de la reprise, même d’une institution théâtrale à une autre. Je dois dire que je trouve cette revalorisation des œuvres franchement réjouissante !
Quels avantages/désavantages émergent du fait de travailler avec un auteur qui est un proche ?
La collaboration avec Pascal Brullemans a toujours été naturelle et fluide. Nous avons une conception réciproque de l’engagement que la création peut prendre dans une vie artistique et personnelle. Plusieurs diront (dont nos enfants) que nous sommes « workaholics », ils ont sûrement raison, mais nous sommes surtout animé·es d’une « ferveur » envers la création théâtrale. Pour ma part, je n’y ai jamais vu de désavantage. Peut-être cela peut-il sembler quelque peu extrême de vivre et de travailler de manière si étroite, mais cette collaboration tant intime qu’artistique, nous permet, je crois, de déployer le meilleur de ce que nous sommes comme créatrice, créateur et citoyen∙ne.
Tout le monde a parlé du fait qu’il s’agit d’une thématique pour le moins épineuse bien assumée dans le spectacle, mais y a-t-il eu des zones d’ombres ou remises en question au cours du processus, que ce soit d’ordre moral ou peut-être même d’autocensure ?
Évidemment, oui. Lorsque Pascal m’a fait lire les premières lignes d’Homicide, la question de la légitimité de donner la parole à un être que la société considère comme monstrueux, c’est tout de suite posé ! C’est justement pour ça que Pascal et moi faisons du théâtre ! Nous avons le privilège d’exercer un métier où, nous réunissons autour d’un projet, une multitude d’intelligences, qui nous oblige à réfléchir à des enjeux sociétaux, que nous n’aurions pas le loisir de visiter autrement. Homicide a offert à l’équipe de création, et j’espère au public, qui a osé venir vivre avec nous cette expérience théâtrale, l’occasion d’aller à la rencontre d’une part sombre de notre humanité, car oui, cette noirceur nous appartient, elle existe et il ne sert à rien de la cacher et de la nier… Pour Pascal Brullemans et moi, le théâtre sert aussi à ça.
Doit-on faire preuve d’une attention particulière en mise en scène aux interprètes, dont le cœur et le corps, on le sait, peuvent être marqués longtemps par une proposition aussi forte ?
Je travaille sur les spectacles de Projet MÛ à long terme et ceux-ci s’inscrivent dans des cycles de création qui me permettent de plonger dans une recherche tant formelle qu’actuelle. Homicide s’inscrit dans le cycle Contempler la défaite, qui essaie de prendre un pas de recul sur l’époque frénétique dans laquelle nous évoluons depuis une vingtaine d’années. Pour ce spectacle, lorsque j’ai fait appel aux interprètes Dany Boudreault et Christian Rangel, il était déjà très clair que certaines scènes porteraient une violence sourde. Ceux-ci, comme tous les interprètes et collaboratrices et collaborateurs qui travaillent avec moi, participent intrinsèquement à la création du spectacle, on parle ici d’une intelligence collective où chacun∙e embrasse entièrement l’importance de sa fonction dans la création de l’œuvre. Les interprètes sont la représentation physique des personnages que je mets en scène, mais ces personnages sont au service d’une histoire, d’un reflet de notre société que, comme équipe de création, nous souhaitons mettre en exergue. Effectivement sur scène, les interprètes d’Homicide reproduisent des gestes difficiles à regarder, mais chacune de ces actions a été réfléchie, discutée, testée des dizaines de fois avant qu’ensemble, nous prenions la décision que, pour la qualité et la compréhension du spectacle, cette scène soit vitale et existera. Je crois que cette attention, cette écoute des artistes avec qui je travaille et que j’inscris dans ma démarche artistique, sont ma manière de prendre soin d’elles et d’eux. Il ne peut pas y avoir d’instrumentalisation possible; le consentement, la compréhension d’être au service de l’œuvre, la préoccupation de toute l’équipe au respect et au bien-être des interprètes, qui endossent le côté visible de la somme de cette démarche artistique, est au cœur de chaque création de Projet MÛ.
On ne répétera probablement jamais assez que les arts vivants connaissent une crise de sous-financement, comment cela affecte-t-il le travail ?
Comment répondre à cette question, sans y laisser une pointe de déception et d’amertume ? Projet MÛ entame sa 19e année d’existence, comme compagnie de création québécoise. Lors du dernier exercice de financement de subvention à la mission, je soulevais cet enjeu tout simple au Jury du CALQ en écrivant « La question que Projet MÛ se pose à travers cette demande que vous êtes en train de lire est : est-ce qu’une compagnie, qui a pratiquement 20 ans d’existence, une feuille de route diversifiée et réputée, peut soutenir deux employé.es à temps plein ? ». Projet MÛ, crée des spectacles tant pour les adultes que pour le jeune public, nous avons le privilège d’être reconnus pour notre pertinence artistique et de tourner au Québec et en Europe. Depuis 2022, faute de trouver du personnel compétent pour me soutenir dans l’administration de la compagnie, je menais à bout de bras les activités artistiques, de développement, de diffusion et de médiation de Projet MÛ, en contrepartie et pour la première fois de ma carrière, je retirais un salaire décent de mon travail, comprendre ici que je m’élevais enfin au-dessus du seuil de pauvreté. Malheureusement, ce cumul de tâches est impossible à soutenir à long terme et j’ai dû engager des employées pour réussir à mener à bien les activités programmées pour 24-25 et par le fait même réduire énormément ma rémunération, je retrouve donc le statut précaire de l’artiste québécois moyen, car le CALQ n’a pas pu répondre à notre demande de financement quadriennal. Et là, je ne parle pas des deux prochains spectacles du cycle Contempler la défaite, Après Tout, une coproduction avec la Maison Théâtre, qui sera créée en janvier 2025 et d’une prochaine coproduction pour adulte ainsi que la suite d’Homicide, qui devrait être créée à l’automne 2025. Faute de financement, ces projets sont nettement menacés dans leur qualité artistique sans compter tout le stress que cela engendre. Donc, oui, je suis clairement affectée par le sous-financement des arts et la non-reconnaissance du statut de l’artiste au Québec et, oui, déçue également, mais plus particulièrement pour la génération d’artistes qui s’élève derrière nous et qui, pour le moment, ne peuvent même pas rêver d’accéder à « mes » moyens de création !
Homicide est présenté au Théâtre Prospero du 5 au 16 novembre 2024.
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