Critiques

Les voix humaines : À toi pour toujours, Monique Miller

© Maryse Boyce

Les hommages rendus à une personnalité publique pleuvent généralement au moment du décès de celle-ci. Avec Les voix humaines, Larissa Corriveau et Félix-Antoine Boutin le font avec un doigté exemplaire en rendant à Monique Miller ce qui lui appartient, soit une vie et une carrière exceptionnelles traversant plusieurs décennies. Une installation et un spectacle d’environ 40 minutes chacun∙e réussissent, sans nostalgie aucune, malgré l’utilisation de nombreux documents d’archives, à montrer les qualités polymorphes de cette très grande comédienne.

La magnifique installation consacrée à Monique Miller au deuxième étage d’Espace Libre nous plonge dès le départ dans l’univers de l’artiste. Les images de divers téléthéâtres et de coulisses sont habilement tissées avec des scènes de répétition teintées de l’humour de la comédienne. Sa polyvalence saute d’abord aux yeux, tout autant que la qualité des textes datant d’époques où le noir et blanc dominait. Un triptyque d’écrans est d’ailleurs utilisé en fond de scène afin de démultiplier les angles de vue et suggérer la quantité des œuvres auxquelles Miller aura contribué par son jeu d’une grande finesse.

Le spectacle suit dans la salle principale, recentrant la représentation sur l’adaptation du téléthéâtre expérimental de Louis-Georges Carrier, L’indiscret, réalisé en 1963 !, dont on aura entendu quelques extraits dans l’installation. Double fantomatique du personnage principal, Anne, Larissa Corriveau entre d’abord en scène suivie de Monique Miller. Les deux femmes longent le mur arrière en le touchant, enfermées dans la prison d’un espoir irrésolu, celui de l’attente de l’amant qui ne reviendra jamais. Cette intrigue à l’apparence fort simple se déploie ici dans toute la longueur de la salle, plutôt que dans sa largeur. Des îlots de lumière délimitent quelques espaces de jeu où l’on retrouve meubles et accessoires d’années passées.

© Maryse Boyce

Les deux parties de l’œuvre décrivent Monique Miller comme une passionnée, du théâtre bien sûr, mais aussi de l’amour lui-même. Dans l’installation, on fait défiler plusieurs scènes courtes où l’on peut voir la comédienne embrasser avec conviction différents personnages masculins. Dans le spectacle, une scène évoque sans pudeur, mais sans vulgarité non plus, toute la langueur sensuelle vécue par le personnage de Anne. La beauté de la chose c’est que la jeune Anne (Larissa Corriveau) dédouble les actions de celle, qui 60 ans plus tard (Monique Miller), attend toujours et à jamais. Nous atteignons alors le nœud de cette expérience inscrite dans la dualité : soit le temps qui passe, l’inéluctabilité du vieillissement et les sentiments qui leur survivent.

Certains pans du texte s’avèrent répétitifs entre l’installation et le spectacle, mais l’essentiel demeure, c’est-à-dire un hommage actualisé, voire très actuel dans sa forme, à une artiste exceptionnelle. L’installation et le spectacle se jouent du temps pour faire valoir un talent tout aussi indéniable maintenant qu’il y a 60 ans. Avec courage, Monique Miller ne nie pas son âge; elle s’en sert plutôt pour signifier que la voix humaine ne perd rien de sa force si le feu qui l’attise reste authentique, entre rêve et réalité.

© Maryse Boyce

Les voix humaines

Installation

Idéation, réalisation et montage : Larissa Corriveau. Collaboratrice : Monique Miller. Scénographie : Alex Hercule Desjardins. Lutherie numérique : Guillaume Arseneault. Environnement sonore : Frédéric Auger et Larissa Corriveau. Mise en espace sonore : Frédéric Auger.

Spectacle

D’après Louis-George Carrier. Adaptation et voix : Larissa Corriveau. Interprétation : Monique Miller. Mise en scène : Félix-Antoine Boutin. Assistance à la mise en scène : Myriam Pellerin. Espace et éclairage : Cédric Delorme-Bouchard. Conception sonore : Vincent Legault. Costumes, maquillage et coiffure : Angelo Barsetti. Mouvement : Simon Renaud. Direction technique : Juliette Papineau-Holdrinet. Régie : Alexandra Sutto. Direction de production : Isabelle Gingras. Une coproduction d’Espace Libre, du NTE et de Larissa Corriveau. Une production déléguée du NTE présentée à Espace Libre jusqu’au 12 novembre 2024.