Quelques artistes dans le monde font « exploser » la danse flamenco pour l’amener vers d’autres horizons. Avec leur compagnie La Otra Orilla, Myriam Allard et Hadi Graja en sont. Leur nouveau spectacle, Debordements – sans accent en référence à l’écrivain français Guy Debord qui a inspiré le projet –, se promène du côté du punk avec cet esprit rebelle qui les habite.
Les Ateliers Belleville sont connus pour leurs expositions, des spectacles de musique et, maintenant, de danse. Pourquoi avoir choisi ce lieu ?
La Otra Orilla signifie l’autre rive, l’autre perspective, l’autre côté. Depuis la fondation de la compagnie en 2006, notre travail de création amène le flamenco là où on ne l’attend pas. Nous nous sommes rendu compte que si nous voulions que ce travail soit vu à Montréal, il fallait explorer de nouvelles avenues, passer par les marges, par le non institutionnalisé. Cela tient aussi au cœur de ce que la performance défend. Debordements est un spectacle transdisciplinaire débridé, viscéral et, surtout, libre. Les Ateliers Belleville sont un pôle de recherche et de création imaginé et géré par des artistes pour faire rayonner des pratiques indépendantes. Le lieu et la mission collent à Debordements et à notre façon d’envisager la pratique artistique.
Les constats du film de Guy Debord qui vous a inspiré, Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, sont plutôt pessimistes. Comment cela trouve-t-il écho dans votre spectacle ?
Nous avons commencé à travailler sur ce projet en 2021. La relecture de Debord, plus précisément de ses Commentaires sur la société du spectacle, à peu près au même moment, est venue jeter un éclairage cru et sans concessions sur ce que notre société est devenue. Ce qui était vrai en 1960 dans nos sociétés occidentales est encore plus affirmé, jusqu’à la caricature, aujourd’hui. C’est donc de manière tout à fait naturelle et organique que la pensée de Debord est venue rejoindre et infuser notre travail autour de l’urgence de dire, de nommer et de s’inscrire en faux, de refuser et de résister.
Dans le film, Guy Debord dénonce une époque violente où la société dominante décide, notamment, des visées de l’art. Au même moment, on parle beaucoup du sous-financement des arts au Québec, ce n’est pas un hasard pour ?
Ces dernières années au Québec nous ont enseigné que pour notre gouvernement actuel, pour notre État, il existe deux catégories d’activités, celles dites de « première nécessité », et les autres. Les activités de première nécessité, nous a-t-on appris, comprennent notamment le shopping en centre commercial et l’approvisionnement des grandes enseignes de vente au détail. Les arts, nous a-t-on expliqué, appartiennent quant à eux à l’autre catégorie, celle dont notre société peut se passer sans renverser ses fondements. Il n’y a plus ni pudeur ni tabou. Cette vision sordide de ce que doit être notre société n’a plus besoin de se dissimuler et peut désormais sortir directement de la bouche de nos chefs d’État.
L’argent public, le nôtre, ira donc subventionner l’installation d’une entreprise privée entièrement dédiée au profit (privé), avant de financer la réflexion et la création artistiques. Aujourd’hui, il est continuellement demandé aux arts de justifier économiquement leur pertinence pour leur permettre de continuer d’exister. Ce chantage économique est l’instrument de lissage, de contrôle et de censure licite des contenus et des formes d’expression.
Le punk est une autre forme de contestation de l’ordre établi. Comment cette musique féroce s’arrime-t-elle avec le flamenco ?
Le flamenco dans son essence, et dans notre pratique de ce langage, part du même endroit, avec la même férocité et la même urgence de dire et de se dire, sans filtre et sans édulcorant social. Pour nous, il y a une similarité dans l’intentionnalité des deux, et dans la posture face à l’ordre, à la domination. C’est une prise de parole des marges. Une rébellion vis-à-vis d’une condition et d’un destin.
Avec tous ces éléments, votre « engagement » vise notamment la préservation de la liberté artistique et de la pensée. L’époque vous inquiète-t-elle à ce sujet ?
C’est étonnant et affligeant en même temps que les constats posés par Debord soient effectivement toujours aussi d’actualité ! La violence d’État, le secret, l’intimidation, la ségrégation, la censure et la répression… Le grand retour de l’inquisition morale aussi, avec les nouveaux dogmes, les nouveaux curés et leurs nouvelles chapelles. Un silence imposé de l’intelligence et une dématérialisation des rapports humains. Nous vivons une époque de grande soumission et de grande lâcheté. Il est primordial de faire corps et de réagir, de reprendre le contrôle de ce qui est décidé et commis en notre nom, ou du moins avec notre complaisance. Tout cela dépasse largement les limites de la pratique artistique.
Debordements est présenté aux ateliers Belleville du 6 au 16 novembre 2024.
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Quelques artistes dans le monde font « exploser » la danse flamenco pour l’amener vers d’autres horizons. Avec leur compagnie La Otra Orilla, Myriam Allard et Hadi Graja en sont. Leur nouveau spectacle, Debordements – sans accent en référence à l’écrivain français Guy Debord qui a inspiré le projet –, se promène du côté du punk avec cet esprit rebelle qui les habite.
Les Ateliers Belleville sont connus pour leurs expositions, des spectacles de musique et, maintenant, de danse. Pourquoi avoir choisi ce lieu ?
La Otra Orilla signifie l’autre rive, l’autre perspective, l’autre côté. Depuis la fondation de la compagnie en 2006, notre travail de création amène le flamenco là où on ne l’attend pas. Nous nous sommes rendu compte que si nous voulions que ce travail soit vu à Montréal, il fallait explorer de nouvelles avenues, passer par les marges, par le non institutionnalisé. Cela tient aussi au cœur de ce que la performance défend. Debordements est un spectacle transdisciplinaire débridé, viscéral et, surtout, libre. Les Ateliers Belleville sont un pôle de recherche et de création imaginé et géré par des artistes pour faire rayonner des pratiques indépendantes. Le lieu et la mission collent à Debordements et à notre façon d’envisager la pratique artistique.
Les constats du film de Guy Debord qui vous a inspiré, Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, sont plutôt pessimistes. Comment cela trouve-t-il écho dans votre spectacle ?
Nous avons commencé à travailler sur ce projet en 2021. La relecture de Debord, plus précisément de ses Commentaires sur la société du spectacle, à peu près au même moment, est venue jeter un éclairage cru et sans concessions sur ce que notre société est devenue. Ce qui était vrai en 1960 dans nos sociétés occidentales est encore plus affirmé, jusqu’à la caricature, aujourd’hui. C’est donc de manière tout à fait naturelle et organique que la pensée de Debord est venue rejoindre et infuser notre travail autour de l’urgence de dire, de nommer et de s’inscrire en faux, de refuser et de résister.
Dans le film, Guy Debord dénonce une époque violente où la société dominante décide, notamment, des visées de l’art. Au même moment, on parle beaucoup du sous-financement des arts au Québec, ce n’est pas un hasard pour ?
Ces dernières années au Québec nous ont enseigné que pour notre gouvernement actuel, pour notre État, il existe deux catégories d’activités, celles dites de « première nécessité », et les autres. Les activités de première nécessité, nous a-t-on appris, comprennent notamment le shopping en centre commercial et l’approvisionnement des grandes enseignes de vente au détail. Les arts, nous a-t-on expliqué, appartiennent quant à eux à l’autre catégorie, celle dont notre société peut se passer sans renverser ses fondements. Il n’y a plus ni pudeur ni tabou. Cette vision sordide de ce que doit être notre société n’a plus besoin de se dissimuler et peut désormais sortir directement de la bouche de nos chefs d’État.
L’argent public, le nôtre, ira donc subventionner l’installation d’une entreprise privée entièrement dédiée au profit (privé), avant de financer la réflexion et la création artistiques. Aujourd’hui, il est continuellement demandé aux arts de justifier économiquement leur pertinence pour leur permettre de continuer d’exister. Ce chantage économique est l’instrument de lissage, de contrôle et de censure licite des contenus et des formes d’expression.
Le punk est une autre forme de contestation de l’ordre établi. Comment cette musique féroce s’arrime-t-elle avec le flamenco ?
Le flamenco dans son essence, et dans notre pratique de ce langage, part du même endroit, avec la même férocité et la même urgence de dire et de se dire, sans filtre et sans édulcorant social. Pour nous, il y a une similarité dans l’intentionnalité des deux, et dans la posture face à l’ordre, à la domination. C’est une prise de parole des marges. Une rébellion vis-à-vis d’une condition et d’un destin.
Avec tous ces éléments, votre « engagement » vise notamment la préservation de la liberté artistique et de la pensée. L’époque vous inquiète-t-elle à ce sujet ?
C’est étonnant et affligeant en même temps que les constats posés par Debord soient effectivement toujours aussi d’actualité ! La violence d’État, le secret, l’intimidation, la ségrégation, la censure et la répression… Le grand retour de l’inquisition morale aussi, avec les nouveaux dogmes, les nouveaux curés et leurs nouvelles chapelles. Un silence imposé de l’intelligence et une dématérialisation des rapports humains. Nous vivons une époque de grande soumission et de grande lâcheté. Il est primordial de faire corps et de réagir, de reprendre le contrôle de ce qui est décidé et commis en notre nom, ou du moins avec notre complaisance. Tout cela dépasse largement les limites de la pratique artistique.
Debordements est présenté aux ateliers Belleville du 6 au 16 novembre 2024.
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