Critiques

La fameuse Femme-Québec : De la Nuit de la poésie aux danses TikTok

© Vincent Champoux

L’histoire de l’émancipation du Québec se frotte aux tendances TikTok et à la crise de la télévision traditionnelle dans La fameuse Femme-Québec, le premier texte de Cristina Moscini à se déployer sur la grande scène de la Bordée.

L’autrice de S’aimer ben paquetée, un monologue percutant et bien senti présenté lors d’un 5 à 7 dans la salle de répétition du théâtre il y a quelques années, signe cette fois un huis clos où trois générations confrontent leur manière de raconter et leur rapport au succès, le temps du tournage d’un pilote.

Il y a Quérida Quirion (Lise Castonguay), sujet de l’épisode, surnommée la fameuse Femme-Québec pour son passage à la Nuit de la poésie de 1980 avec un fleurdelisé sur un mamelon. Puis Martine St-Cyr (Ariel Charest), une intervieweuse millénariale féministe qui peine à se départir de son aura beige. Enfin, Exan (Jérémie Michaud), pétillante personnalité TikTok genderfluid aux réflexes marketing aussi aigus que son déficit d’attention.

Trois clichés ? Oui et non. Certes, les traits de caractère sont marqués, chaque personnage est le produit de son époque et les références sont soulignées au crayon-feutre. On en capte certaines, d’autres pas, selon son âge et son bagage, mais puisque c’est un peu la même chose pour chacun des personnages, on ne se sent jamais complètement largué – ce qui en soit est un tour de force.

Ces éléments tournoient au cours d’échanges saupoudrés d’humour, d’espoirs, de frustrations et de paillettes. Ils se mélangent et entrent en collision, jusqu’à l’explosion. On retient autant ce qui distingue les personnages de ce qui les relie : la volonté de prendre les rênes de leur histoire, de s’accomplir et de briller aux yeux des autres. Leur trajectoire sera marquée par une transformation et par des moments de rapprochements touchants, surtout entre Exan et Quérida. Leur rapport à l’image, à la célébration et à la célébrité lance des ponts entre la contre-culture et la culture numérique.

© Vincent Champoux

L’histoire du Québec vue de côté

L’autrice réussit à faire un récit vivifiant de l’histoire artistique, sociale et politique du Québec en mariant les points de vue d’une figure restée en coulisses, d’une intellectuelle aux idéaux déçus et d’une jeunesse connectée à la mémoire courte. Les interprètes assument leurs rôles avec conviction, éclat et mordant lorsqu’il le faut. Le ton oscille entre un malaise appuyé et un élan vers l’enchantement, un dosage risqué auquel on prend goût.

Nancy Bernier signe une mise en scène vive et efficace, tout à fait en accord avec le texte de Cristina Moscini — répliques et didascalies comprises (il se dit beaucoup de choses en sous-texte entre les personnages). Elle profite de la mention de La complainte de Lola Lee, de la comédie musicale Demain matin, Montréal m’attend, pour utiliser le talent de lipsync avec lequel Ariel Charest s’est fait connaître et illustrer l’émancipation de son personnage.

Le simple fait que celle-ci passe son temps à tirer sur son chemisier, puis à la remettre dans son pantalon pendant presque toute l’entrevue montre bien l’inconfort et le désarroi de Martine, en chute libre malgré son apparente rigidité et son sens de l’organisation. L’interprétation de Quérida aurait facilement pu tomber dans l’excentricité trop appuyée, voire dans les acrobaties d’ivresse à la Olivier Guimond, mais Lise Castonguay en fait une femme plus complexe, irritable et bourrue, mais encore capable de saisir des gens et de se laisser planer. Le trio est équilibré, puisque Jérémie Michaud a trouvé le bon mélange de drame et d’humanité pour jouer Exan, qui a plus de profondeur qu’il n’y paraît.

Le texte donnait déjà de bonnes pistes par rapport à la scénographie, et les concepteurs les ont suivies avec enthousiasme, en ajoutant des touches de leur cru. Les costumes puisent à l’époque disco, au rayon des soldes chez Reitmans et aux tendances en friperie. Le décor fourmille d’objets des années 60, 70 et 80, véritable hommage à une nostalgie habitée plutôt que muséale – jusqu’à l’authentique plat Tupperware vert olive dans lequel la fameuse Femme-Québec mange son souper réchauffé.

Heureusement, la fin de la pièce laisse entrevoir un futur plus savoureux pour les trois protagonistes, et pour une autrice qui prend de l’altitude.

© Vincent Champoux

La fameuse Femme-Québec

Texte : Cristina Moscini. Mise en scène : Nancy Bernier, assistée d’Hélène Rheault. Décor : Dominique Giguère. Costumes : Marie-Pascale Chevarie. Éclairage : Denis Guérette. Musique : Stéphane Caron. Accessoires : Jeanne Lapierre. Maquillages et costumes : Béatrice Lecomte-Rousseau. Avec Lise Castonguay, Ariel Charest et Jérémie Michaud. Une production du Théâtre La Bordée présentée jusqu’au 23 novembre 2024.