Critiques

Rose : D’épines et d’amitié

© Maison Théâtre

Une jeune femme consulte un psychologue, car elle se sent démunie devant l’anxiété de son fils de 15 ans et son humeur en montagnes russes. Pour l’aider à composer avec une « boule dans le ventre » qu’elle-même connaît trop bien, elle doit replonger dans sa propre adolescence, retrouver la Rose d’autrefois et cette boule à laquelle les médecins ont donné plusieurs noms depuis l’enfance : trouble de l’attention sans hyperactivité, trouble de l’anxiété généralisée, dépression… Depuis, elle a réussi à s’outiller, comme on dit : la boule est toujours là, mais elle a appris à « lui parler dans le casque ».

Des personnages d’ados finement dessinés, des émotions brutes et vraies : Isabelle Hubert relève le pari d’aborder les affres de l’âge ingrat avec sensibilité et humour, en faisant l’éloge de la différence, de l’écoute et de l’amitié. En tournée depuis sa création en 2023 par le Théâtre Bluff et le Théâtre du Gros Mécano, Rose a été reçue avec une qualité d’écoute impressionnante, de fortes et réjouissantes réactions, dans une Maison Théâtre pleine à craquer.

Rompus au théâtre pour ados, Mario Borges et Carol Cassistat ont conçu une mise en scène sobre qui laisse toute la place au jeu. Bien marquées par la scénographie, deux temporalités se font écho sans créer de problème de compréhension chez le jeune public (11 à 14 ans), qui accepte la convention : au premier plan, Rose, adulte, discute avec son psychologue; au second plan, sur une surface inclinée où son déséquilibre est exacerbé, apparaît Rose à 15 ans, jetant un regard cynique sur sa courte existence et sur son prénom tiré du Petit Prince, dont elle ressent chacune des épines. Dans la pénombre, repliée sur sa douleur, elle raconte les jours sombres qu’elle traverse depuis l’enfance. Médicamentée, isolée, suicidaire, elle a appelé son chat Concerta et semble avoir épuisé toutes les ressources à sa disposition.

© Maison Théâtre

Mais une brèche s’ouvre dans sa nuit brumeuse (les clairs-obscurs du début s’adouciront peu à peu) : lors d’une promenade au Complexe G, tour à bureaux du centre-ville de Québec, elle rencontre Victor, un garçon à l’esprit vif, scolarisé à la maison, aussi esseulé qu’elle. Alors que Rose reste tapie dans sa chambre pour fuir le monde extérieur, lui craint le soleil en raison d’une grave maladie de la peau, qui le condamne à brève échéance. Grandissant entre pudeur et enthousiasme, leur amitié amènera la jeune fille vers l’espoir d’un jour nouveau.

Toute la délicatesse de la pièce tient à cette confiance qui se tisse entre les jeunes protagonistes, à travers leurs jeux au Complexe G (« le plus complexé des édifices de la ville »), dont Victor s’amuse à décrire les fonctionnaires, ces « paperassiers » qu’il étudie tel un anthropologue. Si la taciturne adolescente s’épanouit auprès de Victor, celui-ci comble grâce à elle des carences : enfant, il allait à l’école avec un casque de la NASA pour se protéger de la lumière. Il a bien sûr subi du rejet, avant d’être retiré de l’école. Rose lui permet de jouer au hockey bottine pour la première fois, alors qu’il en a toujours rêvé. Célia Gouin-Arsenault et Félix Lahaye incarnent avec une grâce toute juvénile ces riches et attachants personnages, avec leurs blessures, leur vulnérabilité, mais aussi leur créativité et leur courage.

L’autrice aborde avec doigté les envies suicidaires de Rose, en y insufflant un peu d’humour. Ainsi, Victor élabore pour son amie des fiches de trucs anti-suicide : le soleil, la respiration, la famille…, qu’il affuble de noms latins. Derrière la naïveté de ses méthodes perce la profonde tendresse qu’il éprouve pour elle. C’est Rose adulte qui nous apprendra qu’elle a mis à profit l’ultime conseil de Victor : assister au lever du soleil quand la boule d’angoisse l’étreint.

Avec pas de cell

On pourra s’étonner de l’ancrage temporel pour lequel a opté l’autrice. Rose, en effet, est une jeune fille de notre époque, comme l’attestent son téléphone cellulaire et les clins d’œil à tel jeu, telle série télévisée, ce qui d’emblée inscrit Rose adulte dans le futur. Pourquoi ce choix ? A-t-on craint que le public ne s’identifie pas à de jeunes personnages des années 90 ou 2000 ? Les références culturelles sont pourtant plutôt anecdotiques dans le spectacle. La figure de Rose, avec son anxiété, sa combativité, et l’histoire de son amitié avec Victor peuvent toucher tous les cœurs. Même sans cell.

© Maison Théâtre

Rose

Texte : Isabelle Hubert. Mise en scène : Mario Borges et Carol Cassistat, assistés de Amélie-Claude Riopel. Interprétation : Pierre-Yves Charbonneau, Éva Daigle ou Nadine Meloche, Célia Gouin-Arsenault et Félix Lahaye. Scénographie : Odile Gamache. Costumes : Noémie Richard. Éclairages : Renaud Pettigrew. Environnement sonore : Stéphane Caron. Spatialisation sonore : Robert Caux. Sonorisateur consultant et régie : Frédérick Bélanger. Vidéo : Julien Blais. Une coproduction du Théâtre Bluff du Théâtre du Gros Mécano présentée à la Maison Théâtre jusqu’au 17 novembre 2024.