À deux reprises cet automne, le Théâtre du Nouveau Monde a présenté des spectacles tirés de romans québécois à succès (La femme qui fuit et Kukum). Qu’est-ce que cet attrait pour les adaptations théâtrales dit de notre dramaturgie ?
Du livre à la pièce de théâtre
Il faut saluer, avant toute chose, la distribution presque entièrement autochtone, un fait inédit au TNM, tout comme l’omniprésence de l’innu-aimun dans les dialogues. Cette langue magnifique émeut par sa simple profération sur les scènes de cette institution théâtrale. Quelle joie de pouvoir entendre ce chant d’amour, de chasse et de deuil dans sa langue d’origine, grâce à la traduction simultanée. Tout au long de la pièce, des surtitres nous permettent en effet de conserver à la fois le son et le sens de récit.
Rappelons d’abord la prémisse de Kukum. Un homme, qui suivait un vol d’outardes, tombe sur une jeune femme à qui il offre sa récolte. Il parle à peine français, elle ne connaît pas l’innu-aimun. Improbable, mais ô combien romantique scène d’un début amoureux. Almanda, jeune orpheline de quinze ans vivant à Saint-Prime, s’amourache ainsi de Thomas, un innu de Pointe-Bleue qui l’entraîne dans ses terres. Cette grande histoire d’amour se fera sous le signe du territoire et des traditions offertes en partage. Racontée du point de vue subjectif d’Almanda, devenue Siméon après son mariage avec Thomas, l’histoire nous entraîne sur plusieurs décennies, durant lesquelles le paysage se verra transfiguré par le chemin de fer, l’industrialisation et les pensionnats autochtones.
Les scènes suivant la rencontre entre Thomas et Almanda se font sur un ton léger, rieur et plutôt chaste. Le côté bon enfant de cette ouverture mine parfois la chimie entre les comédiens (Léane Labrèche-Dor et Étienne Thibeault), où le comique le dispute au sérieux, et si leur complicité est palpable, il est en revanche difficile de croire à l’attirance entre les deux personnages. Léane Labrèche-Dor gagne cependant en assurance au fil de la pièce et se montre plus convaincante dans la deuxième moitié du spectacle, où elle incarne une Almanda vieillissante. On aurait pris davantage de cette grand-mère combative, qui cherche à transmettre sa mémoire à sa petite-fille.
Le défi d’un tel spectacle, comme du reste pour toute adaptation théâtrale, est d’inviter la théâtralité sur scène. Malheureusement, trop de vignettes ne sont que des passages du roman lus sur la scène, si bien que l’on se sent par moments dans une lecture théâtrale. Almanda narre au je dans des souvenirs à l’imparfait de longs passages du livre, qui, plutôt que d’ouvrir un espace d’évocation poétique, font plutôt stagner la création. De fait, les meilleures scènes sont celles où l’on joue les souvenirs du roman, où on le met pour ainsi dire en action. Pensons notamment à la rencontre entre Almanda Siméon et Maurice Duplessis. Bref, on ne saurait trop rappeler ce vieux diktat : show, don’t tell.
Inviter le territoire
Malgré ces écueils, il faut dire que le spectacle possède aussi des qualités indéniables, à commencer par la mise en scène et la conception visuelle, portée par les sœurs Caroline et Émilie Monnet. Celles-ci ont eu l’idée d’intégrer des archives filmiques du territoire et des Innus, un accompagnement documentaire qui offre beaucoup de souffle à la partition. La présence faunique, qui peuple les décors, le paysage sonore et même les costumes, permet véritablement d’accéder à un sentiment de transcendance, presque sacré. C’est également aux sœurs Monnet que l’on doit l’un des plus beaux tableaux jamais vus au théâtre québécois, soit la mort du personnage de Malek, qui, dirait-on, s’en va rejoindre les caribous courant dans la neige. La scénographie et les éclairages (génial Martin Sirois), misant sur le symbole du cercle, témoigne d’une grande inventivité. On n’en dit pas plus.
La puissance de la pièce réside ainsi dans sa manière de restituer la grandeur du territoire et de nous donner à le sentir dans chacun de nos pores, à travers ces fresques de rivières, d’étendues de neige et de taïga. Cette composante visuelle fort travaillée est également soutenue par une dimension sonore absolument vibrante. Les chants performés en direct, tambour battant, provoquent émoi et frissons. Si la théâtralité peine parfois à éclore, cela ne se fait pas au prix d’une flèche, plantée droit dans le cœur.
Assistance à la mise en scène et régie : Claudie Gagnon. Décor : Simon Guilbault. Co-conception costumes et conception coiffures : Sophie El-Assaad. Co-conception costumes: Kim Picard. Assistance costumes: Yso South. Éclairages : Martin Sirois. Conception sonore : Marie-Frédérique Gravel. Musique traditionnelle : Mathieu McKenzie, Kim Fontaine et Hugo Perreault. Conception vidéo : Caroline Monnet. Assistance à la conception vidéo : Dominique Hawry. Gardienne des savoirs innus : Joséphine Bacon. Accessoires : Mayumi Ide-Bergeron. Coach chant : Mathilde Côté. Maquillages : Florence Cornet. Perruques et réalisation des coiffures : Denis Parent. En coproduction avec Onishka. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 15 décembre 2024.
À deux reprises cet automne, le Théâtre du Nouveau Monde a présenté des spectacles tirés de romans québécois à succès (La femme qui fuit et Kukum). Qu’est-ce que cet attrait pour les adaptations théâtrales dit de notre dramaturgie ?
Du livre à la pièce de théâtre
Il faut saluer, avant toute chose, la distribution presque entièrement autochtone, un fait inédit au TNM, tout comme l’omniprésence de l’innu-aimun dans les dialogues. Cette langue magnifique émeut par sa simple profération sur les scènes de cette institution théâtrale. Quelle joie de pouvoir entendre ce chant d’amour, de chasse et de deuil dans sa langue d’origine, grâce à la traduction simultanée. Tout au long de la pièce, des surtitres nous permettent en effet de conserver à la fois le son et le sens de récit.
Rappelons d’abord la prémisse de Kukum. Un homme, qui suivait un vol d’outardes, tombe sur une jeune femme à qui il offre sa récolte. Il parle à peine français, elle ne connaît pas l’innu-aimun. Improbable, mais ô combien romantique scène d’un début amoureux. Almanda, jeune orpheline de quinze ans vivant à Saint-Prime, s’amourache ainsi de Thomas, un innu de Pointe-Bleue qui l’entraîne dans ses terres. Cette grande histoire d’amour se fera sous le signe du territoire et des traditions offertes en partage. Racontée du point de vue subjectif d’Almanda, devenue Siméon après son mariage avec Thomas, l’histoire nous entraîne sur plusieurs décennies, durant lesquelles le paysage se verra transfiguré par le chemin de fer, l’industrialisation et les pensionnats autochtones.
Les scènes suivant la rencontre entre Thomas et Almanda se font sur un ton léger, rieur et plutôt chaste. Le côté bon enfant de cette ouverture mine parfois la chimie entre les comédiens (Léane Labrèche-Dor et Étienne Thibeault), où le comique le dispute au sérieux, et si leur complicité est palpable, il est en revanche difficile de croire à l’attirance entre les deux personnages. Léane Labrèche-Dor gagne cependant en assurance au fil de la pièce et se montre plus convaincante dans la deuxième moitié du spectacle, où elle incarne une Almanda vieillissante. On aurait pris davantage de cette grand-mère combative, qui cherche à transmettre sa mémoire à sa petite-fille.
Le défi d’un tel spectacle, comme du reste pour toute adaptation théâtrale, est d’inviter la théâtralité sur scène. Malheureusement, trop de vignettes ne sont que des passages du roman lus sur la scène, si bien que l’on se sent par moments dans une lecture théâtrale. Almanda narre au je dans des souvenirs à l’imparfait de longs passages du livre, qui, plutôt que d’ouvrir un espace d’évocation poétique, font plutôt stagner la création. De fait, les meilleures scènes sont celles où l’on joue les souvenirs du roman, où on le met pour ainsi dire en action. Pensons notamment à la rencontre entre Almanda Siméon et Maurice Duplessis. Bref, on ne saurait trop rappeler ce vieux diktat : show, don’t tell.
Inviter le territoire
Malgré ces écueils, il faut dire que le spectacle possède aussi des qualités indéniables, à commencer par la mise en scène et la conception visuelle, portée par les sœurs Caroline et Émilie Monnet. Celles-ci ont eu l’idée d’intégrer des archives filmiques du territoire et des Innus, un accompagnement documentaire qui offre beaucoup de souffle à la partition. La présence faunique, qui peuple les décors, le paysage sonore et même les costumes, permet véritablement d’accéder à un sentiment de transcendance, presque sacré. C’est également aux sœurs Monnet que l’on doit l’un des plus beaux tableaux jamais vus au théâtre québécois, soit la mort du personnage de Malek, qui, dirait-on, s’en va rejoindre les caribous courant dans la neige. La scénographie et les éclairages (génial Martin Sirois), misant sur le symbole du cercle, témoigne d’une grande inventivité. On n’en dit pas plus.
La puissance de la pièce réside ainsi dans sa manière de restituer la grandeur du territoire et de nous donner à le sentir dans chacun de nos pores, à travers ces fresques de rivières, d’étendues de neige et de taïga. Cette composante visuelle fort travaillée est également soutenue par une dimension sonore absolument vibrante. Les chants performés en direct, tambour battant, provoquent émoi et frissons. Si la théâtralité peine parfois à éclore, cela ne se fait pas au prix d’une flèche, plantée droit dans le cœur.
Kukum
Assistance à la mise en scène et régie : Claudie Gagnon. Décor : Simon Guilbault. Co-conception costumes et conception coiffures : Sophie El-Assaad. Co-conception costumes: Kim Picard. Assistance costumes: Yso South. Éclairages : Martin Sirois. Conception sonore : Marie-Frédérique Gravel. Musique traditionnelle : Mathieu McKenzie, Kim Fontaine et Hugo Perreault. Conception vidéo : Caroline Monnet. Assistance à la conception vidéo : Dominique Hawry. Gardienne des savoirs innus : Joséphine Bacon. Accessoires : Mayumi Ide-Bergeron. Coach chant : Mathilde Côté. Maquillages : Florence Cornet. Perruques et réalisation des coiffures : Denis Parent. En coproduction avec Onishka. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 15 décembre 2024.