Topical Danse de Sebastian Kann se veut un « concert expérimental et un solo de danse conceptuel ». Formé au départ comme acrobate, l’artiste interdisciplinaire a bifurqué vers la chorégraphie avec une démarche utilisant autant le texte que les formes plus théâtrales.
Est-ce que le changement de l’acrobatie vers la danse était motivé par une volonté de s’exprimer dans une démarche plus personnelle ?
À priori, pour moi, la danse n’est pas plus propice à l’expression personnelle que le cirque. En ce qui a trait aux techniques utilisées en studio, je suis allé vers la danse pour approfondir ma pratique. En désirant pousser loin l’écriture, je me suis aussi tourné vers la danse parce que c’est une discipline où les techniques d’improvisation sont très développées. Les limites auxquelles je me suis confronté dans le milieu du cirque n’ont pas vraiment rapport au potentiel expressif des disciplines. Je crois que c’est aussi plus difficile de s’exprimer en utilisant le cirque que la danse. Mais en danse, l’abstraction est plus acceptée. Les vitesses, les architectures, les sons, etc., et l’attention du public m’ont toujours davantage intéressé que les récits psychologiques.
Est-ce que l’utilisation du texte se fait dans le même sens ?
Mon médium, c’est l’espace théâtral. Comme internet, c’est un genre de « métacadre » dans lequel des objets très différents – vidéos, texte, sons, mouvements, etc. – peuvent dialoguer. Le texte m’intéresse comme modèle de toute autre forme de communication. Quand on dit « message », on a tendance à penser « langage ». Cette prédilection culturelle pour le texte produit, ce que j’appelle le modèle de la danse façon « charades » (the charades model of dance) : s’exprimer à travers la danse serait quelque chose comme un jeu de charades où le public essaie de devenir la signification des gestes. Mais la danse n’est pas vraiment un jeu de charades. La danse n’est pas une boîte dans laquelle le texte se trouve. Et le texte, lui, n’est rien de pur et de simple. Le texte peut se fermer à nous, il peut nous renvoyer à mille différents endroits, il peut agir comme une fenêtre, mais aussi comme un miroir. Il peut se projeter dans l’espace avec chaque lettre, chaque trait, la trace d’un mouvement, telle une chorégraphie pour les yeux, pour la bouche. Dans cette œuvre, je joue avec le texte parce que je m’intéresse à la relation hiérarchique entre la danse et le texte, que j’essaie de déstabiliser.
Comment se marient justement les mots, les phrases et les gestes dans ta performance ?
Je ne dirais pas qu’ils se marient, mais plutôt qu’ils opèrent de manière similaire. Les textes dans Topical Dance ne renvoient pas à un récit simple. Ils sont à la fois multiples – nous faisant penser à plusieurs récits possibles – et concrètement matériels, c’est-à-dire sonores (pour le texte parlé) et architecturaux (pour les mots écrits et projetés). J’espère que la danse agit pareillement, à la fois comme une ouverture à de multiples images et de sensations qui se superposent, et une série de gestes qui sont tout simplement concrets, « just a dance move ». Il y a du contenu dans cette pièce; on suit un personnage qui s’appelle Eva à travers un palais mystérieux. Ce récit, qui est en fin de compte plus un tableau vivant ou une scène – ne se conclut pas, ne va nulle part. Les transformations et les répétitions de ce récit sont plus significatives dans notre démarche. C’est là-dedans que la recherche a eu lieu.
La musique est un autre langage présent dans le spectacle. Comment s’arrime-t-elle avec les mots et les mouvements ?
Simone Provencher joue de la musique originale pendant le spectacle. Elle a eu un rôle clé dans notre processus, et elle est également le deuxième personnage sur scène. Elle intervient sur le plan sonore, mais aussi dans l’espace. Dans sa pratique personnelle, Simone réalise une musique très riche, avec beaucoup de couches superposées. Pour ce spectacle, on a tenté le contraire: une note, un son à la fois. Nous voulions souligner le lien entre ses gestes – souffler dans une flûte, appuyer sur les touches d’un synthé – et le son, pour que chacun nous apparaisse comme la trace d’un geste. C’est encore une fois l’envers de la relation habituelle entre la danse et la musique. Normalement, c’est la musique qui fait bouger les corps. Ici, c’est le mouvement du corps qui se traduit en son.
Les temps sont difficiles financièrement en arts vivants. Comment cela vous affecte-t-il ?
La recherche a bénéficié du soutien du Conseil des arts de Montréal, mais en cycle de production nous n’avons eu aucun financement gouvernemental. Nous avons été très chanceux et chanceuses de l’appui de Danse-Cité et de tous les autres partenaires, ce qui a rendu le projet possible. Mais, même avec tout ce soutien, le manque de financement gouvernemental nous a mis dans une situation très difficile. Finalement, j’ai décidé de travailler gratuitement, grâce à mon boulot d’enseignant, pour le projet au lieu d’annuler les représentations qui étaient programmées. Mais ce n’est pas normal et ce n’est pas durable. Je ne comprends pas comment les Conseils des arts peuvent nous mettre dans de telles situations. En ce moment, les bourses fonctionnent comme des prix; on les reçoit rarement, et parfois après avoir déjà investi notre propre argent. Mais les bourses doivent fonctionner plus comme des salaires. Il n’y a pas d’autres milieux où la paie est accordée par un système de loterie. Notre passion pour notre métier nous rend vulnérables à ce genre d’exploitation.
Topical Dance est présenté à La Chapelle Scènes Contemporaines jusqu’au 30 novembre 2024.
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Topical Danse de Sebastian Kann se veut un « concert expérimental et un solo de danse conceptuel ». Formé au départ comme acrobate, l’artiste interdisciplinaire a bifurqué vers la chorégraphie avec une démarche utilisant autant le texte que les formes plus théâtrales.
Est-ce que le changement de l’acrobatie vers la danse était motivé par une volonté de s’exprimer dans une démarche plus personnelle ?
À priori, pour moi, la danse n’est pas plus propice à l’expression personnelle que le cirque. En ce qui a trait aux techniques utilisées en studio, je suis allé vers la danse pour approfondir ma pratique. En désirant pousser loin l’écriture, je me suis aussi tourné vers la danse parce que c’est une discipline où les techniques d’improvisation sont très développées. Les limites auxquelles je me suis confronté dans le milieu du cirque n’ont pas vraiment rapport au potentiel expressif des disciplines. Je crois que c’est aussi plus difficile de s’exprimer en utilisant le cirque que la danse. Mais en danse, l’abstraction est plus acceptée. Les vitesses, les architectures, les sons, etc., et l’attention du public m’ont toujours davantage intéressé que les récits psychologiques.
Est-ce que l’utilisation du texte se fait dans le même sens ?
Mon médium, c’est l’espace théâtral. Comme internet, c’est un genre de « métacadre » dans lequel des objets très différents – vidéos, texte, sons, mouvements, etc. – peuvent dialoguer. Le texte m’intéresse comme modèle de toute autre forme de communication. Quand on dit « message », on a tendance à penser « langage ». Cette prédilection culturelle pour le texte produit, ce que j’appelle le modèle de la danse façon « charades » (the charades model of dance) : s’exprimer à travers la danse serait quelque chose comme un jeu de charades où le public essaie de devenir la signification des gestes. Mais la danse n’est pas vraiment un jeu de charades. La danse n’est pas une boîte dans laquelle le texte se trouve. Et le texte, lui, n’est rien de pur et de simple. Le texte peut se fermer à nous, il peut nous renvoyer à mille différents endroits, il peut agir comme une fenêtre, mais aussi comme un miroir. Il peut se projeter dans l’espace avec chaque lettre, chaque trait, la trace d’un mouvement, telle une chorégraphie pour les yeux, pour la bouche. Dans cette œuvre, je joue avec le texte parce que je m’intéresse à la relation hiérarchique entre la danse et le texte, que j’essaie de déstabiliser.
Comment se marient justement les mots, les phrases et les gestes dans ta performance ?
Je ne dirais pas qu’ils se marient, mais plutôt qu’ils opèrent de manière similaire. Les textes dans Topical Dance ne renvoient pas à un récit simple. Ils sont à la fois multiples – nous faisant penser à plusieurs récits possibles – et concrètement matériels, c’est-à-dire sonores (pour le texte parlé) et architecturaux (pour les mots écrits et projetés). J’espère que la danse agit pareillement, à la fois comme une ouverture à de multiples images et de sensations qui se superposent, et une série de gestes qui sont tout simplement concrets, « just a dance move ». Il y a du contenu dans cette pièce; on suit un personnage qui s’appelle Eva à travers un palais mystérieux. Ce récit, qui est en fin de compte plus un tableau vivant ou une scène – ne se conclut pas, ne va nulle part. Les transformations et les répétitions de ce récit sont plus significatives dans notre démarche. C’est là-dedans que la recherche a eu lieu.
La musique est un autre langage présent dans le spectacle. Comment s’arrime-t-elle avec les mots et les mouvements ?
Simone Provencher joue de la musique originale pendant le spectacle. Elle a eu un rôle clé dans notre processus, et elle est également le deuxième personnage sur scène. Elle intervient sur le plan sonore, mais aussi dans l’espace. Dans sa pratique personnelle, Simone réalise une musique très riche, avec beaucoup de couches superposées. Pour ce spectacle, on a tenté le contraire: une note, un son à la fois. Nous voulions souligner le lien entre ses gestes – souffler dans une flûte, appuyer sur les touches d’un synthé – et le son, pour que chacun nous apparaisse comme la trace d’un geste. C’est encore une fois l’envers de la relation habituelle entre la danse et la musique. Normalement, c’est la musique qui fait bouger les corps. Ici, c’est le mouvement du corps qui se traduit en son.
Les temps sont difficiles financièrement en arts vivants. Comment cela vous affecte-t-il ?
La recherche a bénéficié du soutien du Conseil des arts de Montréal, mais en cycle de production nous n’avons eu aucun financement gouvernemental. Nous avons été très chanceux et chanceuses de l’appui de Danse-Cité et de tous les autres partenaires, ce qui a rendu le projet possible. Mais, même avec tout ce soutien, le manque de financement gouvernemental nous a mis dans une situation très difficile. Finalement, j’ai décidé de travailler gratuitement, grâce à mon boulot d’enseignant, pour le projet au lieu d’annuler les représentations qui étaient programmées. Mais ce n’est pas normal et ce n’est pas durable. Je ne comprends pas comment les Conseils des arts peuvent nous mettre dans de telles situations. En ce moment, les bourses fonctionnent comme des prix; on les reçoit rarement, et parfois après avoir déjà investi notre propre argent. Mais les bourses doivent fonctionner plus comme des salaires. Il n’y a pas d’autres milieux où la paie est accordée par un système de loterie. Notre passion pour notre métier nous rend vulnérables à ce genre d’exploitation.
Topical Dance est présenté à La Chapelle Scènes Contemporaines jusqu’au 30 novembre 2024.
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