Critiques

Naviguer l’incroyable : Entrelacs en diverses teintes

© Marie-France Falardeau

La quatrième édition des Veillées festives du Petit Théâtre du Nord, dont le contenu narratif s’inspire du territoire des Laurentides, s’intéresse spécifiquement aux cours et étendues d’eaux qui ponctuent cette région. Quatre autrices et auteurs en ont tiré autant de contes que précèdent et suivent des chansons entonnées par les trois comédien·nes de la distribution, accompagné·es sur scène par le musicien Benoît Archambault.

Le thème du spectacle apparaît limpide dès l’entrée en salle. D’abord, celle-ci est utilisée dans le sens inverse de sa configuration habituelle, ce qui fait que la scène, bifrontale, s’étend en un long et étroit couloir… maritime. Celui-ci se révèle parsemé d’objets (un canot, un sapin de Noël, des cadeaux…) scindés sur la diagonale, ce qui suggère qu’ils sont partiellement immergés. Une fort belle idée.

La première histoire, « Pendant moi le déluge », écrite par Camille Giguère-Côté (dont on pourra voir Le show beige cet hiver à la Licorne) et interprétée par Flavie Bourgeois, en est une d’amour déçu. Si le jeu de la jeune comédienne s’avère convaincant, le récit alambiqué mettant en scène une femme rejetée par l’objet de son désir et souhaitant créer ou devenir un lac en guise de représailles laisse perplexe.

© Marie-France Falardeau

Dans un tout autre genre, « La régate dérape », signée par Jean-Guy Legault (metteur en scène pour le Cirque du Soleil, mais aussi coauteur, avec Simon Boudreault, du désopilant Gloucester, délire shakespearien), raconte une course épique sur une rivière. Précisons que l’un des véhicules est fait de glace, alors que l’événement se tient en été… Les personnages typés, voire archétypaux, s’expriment en vers au piétage irrégulier (ce qui confère rythme et intérêt à l’aspect formel du texte) et sont tous campés par Luc Bourgeois.

Cet acteur possède un talent comique indéniable, voire irrésistible, qu’on aimerait d’ailleurs voir briller plus régulièrement sur scène. Cependant, la magie n’opère qu’à moitié dans ce conte. Manque-t-il de singularité, de surprises ? Y aurait-il excès de mise en scène ? Mimiques itératives, course sempiternelle d’un bout à l’autre de la longue scène… Frédéric Blanchette, qui orchestre le tout, a certes habitué ses fidèles à plus de sobriété.

Heureusement, celle-ci renaît dans le troisième chapitre de la soirée, permettant à Mélanie St-Laurent d’offrir une performance d’une grande justesse. Dans « Chercher Fernand », d’Emmanuelle Jimenez (dramaturge à qui l’on doit, entre autres, Cendres et Centre d’achats), une femme raconte, en se glissant dans la peau de son grand-père qui lui en a maintes fois fait le récit, comment celui-ci et son ami se sont enfuis ensemble d’un orphelinat en barque, avant que le courant ne les sépare pour toujours… ou presque. Il s’agit certainement là du tableau le plus prégnant de la soirée.

Celle-ci se conclut par « Le Chant du Baskatong », de Thomas Dufour, dont la pièce Maison seule s’est vue récompensée par le Prix Gratien-Gélinas du Centre des auteurs dramatiques. Cette histoire recèle tous les attributs d’un conte réussi : une généreuse pointe d’humour, des péripéties rocambolesques ainsi qu’une part de merveilleux à laquelle on a envie de croire. Deux âmes esseulées se rencontrent alors qu’un feu de forêt dévore toute forme de vie sur son passage. Céderont-elles à l’urgence d’aimer avant de s’éteindre ?

Mentionnons qu’au retour de l’entracte, spectateurs et spectatrices sont invité·es à prendre part à un jeu-questionnaire portant sur les eaux laurentiennes, une initiative rassembleuse et égayante. Sinon, peut-être vu le nombre restreint d’interprètes et/ou les choix musicaux où prime la douceur, l’ambiance régnant sur cette veillée festive tient plutôt de l’ataraxie et du réconfort que de l’exaltation. Il y a des célébrations qui sont plus quiètes que d’autres et cela ne veut certes pas dire qu’elles soient ennuyeuses. Qui plus est, que père et fille (Luc et Flavie Bourgeois) foulent ensemble les planches en énonçant explicitement leur lien fait des membres de l’auditoire les témoins d’une communion filiale – s’inscrivant dans la transmission et le partage de l’art qui les unit – qui ne manque pas d’attendrir.

© Marie-France Falardeau

Naviguer l’incroyable

Textes : Thomas Dufour, Camille Giguère-Côté, Emmanuelle Jimenez et Jean-Guy Legault. Mise en scène : Frédéric Blanchette. Assistance à la mise en scène : William Lépine. Musique : Benoît Archambault. Scénographie : Laurianne Gagnon. Costumes : Rosemarie Levasseur. Éclairages : Jocelyn Proulx. Avec Flavie Bourgeois, Luc Bourgeois et Mélanie St-Laurent. Une production du Petit Théâtre du Nord présentée au Centre de création de Boisbriand jusqu’au 14 décembre 2024.