Critiques

Frétillant et Agile : Savoureuse épopée

© Caroline Rousseau-Merveillie

L’important pour un chercheur d’histoires, c’est d’en trouver. Même s’il n’est pas historien de formation, Jocelyn Sioui est passé maître dans la science de débusquer des récits méconnus de héros qui le sont tout autant. Après Mononk Jules, le conteur wendat présente Frétillant et Agile, un spectacle savoureux et fantasmagorique au sujet d’Auhaïtsic, un fragile et surprenant héros obscur qui aurait sauvé sa nation de l’extinction. 

A-t-il ou non existé que cela importe bien peu dans le récit que fait Sioui de sa vie, même si le conteur nous montre quelques documents tendant à démontrer la véracité de certains faits. Les péripéties saugrenues ne manquent pas dans cette existence hors du commun. L’artiste fabrique justement une vie où la grande et la petite histoire se rencontrent. Personnage chétif, peu apprécié de sa tribu, Auhaïtsic, qui serait à l’origine du nom du quartier Ahuntsic à Montréal, prend à un certain moment des allures de miraculé qui lui permettront de mener son peuple à la terre promise. Suivant ses conseils, les Wendats s’enfuiront avec succès de la région montréalaise pour s’installer dans celle de la ville de Québec, pourchassés inlassablement par leurs ennemis d’une autre nation autochtone.

© Caroline Rousseau-Merveillie

Jocelyn Sioui mène son canot narratif en pagayant énergiquement avec l’aide de marins aguerris : les musiciens multiinstrumentistes Luzio Altobelli et Bertil Schulrabe, ainsi que l’artiste de sable Catherine Gignac, dont les dessins reproduits sur l’écran arrière agrémentent le récit de façon pertinente dans un style imagé et poétique. Le conteur s’inscrit, en fait, dans la grande tradition des bonimenteurs qui accompagnaient autrefois les spectacles forains ou les premiers films du « cinématographe ». Sioui tient compte du public en le relançant à différentes reprises. Sa maîtrise du rythme de la représentation déjoue complètement le concept même de temps mort, diffusant un humour bon enfant ou un ton plus sérieux aux moments opportuns.

Comme dans Mononk Jules, Frétillant et Agile ne cherche pas à glorifier les uns ou à diaboliser les autres dans la pléthore de personnages de la narration . Ces spectacles jettent la lumière sur des êtres loin d’être parfaits, et se montrent d’autant plus sympathiques. Le ton du conteur emprunte à la confidence et au réel désir d’échange avec un public qui devient complice de ses élucubrations. Jocelyn Sioui sait créer une ambiance qui vogue entre l’empathie et la franche camaraderie. Tout en nous reconnectant avec une histoire invisibilisée, comme il le dit lui-même, qui mérite d’être contée et entendue.

Le conteur sait retenir l’essentiel, c’est-à-dire se concentrer sur des figures réelles ou inventées pour dire à sa façon que l’histoire des Premières Nations possède plusieurs angles morts qu’il a le don de fouiller et d’explorer à fond. Jocelyn Sioui n’est peut-être pas un historien de formation, mais il sait que l’Histoire n’est pas faite que de grands héros inoubliables et de premières qui ont changé à jamais le cours des choses. Son humilité comme artiste lui sert à rendre visible ce qui ne l’est malheureusement pas, sans se prendre trop au sérieux, mais sans occulter certains messages qui méritent d’être entendus par tous et toutes.

© Caroline Rousseau-Merveillie

Frétillant et Agile

Texte et interprétation : Jocelyn Sioui. Musique, composition et interprétation : Luzio Altobelli, Bertil Schulrabe. Artiste de sable : Catherine Gignac. Marionnettes d’ombres : Jessica Blanchet. Concepteur d’éclairages : Mathieu Marcil. Directrice de production : Elizabeth Déry. Régie : Kristelle Delorme. Une production de Jocelyn Sioui et de Productions Illusion fabuleuse. Présenté à l’Espace Le vrai monde ? du 31 octobre au 2 novembre 2024 et à la Salle Pauline-Julien le 14 novembre 2024.  En tournée au Québec du 15 janvier au 22 mai 2025.