JEU des 5 questions

Cinq questions à Corpuscule Danse

© Christel Bourque

Marie-Hélène Bellavance et Georges-Nicolas Tremblay assurent la direction artistique de Corpuscule Danse, fondée il y a 25 ans par France Geoffroy. La troupe se produit en ayant toujours en tête des enjeux comme la diversité, l’inclusion et l’interdisciplinarité.

Dépaysement : les eaux intimes aborde de grandes questions de l’intime au collectif en passant par la transformation. Comment ce spectacle a-t-il émergé dans le travail de création ?

Le projet est d’abord une rencontre entre l’univers artistique de Marie-Hélène Bellavance et celui de Georges-Nicolas Tremblay. Il s’agit d’un fin mélange de leurs intérêts qui a donné naissance, dans sa forme, à une expérience immersive et performative en arts visuels, où apparaissent les notions de cycle et de transformation que nous traversons à différents moments de nos vies. Corpuscule Danse étant avant tout une compagnie de danse inclusive, il est primordial pour nous de donner une voix aux spécificités de chacun. Par cette approche collective, nous avons abordé ces idées avec les interprètes, ce qui nous a fait plonger dans des récits personnels et intimes. De ces histoires, nous avons tissé une toile collective qui est devenue cette installation performative réinterprétée et fragmentée.

© Christel Bourque

Clairement vous continuez à sortir des sentiers battus et rebattus avec ce spectacle. Comment est survenue et s’est développée cette idée de travailler avec les arts visuels ?

Marie-Hélène a une formation et une pratique en arts visuels, alors que Georges-Nicolas a construit sa pratique autour de la danse. En prenant la codirection de la compagnie, les deux artistes avaient un besoin de mettre de l’avant leur force respective pour affirmer leur direction artistique. C’est donc dans un désir de décloisonnement des disciplines pour ouvrir à une approche pluridisciplinaire que ce projet est né, mais aussi dans un souci d’élargir le répertoire de la compagnie avec des propositions qui sortent des cadres plus traditionnels en arts vivants.

Aux représentations s’ajoutent des visites et des rencontres réparties sur trois semaines. Là aussi vous innovez ?

L’œuvre aborde les thèmes de la transformation et des cycles. Ainsi tout au long de l’exposition il était important pour nous d’offrir aux spectateurs l’occasion de vivre cette constante évolution de notre environnement et des êtres vivants qui le constituent. C’est un projet ambitieux et énorme que nous développons depuis 4 ans déjà. Il semblait donc tout naturel de maximiser le temps pendant lequel l’exposition se déroulera pour animer cet espace. C’est pourquoi, en plus des performances, il y aura des ateliers de médiation, des moments d’habitation pendant lesquels les artistes seront présents pour animer les installations et même une possibilité de découvrir une œuvre en chantier de l’artiste Alexandra Templier, qui est également interprète et conceptrice sonore pour ce projet. L’exposition en soi est riche à visiter, et nous espérons que plusieurs personnes viendront la découvrir, mais nous trouvions aussi intéressant d’accepter la mutabilité de l’espace. Même les gens qui viendront découvrir cette installation performative laisseront des traces et transformeront l’environnement. C’est donc une invitation à passer plus d’une fois pour vivre la transformation, comme un dépaysement progressif et bienveillant.

© Christel Bourque

Depuis 25 ans maintenant, vous redéfinissez aussi les notions d’inclusivité. Avez-vous noté des changements d’attitude du public et des diffuseurs depuis vos débuts ?

Depuis 25 ans il y a eu une évolution marquée des mentalités grâce à des pionniers et pionnières, comme France Geoffroy, fondatrice de la compagnie. C’est un lent processus et certains enjeux d’accessibilité demeurent parfois complexes à enrayer, mais nous voyons définitivement une plus grande ouverture face au travail de la compagnie. Cet intérêt semble s’aligner avec la mouvance envers l’inclusion et l’ouverture à la différence. On sent un plus grand respect et une meilleure reconnaissance du travail que nous faisons et envers les artistes de la diversité fonctionnelle. Nous voyons de plus en plus d’artistes créateurs en position de leadership, les subventionneurs investissent et reconnaissent la qualité des projets mettant en scène des artistes de la diversité fonctionnelle et plusieurs initiatives permettent aux publics plus d’accessibilité aux œuvres. Il reste encore du travail à faire, mais il nous fait toujours plaisir de partager notre expertise en inclusion pour faciliter la compréhension des multiples réalités des diversités fonctionnelles et accompagner le public et les diffuseurs dans leur désir de s’ouvrir à ces réalités. C’est d’ailleurs un grand plaisir pour nous de collaborer avec Danse-Cité et de mettre en commun nos expertises respectives sur différents pans de l’accessibilité.

À la veille d’un budget provincial où l’on s’inquiète des sommes allouées au CALQ, quelles répercussions a eu cette période difficile pour votre compagnie ?

C’est certainement un moment difficile pour celles et ceux qui évoluent dans le domaine des arts. C’est même alarmant de voir tout un milieu être fragilisé par ce manque d’engagement politique ferme et substantiel envers l’art. Si notre compagnie s’en sort encore bien pour le moment, nous demeurons affecté·es de voir des collègues sombrer dans une plus grande précarité, de constater que le nombre de diffusions est en diminution et de subir la pénurie de main-d’œuvre, faute de pouvoir ajuster les salaires face à l’indexation du coût de la vie et à l’inflation. Ce dernier point est sans doute celui qui nous affecte le plus concrètement. Nous perdons des expertises en gestion, en administration, en conception, en direction technique et en technique de scène qui prendront du temps à se renouveler. Ce manque de ressources humaines occasionne un stress supplémentaire sur les personnes en place qui doivent redoubler d’ardeur pour accomplir le travail, sans recevoir les compensations salariales conséquentes. Le pire, c’est qu’il n’y a rien à l’horizon pour nous rassurer. Heureusement que des œuvres comme Dépaysement : les eaux intimes sont là pour nous permettre de nous évader et de continuer de rêver.

Dépaysement : les eaux intimes est présenté du 16 janvier au 7 février 2025 à la Fonderie Darling.

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