Camille Giguère-Côté est comédienne et autrice. Le show beige, publié chez Atelier 10, est sa première pièce, mais ne sera pas la dernière.
Comment vous est venue l’idée de passer de l’interprétation à l’écriture ?
Je ne suis pas certaine qu’on puisse dire que c’était une idée à proprement parler. En réalité, ce n’était rien de prémédité. C’était une impulsion, née à la sortie de l’École nationale de théâtre, pour m’extirper du marasme de la pandémie et d’un quotidien ma foi fade et sans relief. J’avais besoin de me secouer, de ne pas laisser mon cerveau s’engourdir comme un bras sur lequel on est resté couché trop longtemps. Mais surtout, pour être honnête, j’avais envie de rire, tout simplement. Alors, j’ai ouvert mon portable, tenté quelque chose… et, à ma grande surprise, tout s’est enchaîné dans un mélange de travail acharné et de belles opportunités. Cela dit, je crois profondément que ma pratique de comédienne et celle d’autrice sont indissociables. Mon rapport au souffle et au rythme, par exemple, est directement influencé par ma formation en interprétation, et à des impulsions de jeu. Écrire me permet de garder vivant mon désir de camper des personnages en aiguisant toujours davantage mon imagination et en m’incitant à observer ce qui m’entoure avec un regard ludique.
Le genre comique, même mordant, n’est pas facile à aborder, en général. Est-ce que c’était prévu d’aller en ce sens dès le début ?
Absolument ! J’avais déjà exploré, dans le passé, une écriture plus « sérieuse », qui tendait plus franchement vers le drame, mais au moment où Le show beige a commencé à germer dans mon esprit, j’avais besoin de m’envoyer une bonne dose d’absurde dans les rétines, comme on peut avoir besoin d’une lampe de luminothérapie en plein mois de janvier, par exemple. Même si j’étais consciente que les fondements de la pièce étaient empreints de mélancolie, puisant dans des réflexions sur la dépression, l’anxiété et le désenchantement, mon pari était d’explorer ces thèmes en provoquant – du moins, je l’espère ! – de grands rires francs (mais j’accepterai aussi les petits sourires en coin, aucun problème) ! Bien sûr, je sais que mon style d’écriture évoluera et continuera de se définir avec le temps, mais je réalise de plus en plus qu’il m’est difficile de ne pas passer par l’humour pour creuser un sujet et en trouver le cœur. Il y a bien des jours où je me demande si cette approche est futile, surtout en regardant l’état du monde, mais je finis souvent par me rappeler que rire, c’est déjà quelque chose, et que ça peut être énorme.
Et si on lit entre les lignes, le beige n’est vraiment pas votre couleur préférée. Serait-ce le rouge volcanique par hasard ?
Bonne question ! D’entrée de jeu, rendons à César ce qui appartient à César : le beige n’est pas uniquement une couleur plate ou synonyme de monotonie. À mon avis, il peut servir de révélateur et faciliter les contrastes. C’est d’ailleurs en fouillant ses camaïeux que j’ai découvert en moi plusieurs petites soupapes imaginatives et lumineuses, des envies créatrices sincèrement inespérées au milieu d’un certain cynisme ambiant (oui, oui, gros mandat pour une couleur, je sais). Cela dit, non, ce n’est effectivement pas ma couleur de prédilection, et je suis sincèrement heureuse de ne pas avoir de « B » dans mon nom, au cas où quelqu’un∙e aurait l’idée d’écrire « beige » pour me qualifier dans un acrostiche ! Maintenant, suis-je un rouge volcanique ? Bien que, oui, j’aie quelques références à un désir de tout embraser dans le spectacle, je ne sais pas si je m’identifie pleinement à cet aspect explosif. Au contraire, je crois qu’il y a en moi une grande pudeur face aux débordements, que je canalise comme je peux, notamment en créant des personnages qui vivent des épiphanies ou qui connaissent de grands accès de lucidité incendiaire. Alors, si je suis un rouge, je dirais que j’en suis un plutôt « corail », et ça me va complètement.
À la fin du texte, Jean-Philippe Pleau vous décrit comme une grande anthropologue. Une autre corde à votre arc, peut-être ? On n’en a jamais trop en ce moment.
Ah oui, voilà un compliment très intimidant, mais qui me touche beaucoup ! Je tiens d’ailleurs à saluer Jean-Philippe pour sa grande générosité et son regard à la fois pertinent et surprenant. Je me considère très choyée qu’il ait accepté de signer le contrepoint du texte. Cela dit, il m’est difficile de répondre à cette question, car j’ai écrit cette pièce dans un élan presque naïf, avec, dans ma tête, un véritable capharnaüm mêlant niaiseries et petites grisailles. Je n’avais pas vraiment réfléchi, en amont, à ce que cela pourrait révéler de moi ou de la société. Pour être honnête, le propos s’est en quelque sorte faufilé à travers les mailles de l’enfilade de blagues que les personnages utilisent pour garder la tête hors de l’eau. Je suis donc à la fois heureuse et surprise que ce texte suscite des réflexions. Toutefois, j’aurais un bon sentiment d’imposteur à me qualifier d’anthropologue. Peut-être un jour, qui sait ? Il ne faut jamais dire jamais, et vous avez raison qu’on n’en a jamais trop, mais pour l’instant, j’ai encore beaucoup à apprendre et bien des analyses à approfondir avant de pouvoir me considérer comme telle.
Justement, à la veille du budget de notre gouvernement beige, difficile de passer sous silence le sous-financement de notre secteur. Comment cela vous affecte-t-il ?
Pour être tout à fait transparente, j’ai eu une chance inouïe tout au long du processus d’écriture et de production du Show beige : pratiquement toutes les étapes de recherche et de création ont été rémunérées. J’en suis profondément reconnaissante, surtout en constatant l’état du milieu des arts qui, malheureusement, ne semble pas aller en s’améliorant. La situation est en effet bien préoccupante. Je ne compte plus le nombre d’ami∙es et de collègues qui portent des projets ambitieux sans aide financière (ou avec très peu de moyens). Je sais que cette réalité finira par me rattraper. Déjà, je me heurte à un peu plus d’obstacles financiers pour mon second texte. Certes, il est normal de recevoir quelques refus, ça fait partie des aléas de la création, mais ce qu’on voit en ce moment est particulièrement insécurisant, et le stress qui en découle peut affadir un peu l’excitation liée à la création. Malgré tout, je vois autour de moi une résilience incroyable. Certain∙es poursuivent malgré tout grâce au sociofinancement ou au partage de recettes, tandis que d’autres décident courageusement d’annuler leurs spectacles faute de pouvoir rémunérer convenablement leur équipe. Dans les deux cas, je trouve leur détermination admirable. Je crois même que cet acharnement contribue à maintenir le milieu théâtral à flot, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’à force de tout porter à bout de bras, on va finir par manquer d’huile de coude.
Le show beige est présenté à La Licorne du 21 janvier au 1er mars 2025.
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Camille Giguère-Côté est comédienne et autrice. Le show beige, publié chez Atelier 10, est sa première pièce, mais ne sera pas la dernière.
Comment vous est venue l’idée de passer de l’interprétation à l’écriture ?
Je ne suis pas certaine qu’on puisse dire que c’était une idée à proprement parler. En réalité, ce n’était rien de prémédité. C’était une impulsion, née à la sortie de l’École nationale de théâtre, pour m’extirper du marasme de la pandémie et d’un quotidien ma foi fade et sans relief. J’avais besoin de me secouer, de ne pas laisser mon cerveau s’engourdir comme un bras sur lequel on est resté couché trop longtemps. Mais surtout, pour être honnête, j’avais envie de rire, tout simplement. Alors, j’ai ouvert mon portable, tenté quelque chose… et, à ma grande surprise, tout s’est enchaîné dans un mélange de travail acharné et de belles opportunités. Cela dit, je crois profondément que ma pratique de comédienne et celle d’autrice sont indissociables. Mon rapport au souffle et au rythme, par exemple, est directement influencé par ma formation en interprétation, et à des impulsions de jeu. Écrire me permet de garder vivant mon désir de camper des personnages en aiguisant toujours davantage mon imagination et en m’incitant à observer ce qui m’entoure avec un regard ludique.
Le genre comique, même mordant, n’est pas facile à aborder, en général. Est-ce que c’était prévu d’aller en ce sens dès le début ?
Absolument ! J’avais déjà exploré, dans le passé, une écriture plus « sérieuse », qui tendait plus franchement vers le drame, mais au moment où Le show beige a commencé à germer dans mon esprit, j’avais besoin de m’envoyer une bonne dose d’absurde dans les rétines, comme on peut avoir besoin d’une lampe de luminothérapie en plein mois de janvier, par exemple. Même si j’étais consciente que les fondements de la pièce étaient empreints de mélancolie, puisant dans des réflexions sur la dépression, l’anxiété et le désenchantement, mon pari était d’explorer ces thèmes en provoquant – du moins, je l’espère ! – de grands rires francs (mais j’accepterai aussi les petits sourires en coin, aucun problème) ! Bien sûr, je sais que mon style d’écriture évoluera et continuera de se définir avec le temps, mais je réalise de plus en plus qu’il m’est difficile de ne pas passer par l’humour pour creuser un sujet et en trouver le cœur. Il y a bien des jours où je me demande si cette approche est futile, surtout en regardant l’état du monde, mais je finis souvent par me rappeler que rire, c’est déjà quelque chose, et que ça peut être énorme.
Et si on lit entre les lignes, le beige n’est vraiment pas votre couleur préférée. Serait-ce le rouge volcanique par hasard ?
Bonne question ! D’entrée de jeu, rendons à César ce qui appartient à César : le beige n’est pas uniquement une couleur plate ou synonyme de monotonie. À mon avis, il peut servir de révélateur et faciliter les contrastes. C’est d’ailleurs en fouillant ses camaïeux que j’ai découvert en moi plusieurs petites soupapes imaginatives et lumineuses, des envies créatrices sincèrement inespérées au milieu d’un certain cynisme ambiant (oui, oui, gros mandat pour une couleur, je sais). Cela dit, non, ce n’est effectivement pas ma couleur de prédilection, et je suis sincèrement heureuse de ne pas avoir de « B » dans mon nom, au cas où quelqu’un∙e aurait l’idée d’écrire « beige » pour me qualifier dans un acrostiche ! Maintenant, suis-je un rouge volcanique ? Bien que, oui, j’aie quelques références à un désir de tout embraser dans le spectacle, je ne sais pas si je m’identifie pleinement à cet aspect explosif. Au contraire, je crois qu’il y a en moi une grande pudeur face aux débordements, que je canalise comme je peux, notamment en créant des personnages qui vivent des épiphanies ou qui connaissent de grands accès de lucidité incendiaire. Alors, si je suis un rouge, je dirais que j’en suis un plutôt « corail », et ça me va complètement.
À la fin du texte, Jean-Philippe Pleau vous décrit comme une grande anthropologue. Une autre corde à votre arc, peut-être ? On n’en a jamais trop en ce moment.
Ah oui, voilà un compliment très intimidant, mais qui me touche beaucoup ! Je tiens d’ailleurs à saluer Jean-Philippe pour sa grande générosité et son regard à la fois pertinent et surprenant. Je me considère très choyée qu’il ait accepté de signer le contrepoint du texte. Cela dit, il m’est difficile de répondre à cette question, car j’ai écrit cette pièce dans un élan presque naïf, avec, dans ma tête, un véritable capharnaüm mêlant niaiseries et petites grisailles. Je n’avais pas vraiment réfléchi, en amont, à ce que cela pourrait révéler de moi ou de la société. Pour être honnête, le propos s’est en quelque sorte faufilé à travers les mailles de l’enfilade de blagues que les personnages utilisent pour garder la tête hors de l’eau. Je suis donc à la fois heureuse et surprise que ce texte suscite des réflexions. Toutefois, j’aurais un bon sentiment d’imposteur à me qualifier d’anthropologue. Peut-être un jour, qui sait ? Il ne faut jamais dire jamais, et vous avez raison qu’on n’en a jamais trop, mais pour l’instant, j’ai encore beaucoup à apprendre et bien des analyses à approfondir avant de pouvoir me considérer comme telle.
Justement, à la veille du budget de notre gouvernement beige, difficile de passer sous silence le sous-financement de notre secteur. Comment cela vous affecte-t-il ?
Pour être tout à fait transparente, j’ai eu une chance inouïe tout au long du processus d’écriture et de production du Show beige : pratiquement toutes les étapes de recherche et de création ont été rémunérées. J’en suis profondément reconnaissante, surtout en constatant l’état du milieu des arts qui, malheureusement, ne semble pas aller en s’améliorant. La situation est en effet bien préoccupante. Je ne compte plus le nombre d’ami∙es et de collègues qui portent des projets ambitieux sans aide financière (ou avec très peu de moyens). Je sais que cette réalité finira par me rattraper. Déjà, je me heurte à un peu plus d’obstacles financiers pour mon second texte. Certes, il est normal de recevoir quelques refus, ça fait partie des aléas de la création, mais ce qu’on voit en ce moment est particulièrement insécurisant, et le stress qui en découle peut affadir un peu l’excitation liée à la création. Malgré tout, je vois autour de moi une résilience incroyable. Certain∙es poursuivent malgré tout grâce au sociofinancement ou au partage de recettes, tandis que d’autres décident courageusement d’annuler leurs spectacles faute de pouvoir rémunérer convenablement leur équipe. Dans les deux cas, je trouve leur détermination admirable. Je crois même que cet acharnement contribue à maintenir le milieu théâtral à flot, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’à force de tout porter à bout de bras, on va finir par manquer d’huile de coude.
Le show beige est présenté à La Licorne du 21 janvier au 1er mars 2025.
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