Une jeune mère décide de s’immoler par le feu devant l’épicentre politique du pays. Ce geste radical, au cœur de la pièce Place du Parlement, laissait présager une pièce percutante, chargée idéologiquement, et un univers scénique rougeoyant. Le spectacle flotte plutôt entre deux eaux, comme un rêve étrange et morcelé.
Le texte original du Britannique James Fritz a remporté en 2015 un prix du jury du Bruntwood Prize for Playwriting, un grand concours d’écriture dramatique en Europe. Dix ans de dérives politiques mondiales et une pandémie plus tard, résonne-t-il toujours autant ? A-t-il perdu des plumes dans la traduction d’Angélique Patterson et David Bouchard (aussi metteur en scène et directeur artistique de La Brute qui pleure) ? Difficile à dire, sinon que la pièce qu’on nous présente au Périscope comporte plusieurs faiblesses que la livraison n’arrive pas à faire oublier.
Ça commence par le récit, presque en temps réel, du réveil de Kat (Maude Lafond) le jour de son autodafé. Une voix (Lé Aubin) la guide et l’oblige à ne pas déroger de son plan, avec un mélange de bienveillance factice, de fébrilité et d’agacement. Pourquoi l’écoute-t-elle, entre les adieux émotifs aux siens et la rencontre d’une collègue agaçante (Gaïa Cherrat Naghshi) dont le comportement semble l’enflammer davantage que toute cause politique ? Mystère. Le train schizophrénique, ralenti par des pointes d’humour qui devraient désamorcer une tension qui peine à s’installer, n’arrive pas à prendre de la vitesse.
Les causes précises du geste de Kat ne seront jamais nommées ni représentées. Les scènes les plus cruelles sont celles où son mari (Jean-Michel Girouard) et sa mère (Lorraine Côté, troublante de vérité) lui imposent de se taire et d’étouffer sa vaine rébellion sous un bonheur de façade. Car elle a survécu, sauvée par une passante (Angélique Patterson) dont le besoin de valorisation, puis de réponses, grandit. C’est elle qui en vient finalement à porter le feu de l’indignation, alors que Kat abdique, aliénée et torturée par des douleurs chroniques.
Si on sent bien ses tourments physiques, notamment par l’image de son visage projeté en très gros plan en noir et blanc après l’embrasement, et par les références aux soins et aux séquelles qui ponctuent le reste de la pièce, ses tourments intérieurs restent muselés, inaccessibles.
Effet de froideur
La convalescence de Kat est racontée par une série de courtes scènes, alors qu’elle demeure isolée en haut de l’escalier blanc et froid qui constitue le principal élément de décor. Les 15 années suivantes défilent en brides – quelques notes d’une chanson d’anniversaire, trois répliques sur la montée de la criminalité – entrecoupées par le thème de ce qu’on devine être un bulletin de nouvelles. Le son grumeleux et les notes joviales agacent l’oreille plutôt que d’imposer un rythme soutenu et d’appuyer les répétitions d’une existence qui tourne en rond.
Pendant ce segment, tous les interprètes sont agglutinés sur un banc, alors que la majorité du temps ils sont très éloignés les uns des autres, fixant le public, le visage illuminé. L’alternance de jeu réaliste bon-enfant et de jeu symboliste éthéré achoppe.
On voit que le metteur en scène a voulu installer différents codes pour servir le récit syncopé, rehausser l’intensité de certains moments clés, construire des images fortes, mais le tout, servi dans une esthétique ignifugée, manque de constance et nous laisse à distance du drame. En appuyant sur l’ambiguïté de certaines répliques qui font entrevoir une société de censure, de contrôle et d’hypocrisie systémique, ou encore en créant davantage de zones d’ombres (Kat rêve-t-elle, entend-elle vraiment des voix ?), l’expérience aurait probablement gagné en profondeur et en résonance.
L’arrière de la scène est couvert d’un écran le plus souvent vert ou bleu qui accentue l’effet de froideur. Les flammes et les secondes des décomptes qui marquent les moments charnières du récit sont représentées par des néons orangés pâlots – du feu domestiqué, encapsulé, presque éteint. Il manque peut-être, en trame de fond, le bruit d’un monde en crise, et des toiles agitées et flamboyantes comme L’incendie du parlement de Martin Bureau, qui sert d’affiche au spectacle, mais qui n’apparaît pas dans la scénographie.
La Brute qui pleure prend des risques et joue d’audace dans ses productions, mais avec cette partition à la rythmique singulière, qui ne prend jamais son sujet de front et est campée dans un lieu et un temps indéterminés, il aurait fallu une prise de position esthétique plus radicale pour créer un objet théâtral réellement percutant.
Texte : James Fritz. Traduction : Angélique Patterson et David Bouchard. Mise en scène : David Bouchard assisté d’Auréliane Macé. Œil extérieur : Christian Lapointe. Décor : Alice Poirier. Lumières : Émile Beauchemin. Costumes : Émily Wahlman. Musique originale : Martien Bélanger. Avec Maude Lafond, Jean-Michel Girouard, Lorraine Côté, Angélique Patterson, Lé Aubin, Élie St-Cyr, Gaïa Cherrat Naghshi. Une production de La Brute qui pleure coproduite par Carte Blanche et présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 1er février 2025.
Une jeune mère décide de s’immoler par le feu devant l’épicentre politique du pays. Ce geste radical, au cœur de la pièce Place du Parlement, laissait présager une pièce percutante, chargée idéologiquement, et un univers scénique rougeoyant. Le spectacle flotte plutôt entre deux eaux, comme un rêve étrange et morcelé.
Le texte original du Britannique James Fritz a remporté en 2015 un prix du jury du Bruntwood Prize for Playwriting, un grand concours d’écriture dramatique en Europe. Dix ans de dérives politiques mondiales et une pandémie plus tard, résonne-t-il toujours autant ? A-t-il perdu des plumes dans la traduction d’Angélique Patterson et David Bouchard (aussi metteur en scène et directeur artistique de La Brute qui pleure) ? Difficile à dire, sinon que la pièce qu’on nous présente au Périscope comporte plusieurs faiblesses que la livraison n’arrive pas à faire oublier.
Ça commence par le récit, presque en temps réel, du réveil de Kat (Maude Lafond) le jour de son autodafé. Une voix (Lé Aubin) la guide et l’oblige à ne pas déroger de son plan, avec un mélange de bienveillance factice, de fébrilité et d’agacement. Pourquoi l’écoute-t-elle, entre les adieux émotifs aux siens et la rencontre d’une collègue agaçante (Gaïa Cherrat Naghshi) dont le comportement semble l’enflammer davantage que toute cause politique ? Mystère. Le train schizophrénique, ralenti par des pointes d’humour qui devraient désamorcer une tension qui peine à s’installer, n’arrive pas à prendre de la vitesse.
Les causes précises du geste de Kat ne seront jamais nommées ni représentées. Les scènes les plus cruelles sont celles où son mari (Jean-Michel Girouard) et sa mère (Lorraine Côté, troublante de vérité) lui imposent de se taire et d’étouffer sa vaine rébellion sous un bonheur de façade. Car elle a survécu, sauvée par une passante (Angélique Patterson) dont le besoin de valorisation, puis de réponses, grandit. C’est elle qui en vient finalement à porter le feu de l’indignation, alors que Kat abdique, aliénée et torturée par des douleurs chroniques.
Si on sent bien ses tourments physiques, notamment par l’image de son visage projeté en très gros plan en noir et blanc après l’embrasement, et par les références aux soins et aux séquelles qui ponctuent le reste de la pièce, ses tourments intérieurs restent muselés, inaccessibles.
Effet de froideur
La convalescence de Kat est racontée par une série de courtes scènes, alors qu’elle demeure isolée en haut de l’escalier blanc et froid qui constitue le principal élément de décor. Les 15 années suivantes défilent en brides – quelques notes d’une chanson d’anniversaire, trois répliques sur la montée de la criminalité – entrecoupées par le thème de ce qu’on devine être un bulletin de nouvelles. Le son grumeleux et les notes joviales agacent l’oreille plutôt que d’imposer un rythme soutenu et d’appuyer les répétitions d’une existence qui tourne en rond.
Pendant ce segment, tous les interprètes sont agglutinés sur un banc, alors que la majorité du temps ils sont très éloignés les uns des autres, fixant le public, le visage illuminé. L’alternance de jeu réaliste bon-enfant et de jeu symboliste éthéré achoppe.
On voit que le metteur en scène a voulu installer différents codes pour servir le récit syncopé, rehausser l’intensité de certains moments clés, construire des images fortes, mais le tout, servi dans une esthétique ignifugée, manque de constance et nous laisse à distance du drame. En appuyant sur l’ambiguïté de certaines répliques qui font entrevoir une société de censure, de contrôle et d’hypocrisie systémique, ou encore en créant davantage de zones d’ombres (Kat rêve-t-elle, entend-elle vraiment des voix ?), l’expérience aurait probablement gagné en profondeur et en résonance.
L’arrière de la scène est couvert d’un écran le plus souvent vert ou bleu qui accentue l’effet de froideur. Les flammes et les secondes des décomptes qui marquent les moments charnières du récit sont représentées par des néons orangés pâlots – du feu domestiqué, encapsulé, presque éteint. Il manque peut-être, en trame de fond, le bruit d’un monde en crise, et des toiles agitées et flamboyantes comme L’incendie du parlement de Martin Bureau, qui sert d’affiche au spectacle, mais qui n’apparaît pas dans la scénographie.
La Brute qui pleure prend des risques et joue d’audace dans ses productions, mais avec cette partition à la rythmique singulière, qui ne prend jamais son sujet de front et est campée dans un lieu et un temps indéterminés, il aurait fallu une prise de position esthétique plus radicale pour créer un objet théâtral réellement percutant.
Place du Parlement
Texte : James Fritz. Traduction : Angélique Patterson et David Bouchard. Mise en scène : David Bouchard assisté d’Auréliane Macé. Œil extérieur : Christian Lapointe. Décor : Alice Poirier. Lumières : Émile Beauchemin. Costumes : Émily Wahlman. Musique originale : Martien Bélanger. Avec Maude Lafond, Jean-Michel Girouard, Lorraine Côté, Angélique Patterson, Lé Aubin, Élie St-Cyr, Gaïa Cherrat Naghshi. Une production de La Brute qui pleure coproduite par Carte Blanche et présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 1er février 2025.