Critiques

Contre toi : Cruelle comédie romantique

© Danny Taillon

Le rideau s’ouvre sur la salle d’attente d’un hôpital, où Dan, une autrice en devenir, rencontre Alice, une jeune femme mystérieuse, après un accident. Elles tombent amoureuses. Leur liaison est bientôt troublée par l’apparition d’Anna, une photographe pour laquelle Dan développe une attirance. Ce triangle amoureux s’élargit lorsque Anna entame une relation avec Larry, un dermatologue qu’elle rencontre par une méprise orchestrée par Dan. Les quatre personnages s’engagent alors dans une danse complexe de désir, de trahisons et de réconciliations.

Contre toi (Closer), pièce de théâtre écrite par Patrick Marber en 1997, est une œuvre intense et crue; une exploration incisive des dynamiques du désir, de l’incapacité à établir des relations authentiques, l’obsession de contrôler l’autre, et une quête incessante d’un amour vrai toujours hors de portée.

La traduction de Fanny Britt nous fait vivre la pièce, dans un langage familier, mais soutenu, parsemé de jurons et d’expressions vulgaires. Un ton qui reflète notre propre manière de parler d’amour et de nos blessures intimes. Les dialogues, d’une brutalité parfois déconcertante, exposent les tensions entre le désir charnel et la douleur émotionnelle. Les mots jaillissent comme des coups de poing : phrases explosives, sarcasmes glacials et violences verbales, capturant avec une intensité troublante la complexité des passions humaines.

© Danny Taillon

La scénographie épurée, à la fois imposante et polyvalente, nous transporte à travers les divers lieux représentatifs des douze scènes de la pièce. Grâce à des murs unis et mobiles qui pivotent entre les tableaux, le dispositif scénique recrée avec fluidité et ingéniosité chaque espace, renforçant l’immersion et la continuité narrative. Ces murs rotatifs produisent une impression vertigineuse, parfois rétrécissant les personnages à l’échelle de l’espace. Les lieux prennent vie grâce à l’ajout subtil de quelques meubles, accessoires et jeux de lumière, définissant chaque ambiance avec précision.

Le décor s’enrichit lorsque des projections investissent les murs, apportant une touche, à la fois, poétique et utilitaire. Ces images, d’une qualité visuelle remarquable, qui accompagnent les transitions entre les scènes, subliment les sites tels que l’aquarium, la galerie d’art ou le musée. Avec des plans rapprochés des personnages, chargés de tensions et sensualité, les vidéos projetées plongent les spectateurs et spectatrices dans une intimité profonde. Avec ce décor, l’œuvre se déploie comme un diaporama, enchaînant de grandes images horizontales empreintes de sensibilité.

Les éclairages pertinents se modulent au fil des scènes et façonnent l’atmosphère de l’œuvre; touches de couleur, stroboscopes, ambiances feutrées et jeux de contre-jours dramatiques. La trame sonore, parfois discrète et parfois très rythmée, donne le ton aux scènes et aux entre-scènes. Elle amplifie la tension émotionnelle, intensifie les moments d’intimité tout en précisant le climat spécifique des lieux.

© Danny Taillon

Les personnages sont habillés de tenues sobres. On y retrouve, parfois, une petite pointe de rouge. Malgré cette sobriété, les costumes sont habilement codifiés et révèlent très justement la personnalité et le statut de chaque personnage, sans excès.

La proposition de Solène Paré est réussie. Elle explore la condition humaine moderne, perturbée par la quête d’authenticité dans un monde dominé par les apparences et la possession. À travers une structure fragmentée et des ellipses temporelles, elle dissèque les contradictions des relations humaines : l’amour comme champ de bataille, la vérité comme arme destructrice et la proximité émotionnelle comme source de vulnérabilité. La pièce est marquée par une tension sexuelle omniprésente, dès les premiers mots, où chaque geste, regard et sourire, soutient le désir tout au long de l’histoire.

Les personnages, des archétypes peaufinés, dialoguent en se fixant intensément, mais sont surtout connectés aux spectateurs et spectatrices. Leurs mots semblent souvent s’adresser directement au public, comme pour se détacher de la situation, se dissocier ou le prendre à témoin de leurs émotions. Les acteurs et actrices oscillent entre un jeu comique et un sérieux plutôt froid, avec une rhétorique mêlant sourires et souffles coupés. Leur jeu incarne une tragi-comédie qui déchire les personnages. Apparaissant d’abord dur·es et fier·ères, on perçoit peu à peu leur carapace se fissurer. Ce qui commence comme un combat de coqs se transforme finalement en scènes de pleurs, de révélations, d’yeux baissés, de réponses hésitantes et d’adieux.

Contre toi, présentée chez Duceppe est une œuvre poignante, alternant entre moments de tendresse et de violence, offrant un regard incisif sur les relations modernes et la quête universelle de connexion. Cette version revisitée, à la fois cynique et émouvante, capte avec lucidité la complexité des passions humaines. Sa forme élégante et soignée met en relief la brutalité de son sujet.

Afin de poursuivre la réflexion, il serait possible de se demander : et si les personnages avaient établi des ententes relationnelles différentes ? Et si on explorait différentes façons de vivre l’amour ?

© Danny Taillon

Contre toi

Texte : Patrick Marber. Traduction : Fanny Britt. Mise en scène : Solène Paré. Interprétation : Isabelle Blais, David Boutin, Inès Defossé, Alice Pascual. Assistance à la mise en scène : Félix-Antoine Gauthier. Scénographie : Geneviève Lizotte. Costumes : Oleksandra Lykova. Éclairages : Julie Basse. Musique : Christophe St-Denis. Vidéo : Julien Blais. En coproduction avec Fantôme, compagnie de création. Présentée chez Duceppe jusqu’au 15 février 2025.