JEU des 5 questions

Cinq questions à Philippe Cyr, metteur en scène et directeur artistique du Théâtre Prospero

© Gaëlle Leroyer

Sous la houlette de Philippe Cyr et de Vincent de Repentigny, le Théâtre Prospero s’est bien tiré d’affaires depuis la fin de la pandémie. Il n’y a pas de recette magique, insiste le directeur artistique, mais des investissements importants seront nécessaires pour éviter une autre crise.

Au sortir de la pandémie, cela semblait exagéré de programmer des reprises puisque les artistes avaient continué à créer durant la crise. Maintenant, il semble que c’était nécessaire, non ?

Notre rapport à la nouveauté est un brin consumériste. Nous produisons et nous jetons. Le modèle de création et de diffusion québécois est essentiellement basé sur ce principe tout comme l’est une grande partie de l’économie, dont le milieu est entièrement partie prenante. Or, la pandémie a mis en lumière des enjeux de surproductivité, voire de surexploitation des ressources humaines et matérielles. Devant cet état des lieux, des changements s’imposent et prolonger la durée de vie des œuvres est un geste simple et nécessaire. Certaines œuvres remarquables méritent de rejoindre un plus vaste public. Toutefois, j’y vois des avantages qui dépassent la question économique ou écologique, en particulier autour de l’idée d’une expérience acquise collectivement. Plus nous serons nombreux et nombreuses, artistes et publics, à côtoyer ces œuvres, plus nous acquerrons un bagage collectif susceptible d’influencer positivement le développement de la pratique. Cela mène directement à la question du répertoire, un créneau sous-représenté sur nos scènes.

L’idéal ne serait-il pas que ces pièces restent plus longtemps à l’affiche des salles où elles ont été créées ?

Cela demanderait de prendre des risques encore plus importants sur des œuvres qui ne sont pas encore créées ou de laisser des plages horaires en option dans des périodes de diffusion parmi les plus achalandées de la saison. J’aime l’idée que le temps fasse son œuvre entre une série de représentations et qu’ainsi nous puissions élargir le cercle du public par la rumeur.

La crise économique, qui a succédé à celle de la pandémie, a rendu nécessaires plusieurs mesures prises par les directions artistiques. Est-ce que les reprises représentent l’une des solutions à moyen et long terme ?

Il y a quelques économies à faire avec une reprise, notamment dans les budgets de production, mais du côté de la diffusion, ce n’est pas une panacée financière. Ce n’est pas la raison qui motive un tel choix. C’est plutôt l’envie de dialoguer plus profondément avec nos œuvres et les artistes qui les portent. Lorsqu’il nous faut défendre des œuvres avec force et vigueur, il se crée un lien très particulier avec le public, un échange tacite et solide qui prend racine dans la durée.

Il reste la possibilité de voir une reprise ne pas connaître autant de succès dans une nouvelle salle, auprès d’un autre public. Vous avez eu la main heureuse avec Cette colline n’est jamais vraiment silencieuse, mais ça reste risqué en période de sous-financement ?

Absolument, rien n’est gagné d’avance. Il nous faut être en mesure de rejoindre le public et pour ce faire, les médias jouent un rôle primordial. Certains hésitent avant de parler des reprises même si la plupart du temps la production en question n’a été que partiellement couverte et que sa moelle reste à peine effleurée. D’ailleurs, je profite de cette tribune pour vous inviter à venir voir le magnifique Sur tes traces de Dany Boudreault et Gurshad Shaheman. Ces deux artistes ont fabriqué un spectacle hors norme, une sorte de chassé-croisé de l’intime aux confins des fondements de l’un et de l’autre. Créée au Kunstunfestivaldesarts à Bruxelles et présentée au FTA en juin dernier, c’est à mon sens une œuvre aboutie, une dentelle tissée par des imaginaires singuliers. De Sarajevo au Lac Saint-Jean, en passant par la Turquie, les deux créateurs nous transportent dans des paysages peu communs.

Comment voyez-vous l’avenir dans la situation actuelle. Vous avez été innovant au Prospero de ce point de vue, avez-vous d’autres tours de magie dans votre sac ?

L’avenir de nos lieux et de nos compagnies est à la croisée des chemins. Un refinancement public important des organismes est la seule solution pour éviter la déstructuration du milieu. Depuis quelques années, une toute nouvelle génération est à la tête de nos institutions. Elle arrive avec ses rêves, ses ambitions, ses idées nouvelles et ses possibilités extraordinaires. Or, les claques se succèdent au point où l’on travaille avec des budgets semblables à ceux de 2017, alors même que les coûts ont considérablement augmenté. Si la situation n’est pas corrigée dans les prochains mois, nous parlerons d’une génération d’artistes, ainsi que de travailleurs et travailleuses sacrifié·es. Pour ce qui est de la magie, il nous reste assurément un peu de poudre de perlimpinpin, mais je crains bien que les spectacles à venir incluent de quelconques numéros de disparition et de personnes coupées en deux… À suivre !

Sur tes traces est présenté au Théâtre Prospero du 4 au 22 février 2025.

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