On ne compte plus les reportages, les livres et les documentaires sur le parcours complexe des enfants et adolescent·es qui grandissent dans le système de la Direction de la protection de la jeunesse. Mais le regard de Marie-Ève Bélanger et de Marie-Andrée Lemieux, qui en signent le texte et la mise en scène, est inédit. Dans Monstres, présentée ces jours-ci au Théâtre Denise-Pelletier, on plonge dans un univers aussi sombre que fantaisiste.
Dans sa nouvelle production, le duo d’artistes mêle fiction et documentaire pour raconter le quotidien, la douleur et les traumatismes de ceux et celles qu’on appelle « les jeunes de la DPJ ». Deux histoires s’entremêlent. D’abord, celle d’Iris, une conférencière qui partage dans un roman ses efforts de reconstruction et de guérison. Puis, Moineau, née dans une famille dysfonctionnelle, qui connaîtra les familles d’accueil, le centre jeunesse et la vie dans la rue. Le récit est ponctué de véritables témoignages audio d’adultes qui ont récemment quitté le système de la protection de la jeunesse.
Sans aucune lourdeur
Pour mettre en scène ce premier texte intelligent et nuancé de Marie-Ève Bélanger, Marie-Andrée Lemieux a conçu un spectacle dynamique et inventif dans lequel se côtoient le jeu, la danse, la musique et les projections. Les deux créatrices ont su mettre à profit de belle façon leur expérience en art circassien et en théâtre musical.
Si le thème de Monstres bouleverse, l’œuvre est à des lieues du mélodrame. Plutôt que de donner à voir à répétition des actes explicites de violence, on utilise l’onirisme et les codes esthétiques de l’horreur pour évoquer le cauchemar d’enfants et d’adolescent·es maltraité·es ou abandonné·es. Les éclairages, l’habillage sonore et les costumes créent un monde tantôt anxiogène, tantôt comique, qui déstabilise en provoquant malaises, frissons et éclats de rire. Un superbe travail de Martin Sirois, Mathieu Beaudet et Camille Walsh.
Certaines des scènes les plus réussies montrent les employé·es de la DPJ qui n’ont ni le temps ni l’énergie de remettre en question les protocoles. Des intervenant·es vêtu·es de vestons surdimensionnés qui ne laissent voir que leurs visages, qui expriment leur aliénation par des chorégraphies élaborées, dont la gestuelle emprunte autant à la démarche militaire qu’aux mouvements caractéristiques de la comédie musicale.
L’humour délicieusement absurde de plusieurs passages offre un répit aux spectateurs et spectatrices entre des moments déchirants. Si ces ruptures de ton sont souvent salvatrices, elles empêchent parfois de pleinement s’abandonner au récit.
Quant aux témoignages diffusés tout au long du spectacle, ils sont éclairants et indéniablement touchants. Empreints d’espoir et de poésie, ils ont été recueillis auprès du comité consultatif Le Collectif Ex-Placé DPJ. Le processus de création a d’ailleurs valu à la Maison de la culture Claude-Léveillée, lieu où Marie-Ève Bélanger et Marie-Andrée Lemieux ont complété une résidence, le Prix RIDEAU 2024 de la meilleure médiation culturelle.
Toute la distribution réussit avec brio à défendre une partition exigeante. Dans le rôle de la conférencière, Caroline Bélanger offre une performance sobre et sensible. Ses échanges houleux avec un spectateur (touchant Greg Beaudin) initient une réflexion fascinante sur l’égalité des chances et la définition de la réussite. Quant à Laura Côté-Bilodeau, qui incarne Moineau, elle se donne corps et âme. En animatrice bienveillante, mais un chouia maladroite, Tracy Marcelin est tout simplement délicieuse.
Les monstres de cette nouvelle création signée par Les Créations Unuknu, ce sont les blessures physiques et émotionnelles que doivent panser les enfants et les adolescent·es qui grandissent dans le système de la DPJ. Des plaies qui les forcent à se construire une armure, qui les empêchent d’aimer ou de se laisser aimer, qui les amènent parfois à user de violence à leur tour.
Mais la figure du monstre évoque aussi l’extraordinaire, une dimension souvent occultée. Et ces petit·es humain·es abîmé·es par la cruauté de la vie ont tout pour être exceptionnel·les. Ils et elles surprennent et impressionnent par leur courage, leur résilience et leur volonté à rendre leur monde meilleur.
Texte : Marie-Ève Bélanger, en collaboration avec Marie-Andrée Lemieux. Mise en scène : Marie-Andrée Lemieux, en collaboration avec Marie-Ève Bélanger. Avec Yann Aspirot, Greg Beaudin, Caroline Bélanger, Marie-Ève Bélanger, Nicolas Centeno, Laura Côté-Bilodeau, Tracy Marcelin. Conseil dramaturgique : Hilaire St-Laurent. Assistance à la mise en scène : Marilou Huberdeau. Scénographie et accessoires : Francis Farley-Lemieux. Costumes : Camille Walsh. Éclairages : Martin Sirois. Conception sonore : Mathieu Beaudet. Direction technique : Sylvain Ratelle. Direction de production : Marie-Andrée Lemieux, Sylvain Ratelle. Régie : Marilou Huberdeau, Delphine Rochefort-Boulanger. Voix et membres du comité consultatif Le Collectif Ex-Placé DPJ : Kevin Backwood, Geneviève Caron, Emma-Johnson Chassé Bouchard, Jessica Côté-Guimond, Jayden Dufort (JAYY ZOO), Esteban Miron, Yami Morin, Janis Tailly-Dion, Annie Thériault. Une production des Créations Unuknu présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 8 février 2025.
On ne compte plus les reportages, les livres et les documentaires sur le parcours complexe des enfants et adolescent·es qui grandissent dans le système de la Direction de la protection de la jeunesse. Mais le regard de Marie-Ève Bélanger et de Marie-Andrée Lemieux, qui en signent le texte et la mise en scène, est inédit. Dans Monstres, présentée ces jours-ci au Théâtre Denise-Pelletier, on plonge dans un univers aussi sombre que fantaisiste.
Dans sa nouvelle production, le duo d’artistes mêle fiction et documentaire pour raconter le quotidien, la douleur et les traumatismes de ceux et celles qu’on appelle « les jeunes de la DPJ ». Deux histoires s’entremêlent. D’abord, celle d’Iris, une conférencière qui partage dans un roman ses efforts de reconstruction et de guérison. Puis, Moineau, née dans une famille dysfonctionnelle, qui connaîtra les familles d’accueil, le centre jeunesse et la vie dans la rue. Le récit est ponctué de véritables témoignages audio d’adultes qui ont récemment quitté le système de la protection de la jeunesse.
Sans aucune lourdeur
Pour mettre en scène ce premier texte intelligent et nuancé de Marie-Ève Bélanger, Marie-Andrée Lemieux a conçu un spectacle dynamique et inventif dans lequel se côtoient le jeu, la danse, la musique et les projections. Les deux créatrices ont su mettre à profit de belle façon leur expérience en art circassien et en théâtre musical.
Si le thème de Monstres bouleverse, l’œuvre est à des lieues du mélodrame. Plutôt que de donner à voir à répétition des actes explicites de violence, on utilise l’onirisme et les codes esthétiques de l’horreur pour évoquer le cauchemar d’enfants et d’adolescent·es maltraité·es ou abandonné·es. Les éclairages, l’habillage sonore et les costumes créent un monde tantôt anxiogène, tantôt comique, qui déstabilise en provoquant malaises, frissons et éclats de rire. Un superbe travail de Martin Sirois, Mathieu Beaudet et Camille Walsh.
Certaines des scènes les plus réussies montrent les employé·es de la DPJ qui n’ont ni le temps ni l’énergie de remettre en question les protocoles. Des intervenant·es vêtu·es de vestons surdimensionnés qui ne laissent voir que leurs visages, qui expriment leur aliénation par des chorégraphies élaborées, dont la gestuelle emprunte autant à la démarche militaire qu’aux mouvements caractéristiques de la comédie musicale.
L’humour délicieusement absurde de plusieurs passages offre un répit aux spectateurs et spectatrices entre des moments déchirants. Si ces ruptures de ton sont souvent salvatrices, elles empêchent parfois de pleinement s’abandonner au récit.
Quant aux témoignages diffusés tout au long du spectacle, ils sont éclairants et indéniablement touchants. Empreints d’espoir et de poésie, ils ont été recueillis auprès du comité consultatif Le Collectif Ex-Placé DPJ. Le processus de création a d’ailleurs valu à la Maison de la culture Claude-Léveillée, lieu où Marie-Ève Bélanger et Marie-Andrée Lemieux ont complété une résidence, le Prix RIDEAU 2024 de la meilleure médiation culturelle.
Toute la distribution réussit avec brio à défendre une partition exigeante. Dans le rôle de la conférencière, Caroline Bélanger offre une performance sobre et sensible. Ses échanges houleux avec un spectateur (touchant Greg Beaudin) initient une réflexion fascinante sur l’égalité des chances et la définition de la réussite. Quant à Laura Côté-Bilodeau, qui incarne Moineau, elle se donne corps et âme. En animatrice bienveillante, mais un chouia maladroite, Tracy Marcelin est tout simplement délicieuse.
Les monstres de cette nouvelle création signée par Les Créations Unuknu, ce sont les blessures physiques et émotionnelles que doivent panser les enfants et les adolescent·es qui grandissent dans le système de la DPJ. Des plaies qui les forcent à se construire une armure, qui les empêchent d’aimer ou de se laisser aimer, qui les amènent parfois à user de violence à leur tour.
Mais la figure du monstre évoque aussi l’extraordinaire, une dimension souvent occultée. Et ces petit·es humain·es abîmé·es par la cruauté de la vie ont tout pour être exceptionnel·les. Ils et elles surprennent et impressionnent par leur courage, leur résilience et leur volonté à rendre leur monde meilleur.
Monstres
Texte : Marie-Ève Bélanger, en collaboration avec Marie-Andrée Lemieux. Mise en scène : Marie-Andrée Lemieux, en collaboration avec Marie-Ève Bélanger. Avec Yann Aspirot, Greg Beaudin, Caroline Bélanger, Marie-Ève Bélanger, Nicolas Centeno, Laura Côté-Bilodeau, Tracy Marcelin. Conseil dramaturgique : Hilaire St-Laurent. Assistance à la mise en scène : Marilou Huberdeau. Scénographie et accessoires : Francis Farley-Lemieux. Costumes : Camille Walsh. Éclairages : Martin Sirois. Conception sonore : Mathieu Beaudet. Direction technique : Sylvain Ratelle. Direction de production : Marie-Andrée Lemieux, Sylvain Ratelle. Régie : Marilou Huberdeau, Delphine Rochefort-Boulanger. Voix et membres du comité consultatif Le Collectif Ex-Placé DPJ : Kevin Backwood, Geneviève Caron, Emma-Johnson Chassé Bouchard, Jessica Côté-Guimond, Jayden Dufort (JAYY ZOO), Esteban Miron, Yami Morin, Janis Tailly-Dion, Annie Thériault. Une production des Créations Unuknu présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 8 février 2025.