La dramaturge canadienne Kate Hennig, dont un texte est monté pour la toute première fois en français, s’intéresse, dans sa trilogie The Queenmakers Series, aux reines Marie Tudor (Mother’s Daughter) et Élizabeth 1re (The Virgin Trial), ainsi qu’à celle qui, grâce à son influence sur leur père, le Barbe bleue de l’histoire britannique, Henri VIII, est parvenue à assurer la place de ces demoiselles dans l’ordre de succession au trône. The Last Wife met donc en lumière le destin de la dernière épouse de l’impérieux monarque, Catherine Parr.
Le portrait qui en est brossé est celui d’une femme lettrée, dévouée au bien-être du royaume et aimante envers ses beaux-enfants, soit les deux princesses et leur demi-frère, le futur Édouard VI. Brillante, sensible et vaillante, elle devra pourtant se soumettre à la tyrannie éhontée – car il va jusqu’à s’en gausser – de son maître, qui n’a pas hésité à écourter la vie des prédécesseures de Kate en usant de fallacieux prétextes. C’est un périlleux équilibre entre accomplissement, poursuite d’objectifs politiques nourris de solides convictions et survie face au pouvoir hégémonique de son mari que doit maintenir la protagoniste. Henri n’aurait certes été ni le premier ni le dernier homme à vouloir neutraliser une femme qui lui fait de l’ombre par ses talents.
Pour camper cette figure complexe, devant juguler ses élans à grands coups de soumission, il fallait une comédienne au jeu à la fois subtil et vibrant. On saura gré à la metteuse en scène Eda Holmes (qui avait déjà donné vie à ce texte, en anglais, en 2019 au Théâtre Centaur) d’avoir jeté son dévolu sur Marie-Pier Labrecque. Le public avait pu la voir incarner une autre épouse opprimée dans Une maison de poupée d’Henrik Ibsen (adaptée par Rébecca Déraspe), aussi en 2019, mais c’est une tout autre composition qu’elle offre en l’occurrence, empreinte d’une dignité bienveillante. Son personnage ne s’en départit même pas tout à fait lorsqu’elle se résigne à user de sa sexualité pour ne pas périr. Une remarquable performance.
À ses côtés évoluent entre autres Mikhaïl Ahooja en Thomas Seymour, l’homme que Katherine eut épousé plutôt qu’Henri eut-elle eu son mot à dire en la matière, et Henri Chassé, jouant son homonyme en évitant savamment l’emphase, mais butant malheureusement sur plusieurs mots, du moins le soir où nous avons assisté au spectacle.
Le 16e siècle d’aujourd’hui
Sa dernière épouse s’inscrit sans doute dans ce que l’on pourrait qualifier de théâtre traditionnel. On y trouve une narration linéaire, un style de jeu réaliste, une scénographie évoquant de façon plus ou moins abstraite les pièces d’un château en pierre, des costumes élégants qui reflètent bien la classe sociale dirigeante contemporaine à laquelle appartiennent les personnages – seul l’habit de marin de Thomas Seymour ose un brin de fantaisie avec sa couleur prune.
Car les péripéties royales ont bel et bien lieu de nos jours, malgré quelques anachronismes qui laissent perplexe tels l’emploi du mot « poitrail » pour parler de la poitrine d’une femme et la mention d’une voiture de guerre à quatre chevaux par le roi, qui arbore pourtant des oripeaux militaires modernes au motif de camouflage. De même, dans le texte tel que traduit par Maryse Warda, le français normatif se voit ponctué de « okay » et de quelques autres formules ou prononciations inopinément vernaculaires.
Quoi qu’il en soit, si conventionnelle que soit la proposition, elle n’en est pas moins efficace. Les spectateurs et spectatrices friand·es d’histoire, qu’il s’agisse de la grande ou de celles que l’on aime se faire raconter, seront repu·es. Ceux et celles qui prisent la revalorisation de l’apport des femmes au cours des siècles passés se réjouiront, en outre, et malgré que la production se réclame d’une certaine liberté face aux vérités historiques, de cette belle façon de découvrir la figure relativement méconnue – bien qu’un film, Firebrand de Karim Aïnouz, s’y soit récemment intéressé – de Katherine Parr, portraitisée ici dans les règles de l’art.
Texte : Kate Hennig. Traduction : Maryse Warda. Mise en scène : Eda Holmes. Scénographie : Loïc Lacroix Hoy, assisté de Saffiya Kherraji. Accessoires : Karine Cusson. Costumes : Gillian Gallow, assistée de Pierre-Guy Lapointe. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland Provost. Éclairages : Renaud Pettigrew. Musique : Laurier Rajotte. Chant : Mireille Taillefer. Conseils en voix : Luc Bourgeois. Conseils aux mouvements : Shawn Baichoo. Avec Mikhaïl Ahooja, Henri Chassé, Lauren Hartley, Marie-Pier Labrecque, Mounia Zahzam et, en alternance, Nathan Savoie et Julien Désy. Une production du Théâtre du Rideau Vert, présentée au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 22 février 2025.
La dramaturge canadienne Kate Hennig, dont un texte est monté pour la toute première fois en français, s’intéresse, dans sa trilogie The Queenmakers Series, aux reines Marie Tudor (Mother’s Daughter) et Élizabeth 1re (The Virgin Trial), ainsi qu’à celle qui, grâce à son influence sur leur père, le Barbe bleue de l’histoire britannique, Henri VIII, est parvenue à assurer la place de ces demoiselles dans l’ordre de succession au trône. The Last Wife met donc en lumière le destin de la dernière épouse de l’impérieux monarque, Catherine Parr.
Le portrait qui en est brossé est celui d’une femme lettrée, dévouée au bien-être du royaume et aimante envers ses beaux-enfants, soit les deux princesses et leur demi-frère, le futur Édouard VI. Brillante, sensible et vaillante, elle devra pourtant se soumettre à la tyrannie éhontée – car il va jusqu’à s’en gausser – de son maître, qui n’a pas hésité à écourter la vie des prédécesseures de Kate en usant de fallacieux prétextes. C’est un périlleux équilibre entre accomplissement, poursuite d’objectifs politiques nourris de solides convictions et survie face au pouvoir hégémonique de son mari que doit maintenir la protagoniste. Henri n’aurait certes été ni le premier ni le dernier homme à vouloir neutraliser une femme qui lui fait de l’ombre par ses talents.
Pour camper cette figure complexe, devant juguler ses élans à grands coups de soumission, il fallait une comédienne au jeu à la fois subtil et vibrant. On saura gré à la metteuse en scène Eda Holmes (qui avait déjà donné vie à ce texte, en anglais, en 2019 au Théâtre Centaur) d’avoir jeté son dévolu sur Marie-Pier Labrecque. Le public avait pu la voir incarner une autre épouse opprimée dans Une maison de poupée d’Henrik Ibsen (adaptée par Rébecca Déraspe), aussi en 2019, mais c’est une tout autre composition qu’elle offre en l’occurrence, empreinte d’une dignité bienveillante. Son personnage ne s’en départit même pas tout à fait lorsqu’elle se résigne à user de sa sexualité pour ne pas périr. Une remarquable performance.
À ses côtés évoluent entre autres Mikhaïl Ahooja en Thomas Seymour, l’homme que Katherine eut épousé plutôt qu’Henri eut-elle eu son mot à dire en la matière, et Henri Chassé, jouant son homonyme en évitant savamment l’emphase, mais butant malheureusement sur plusieurs mots, du moins le soir où nous avons assisté au spectacle.
Le 16e siècle d’aujourd’hui
Sa dernière épouse s’inscrit sans doute dans ce que l’on pourrait qualifier de théâtre traditionnel. On y trouve une narration linéaire, un style de jeu réaliste, une scénographie évoquant de façon plus ou moins abstraite les pièces d’un château en pierre, des costumes élégants qui reflètent bien la classe sociale dirigeante contemporaine à laquelle appartiennent les personnages – seul l’habit de marin de Thomas Seymour ose un brin de fantaisie avec sa couleur prune.
Car les péripéties royales ont bel et bien lieu de nos jours, malgré quelques anachronismes qui laissent perplexe tels l’emploi du mot « poitrail » pour parler de la poitrine d’une femme et la mention d’une voiture de guerre à quatre chevaux par le roi, qui arbore pourtant des oripeaux militaires modernes au motif de camouflage. De même, dans le texte tel que traduit par Maryse Warda, le français normatif se voit ponctué de « okay » et de quelques autres formules ou prononciations inopinément vernaculaires.
Quoi qu’il en soit, si conventionnelle que soit la proposition, elle n’en est pas moins efficace. Les spectateurs et spectatrices friand·es d’histoire, qu’il s’agisse de la grande ou de celles que l’on aime se faire raconter, seront repu·es. Ceux et celles qui prisent la revalorisation de l’apport des femmes au cours des siècles passés se réjouiront, en outre, et malgré que la production se réclame d’une certaine liberté face aux vérités historiques, de cette belle façon de découvrir la figure relativement méconnue – bien qu’un film, Firebrand de Karim Aïnouz, s’y soit récemment intéressé – de Katherine Parr, portraitisée ici dans les règles de l’art.
Sa dernière femme
Texte : Kate Hennig. Traduction : Maryse Warda. Mise en scène : Eda Holmes. Scénographie : Loïc Lacroix Hoy, assisté de Saffiya Kherraji. Accessoires : Karine Cusson. Costumes : Gillian Gallow, assistée de Pierre-Guy Lapointe. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland Provost. Éclairages : Renaud Pettigrew. Musique : Laurier Rajotte. Chant : Mireille Taillefer. Conseils en voix : Luc Bourgeois. Conseils aux mouvements : Shawn Baichoo. Avec Mikhaïl Ahooja, Henri Chassé, Lauren Hartley, Marie-Pier Labrecque, Mounia Zahzam et, en alternance, Nathan Savoie et Julien Désy. Une production du Théâtre du Rideau Vert, présentée au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 22 février 2025.