Et si Nuances™ était la solution à tous les comportements toxiques ? Dans le contexte mondial et politique qui est le nôtre, cette hypothèse — même factice — est porteuse d’espoir. Pourquoi Nuances™ ? Parce que ce programme est capable de traiter les différents degrés d’abus sexuel. Gestes inappropriés, inconduites ou agressions : tous seront pris en charge avec passion. Derrière cette présentation empreinte de marketing se cache une entité bien huilée. Mais si l’on gratte un peu le cuir immaculé des chaises de consultation, on se heurte au désabusement. Pas des hommes, mais de notre espoir…
Dans un futur proche, l’institution Nuances™, impeccable de blancheur et de modernité, regroupe tous les clichés habituellement associés aux startups : environnement épuré d’inspiration suédoise, technologie omniprésente, abondance de collations, partys de bureau mémorables. La scénographie restitue clairement un faux semblant de confiance.
Jess – Camille Massicotte, superbe de justesse – nouvelle employée surmotivée, prend en charge ses premiers clients. Le jeu est fluide et spontané, et les personnages sont précisément caractérisés. La professeure émérite Natalia – Véronique Savoie, glaçante à souhait – est un savant mélange de maîtrise et de compassion, disons limitée. Louis – Maxime-Olivier Potvin, désarmant de naturel – est le stéréotype du gars sur qui les problèmes, s’il en a, glissent sur lui comme de l’eau sur des plumes de canard. Les différents profils d’agresseurs, campés par un solide Charles Boivin-Groulx, sont le pendant comique et facile à décoder d’un patient un peu plus vicieux, à savoir Sébastien. David Strasbourg, son interprète, joue sur la limite de notre ressenti. Est-il en repentance ou en perpétuelle démonstration d’arrogance ? La réponse arrive bien assez tôt.
La première heure s’évertue donc à nous convaincre que l’algorithme utilisé pour rééduquer les hommes accusés de violences sexuelles est une réussite. Chacun suit ses étapes, évolue avec succès, bien content d’échapper à une prise en charge judiciaire plus standard. C’est également dans cette partie que l’on mesure l’impact de la lumière et du son. Par sa précision et sa structure, l’éclairage agit presque comme un fusil de Tchekhov. Et les musiques et bruitages nous confortent insidieusement dans la foi à accorder à l’algorithme. La chorégraphie d’entrée de données réalisée par Jess et Louis est d’ailleurs une parfaite illustration du lâcher-prise à son endroit.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout reste pareil
La façade s’effondre en deuxième partie. Jess se heurte à un Sébastien plus entreprenant, les commentaires clients sur leur prise de conscience puent le je-m’en-foutisme et l’angoisse de Natalia se mesure en nombre de barres tendres.
Ce système irréprochable en apparence est pourri de l’intérieur. À l’image de Jess, on sent l’impuissance et la culture du profit émerger. Ce message est difficile à avaler, car il nous projette l’actualité en plein visage : l’impunité des agresseurs se révèle inébranlable; la détresse des intervenantes, sans fin. Il suffit d’examiner la décontraction des hommes – Louis et les patients – et de la comparer au mal-être féminin, pour savoir que les dés de la réhabilitation sont pipés.
La direction des interprètes et la traduction servent avec brio le texte d’origine, The Gradient de Steph Del Rosso. Baisser la garde est une erreur dont la conséquence est une tape sur les doigts des accusés, et un traumatisme pour les femmes. Un bon exemple ? Ce rapprochement de Jess et Louis, concrétisé par elle, mais fortement initié par lui. Devinez qui en ressort victime ?
À l’image de cette clinique imaginaire, l’ensemble est impeccable de bout en bout. Et si la fin nous reste en travers de la gorge, ce n’est pas imputable à une lacune de la pièce. Plutôt à une dérive sociétale en pleine résurgence.
Texte : Steph Del Rosso. Traduction : Laurie Léveillé. Mise en scène : Stéphanie Desrochers. Interprètes : Charles Boivin-Groulx, Camille Massicotte, Maxime-Olivier Potvin, Véronique Savoie, David Strasbourg. Assistance à la mise en scène : Roxanne Gallant. Décor et costumes : Amélie Marchand. Éclairages : Alexandra Morissette. Conception et composition sonore : Laure Anderson. Chorégraphe : Catherine Beauchemin. Une production du Théâtre de la Lune Rouge en codiffusion avec La Manufacture présentée à la salle La Petite Licorne jusqu’au 28 février 2025.
Et si Nuances™ était la solution à tous les comportements toxiques ? Dans le contexte mondial et politique qui est le nôtre, cette hypothèse — même factice — est porteuse d’espoir. Pourquoi Nuances™ ? Parce que ce programme est capable de traiter les différents degrés d’abus sexuel. Gestes inappropriés, inconduites ou agressions : tous seront pris en charge avec passion. Derrière cette présentation empreinte de marketing se cache une entité bien huilée. Mais si l’on gratte un peu le cuir immaculé des chaises de consultation, on se heurte au désabusement. Pas des hommes, mais de notre espoir…
Dans un futur proche, l’institution Nuances™, impeccable de blancheur et de modernité, regroupe tous les clichés habituellement associés aux startups : environnement épuré d’inspiration suédoise, technologie omniprésente, abondance de collations, partys de bureau mémorables. La scénographie restitue clairement un faux semblant de confiance.
Jess – Camille Massicotte, superbe de justesse – nouvelle employée surmotivée, prend en charge ses premiers clients. Le jeu est fluide et spontané, et les personnages sont précisément caractérisés. La professeure émérite Natalia – Véronique Savoie, glaçante à souhait – est un savant mélange de maîtrise et de compassion, disons limitée. Louis – Maxime-Olivier Potvin, désarmant de naturel – est le stéréotype du gars sur qui les problèmes, s’il en a, glissent sur lui comme de l’eau sur des plumes de canard. Les différents profils d’agresseurs, campés par un solide Charles Boivin-Groulx, sont le pendant comique et facile à décoder d’un patient un peu plus vicieux, à savoir Sébastien. David Strasbourg, son interprète, joue sur la limite de notre ressenti. Est-il en repentance ou en perpétuelle démonstration d’arrogance ? La réponse arrive bien assez tôt.
La première heure s’évertue donc à nous convaincre que l’algorithme utilisé pour rééduquer les hommes accusés de violences sexuelles est une réussite. Chacun suit ses étapes, évolue avec succès, bien content d’échapper à une prise en charge judiciaire plus standard. C’est également dans cette partie que l’on mesure l’impact de la lumière et du son. Par sa précision et sa structure, l’éclairage agit presque comme un fusil de Tchekhov. Et les musiques et bruitages nous confortent insidieusement dans la foi à accorder à l’algorithme. La chorégraphie d’entrée de données réalisée par Jess et Louis est d’ailleurs une parfaite illustration du lâcher-prise à son endroit.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout reste pareil
La façade s’effondre en deuxième partie. Jess se heurte à un Sébastien plus entreprenant, les commentaires clients sur leur prise de conscience puent le je-m’en-foutisme et l’angoisse de Natalia se mesure en nombre de barres tendres.
Ce système irréprochable en apparence est pourri de l’intérieur. À l’image de Jess, on sent l’impuissance et la culture du profit émerger. Ce message est difficile à avaler, car il nous projette l’actualité en plein visage : l’impunité des agresseurs se révèle inébranlable; la détresse des intervenantes, sans fin. Il suffit d’examiner la décontraction des hommes – Louis et les patients – et de la comparer au mal-être féminin, pour savoir que les dés de la réhabilitation sont pipés.
La direction des interprètes et la traduction servent avec brio le texte d’origine, The Gradient de Steph Del Rosso. Baisser la garde est une erreur dont la conséquence est une tape sur les doigts des accusés, et un traumatisme pour les femmes. Un bon exemple ? Ce rapprochement de Jess et Louis, concrétisé par elle, mais fortement initié par lui. Devinez qui en ressort victime ?
À l’image de cette clinique imaginaire, l’ensemble est impeccable de bout en bout. Et si la fin nous reste en travers de la gorge, ce n’est pas imputable à une lacune de la pièce. Plutôt à une dérive sociétale en pleine résurgence.
Nuances™
Texte : Steph Del Rosso. Traduction : Laurie Léveillé. Mise en scène : Stéphanie Desrochers. Interprètes : Charles Boivin-Groulx, Camille Massicotte, Maxime-Olivier Potvin, Véronique Savoie, David Strasbourg. Assistance à la mise en scène : Roxanne Gallant. Décor et costumes : Amélie Marchand. Éclairages : Alexandra Morissette. Conception et composition sonore : Laure Anderson. Chorégraphe : Catherine Beauchemin. Une production du Théâtre de la Lune Rouge en codiffusion avec La Manufacture présentée à la salle La Petite Licorne jusqu’au 28 février 2025.