© Jérémie Bataglia

Nous sommes à quelques jours du dépôt du nouveau budget du gouvernement du Québec. Après la mobilisation des artistes, les manifestations dans la rue et les rencontres de toutes sortes en haut lieu en 2024, les yeux des membres du milieu des arts du spectacle vivant seront braqués sur les montants qui seront attribués au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Une augmentation de son budget de base est attendue depuis longtemps. Or, la mise à jour économique de novembre dernier du ministre des Finances, Éric Girard, laissait peu de place à l’espoir. Avec un déficit de 11 milliards $ à Québec, les artistes risquent de se faire dire encore une fois que la santé, l’éducation, etc. La chanson est archiconnue.

Face au statu quo, en octobre dernier, un front commun a été lancé par 17 associations artistiques et culturelles – dont le Conseil québécois du théâtre, le Regroupement québécois de la danse et les circassiens de En piste – pour réclamer un budget récurrent de 200 millions $ au CALQ. Le fait n’est pas anodin. C’est la première fois qu’une telle force de frappe est réunie, démontrant la gravité de la situation dans laquelle se trouvent les artistes. Le front commun a rencontré le ministre de la Culture Mathieu Lacombe, celui-ci a confirmé qu’il en faisait sa priorité budgétaire. Les représentants des artistes ont aussi sensibilisé plusieurs député∙es à leur cause, mais les demandes de rencontre avec le premier ministre et le ministre des Finances sont restées lettre morte.

Comme nous l’écrivions dans notre numéro de novembre dernier, il est clair que, malgré la bonne foi du responsable de la Culture, ce gouvernement ne possède aucune fibre culturelle. Le ministre Lacombe interagit avec des collègues au Conseil des ministres qui, devant la baisse de popularité de la CAQ, pensent surtout aux moyens de garder leur emploi plutôt que de venir en aide à un secteur en état de sous-financement permanent. En outre, le vent populiste qui souffle sur l’Occident n’épargne pas le Québec où les plus bas instincts individuels seront flattés dans le sens de tous les poils jusqu’aux prochaines élections, comme on le voit déjà dans le repositionnement à droite des aspirant∙es au pouvoir au sein des autres formations politiques.

Les emplois en art et culture ne sont pas des passe-temps. Il s’agit d’un travail mal reconnu et mal rémunéré. L’écart entre l’enveloppe de base du CALQ pour soutenir les arts et les crédits alloués par le Conseil du trésor est passé de 11 % à près de 50 % depuis 2020. C’est inacceptable. Dans son plus récent livre, Et si l’art pouvait changer le monde ?, l’ancien directeur du Conseil des arts du Canada, Simon Brault, le constate et demeure convaincu que le milieu culturel est en marche pour changer les choses, mais aussi, qu’il devra probablement accélérer sa participation aux débats collectifs sur les enjeux sociétaux, tels que l’avenir de la planète par exemple. C’est d’autant plus vrai au Québec devant les contenus uniformisés, facilement accessibles et abordables sur de multiples plateformes, provenant de nations omnipotentes. Musique, danse, théâtre, cinéma, arts visuels sont des bouées auxquelles nous nous accrochons pour ne pas sombrer. Divertissement, oui, mais remises en question, réflexion et espoirs également. Depuis que le monde est monde, y a-t-il eu des périodes dans l’histoire de l’humanité où ce n’était pas le cas ? « L’art est le plus court chemin de l’homme à l’homme », disait André Malraux.

Quand on parle de « nouveaux matérialismes » en arts vivants, par contre, il ne s’agit pas d’un enjeu économique. C’est, au contraire, admettre notre importance relative face au monde qui nous entoure, animé ou inanimé. Le titre du très beau roman d’Élise Turcotte, Le bruit des choses vivantes, exprime très bien cette idée d’être à l’écoute du matériel, de l’animal, du végétal et du minéral pour nous rebrancher sur notre propre humanité. Plusieurs artistes en font une pratique quotidienne, comme vous le lirez dans notre dossier « Matériaux ». Peut-être comprendra-t-on ainsi un peu mieux que le chemin entre un∙e humain∙e et un∙e autre passe par un univers de possibles, de petites et grandes choses avec lesquelles il faut composer. Si on admettait que l’art nous aide à mieux vivre, peut-être pourrait-on en arriver à établir un juste prix à payer aux créateurs et aux créatrices.