L’organisme Casteliers, dont les activités et le rayonnement dépassent la seule tenue d’un festival printanier particulièrement couru, célèbre son 20e anniversaire en mars 2025. Retour sur une initiative rassembleuse, probante, et essentielle.
Durer deux décennies représente un défi de plus en plus difficile, dans le contexte actuel – celui d’après une pandémie dont on ne se remet toujours pas –, pour les compagnies artistiques de tous horizons. Que dire alors d’un festival niché comme celui de Casteliers, qui vit nécessairement du travail de tous ces créateurs et créatrices œuvrant au jour le jour avec passion, résilience et détermination ? La vérité, c’est que cet événement n’a existé et ne se maintient qu’avec pour objectif fondamental de « mettre de l’avant la qualité du travail de création des artistes », rappelle avec conviction sa fondatrice et directrice artistique, Louise Lapointe.
Jointe au retour d’un voyage au Danemark, au Festival of Wonder de Silkeborg où se produisait le collectif montréalais La Ruée vers l’or – dont le spectacle encensé Racontars arctiques, présenté en 2022 par Casteliers, poursuit sa route à l’international –, Louise Lapointe dit ressentir à la fois de la surprise, de la fierté et de l’enthousiasme en jetant son regard sur ces 20 dernières années. La surprise d’être encore là après des débuts extrêmement modestes; une fierté qui se décline sur plusieurs plans, on le verra; enfin, l’enthousiasme d’un engagement qui ne se dément pas, désormais tourné vers l’avenir.
Jointe au retour d’un voyage au Danemark, au Festival of Wonder de Silkeborg où se produisait le collectif montréalais La Ruée vers l’or – dont le spectacle encensé Racontars arctiques, présenté en 2022 par Casteliers, poursuit sa route à l’international –, Louise Lapointe dit ressentir à la fois de la surprise, de la fierté et de l’enthousiasme en jetant son regard sur ces 20 dernières années. La surprise d’être encore là après des débuts extrêmement modestes ; une fierté qui se décline sur plusieurs plans, on le verra ; enfin, l’enthousiasme d’un engagement qui ne se dément pas, désormais tourné vers l’avenir.
Pour avoir fréquenté le Festival international de Casteliers dès ses premières éditions –alors nommées Les Trois Jours de Casteliers –, j’en garde des souvenirs d’œuvres audacieuses, parfois un peu trash, politiquement incorrectes, souvent pleines d’humour et de bienveillance, de poésie et d’intelligence, mais aussi de grande virtuosité. C’est que la manifestation, tout en faisant une place indispensable à l’enfance, contribue de prime abord à promouvoir les arts de la marionnette pour adultes, ouvrant ainsi les ornières d’une partie du public et de responsables de programmations, grâce à des propositions remuantes, bouleversantes, souvent impressionnantes. Et comment oublier l’ambiance du festival, ses soirées d’ouverture réunissant dans le foyer du Théâtre Outremont tout ce qui compte dans l’écosystème de l’objet animé ? Les discours emportés de son porte-parole, Carl Béchard, pendant plusieurs années ? Ses activités qui débordent dans tout l’arrondissement d’Outremont, notamment les « Marionnettes en vitrines ! » dans les commerces du quartier ?
Une croissance en plusieurs jalons
C’est lors d’une discussion, en 2005, avec Manon Touchette, responsable des activités culturelles à l’arrondissement d’Outremont, que l’idée de mettre sur pied une activité de diffusion exclusivement dédiée à la marionnette a éclos. Louise Lapointe, qui avait œuvré pendant une vingtaine d’années comme scénographe et technicienne de scène au Conservatoire d’art dramatique de Montréal, passionnée par la matière, la fabrication d’accessoires et de marionnettes, a tout de suite voulu donner suite à ce projet. C’est ainsi que Les Trois Jours de Casteliers sont nés. « À l’époque, il y avait un réel besoin de diffusion ressenti par les artistes, se souvient celle qui n’a pas ménagé ses efforts pour réunir les forces de la discipline; ce qui me rend particulièrement fière, dit-elle aujourd’hui, c’est que les professionnel·les étaient là dès le départ et, 20 ans plus tard, y sont toujours. »
Le succès a été instantané et n’a fait que grandir au fil des ans. Louise Lapointe, si elle a d’indéniables qualités de visionnaire et de rassembleuse, n’oublie jamais de mentionner l’apport du milieu, des structures et des institutions qui se sont engagées et continuent de renouveler leur apport dans cette réalisation, qui a pris de l’expansion. Du Théâtre Outremont, lieu central des festivités, on a essaimé des œuvres dans d’autres salles à Montréal, tout en gardant l’ancrage dans le quartier d’origine, où personne n’ignore à présent l’existence de ce 11e art, majeur, pourtant toujours méconnu ailleurs, encore trop souvent associé à l’enfance. Le public festivalier, lui, fidèle, formé de toutes les générations, a appris à bien connaître cet art millénaire dans toutes ses variations, et non seulement renouvelle sa présence mais s’agrandit d’année en année.
La mise en place du Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en théâtre de marionnette contemporain à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, en 2007, a sans doute été un tremplin pour le perfectionnement et la professionnalisation des artistes, et la formation d’une relève essentielle. En 2009, la volonté du milieu québécois de la marionnette de consacrer un lieu à la discipline – une maison, comme il en existe dans quelques villes à travers le monde – est mise de l’avant lors de l’assemblée générale de l’Association québécoise des marionnettistes (AQM). Un vaste chantier s’ouvre alors [1]. Il faudra attendre 2018 pour que Casteliers soit enfin propriétaire d’un bâtiment sur l’îlot Saint-Viateur à Outremont, qui deviendra la Maison internationale des arts de la marionnette (MIAM), où les deux organisations, Casteliers et l’AQM, éliront domicile.
Rayonner au Québec et à travers le monde
Parmi les souvenirs qui me reviennent, il y eut ce 4 mars 2020, soir d’ouverture de la 15e édition du Festival, où on nous annonça que l’équipe du spectacle prévu, Mulan, qui aurait dû venir de Shanghai, ayant annulé sa visite, l’œuvre nous serait projetée sur écran. Louise Lapointe se souvient que Casteliers fut l’un des derniers festivals du spectacle vivant à avoir lieu cette année-là, du 4 au 8 mars : quelques jours plus tard, c’était le confinement et tout le bouleversement qui allait suivre. « Bien que les moyens mis à notre disposition soient moins modestes aujourd’hui qu’à nos débuts, nous vivons la même réalité que les autres acteurs du milieu culturel, explique la directrice : aujourd’hui, il y a les enjeux écologiques, la revendication d’une plus grande place pour la culture auprès des gouvernements; quand la pandémie est arrivée, nous avons été bouleversé·es comme tout le monde, mais heureusement, grâce à la MIAM, nous avons pu organiser des résidences de création pour les artistes. Ce moment suspendu nous a aussi fait réaliser l’importance du volet international, qui constitue 50 % de nos activités. »
Des voyages de par le monde, Louise Lapointe et ses complices en ont faits, à la recherche de la perle qui saura enflammer spectateurs et spectatrices, sans compter l’apport que peut représenter pour les artistes d’ici le fait de se frotter aux œuvres et aux démarches artistiques d’ailleurs. Les bien nommés arts de la marionnette sont si multiples, ouvrent tant de voies à l’imaginaire, qu’on ne peut les circonscrire dans un style ou une approche prépondérante. Ayant eu le privilège de diriger un copieux dossier Planète marionnette en 2012 [2], j’écrivais en introduction : « La marionnette, lilliputienne ou surdimensionnée, figurine, poupée ou simple objet détourné de son usage habituel, qu’elle soit manipulée selon une technique ou une autre, qu’elle se meuve en ombre ou grâce à la mécanique sophistiquée des automates, se présente comme un monde en soi. Artefact d’un rituel ancien ou avatar technologique d’avant-garde, qu’elle soit utilisée pour dérider les enfants par ses pitreries, pour séduire les plus grands par ses qualités esthétiques, pour émouvoir ou pour revendiquer au nom des opprimés, la marionnette prend vie partout, à toutes les époques et sur tous les continents [3]. »
Reconnaissant que la situation vécue par le monde culturel est toujours préoccupante ici comme à l’échelle internationale, la directrice artistique de Casteliers se réjouit de voir des alliances se dessiner et se solidifier, entre structures de diffusion d’ici et de divers pays. Elle rappelle que le festival réussit à attirer chaque année une quarantaine de programmateurs du monde entier, ce qui est en soi un exploit, un signe que la manifestation a su établir sa réputation au-delà de nos frontières. Il va sans dire que cette vitrine, qui fait toujours une large place aux créations d’ici, a permis et permet à plusieurs compagnies québécoises de se faire connaître à l’étranger, d’y effectuer des tournées et, grâce aux échanges, de coproduire des œuvres impliquant des artistes d’ici et d’ailleurs.
Un monde d’univers singuliers
Ce qui m’a toujours frappé, agréablement, en prenant place dans une salle pour un spectacle offert par Casteliers, dont la sélection m’a toujours paru d’une grande finesse, c’est à quel point, tout à coup, on se voit transporté·e dans un espace imaginaire cohérent, hors pair, intemporel, un univers complet en soi. Et ce, dans toutes les variantes formelles et narratives imaginables : de l’époustouflant Molière de l’iconoclaste Neville Tranter et de sa compagnie Stuffed Puppet Theatre des Pays-Bas aux non moins prodigieuses prestations du Canadien Ronnie Burkett, des spectacles à grand déploiement, comme le magnifique Moby Dick de la compagnie Plexus Polaire (France/Norvège), en passant par le théâtre d’objets et d’ombres de la Pire Espèce (hilarant et révolutionnaire Ubu sur la table…), les œuvres musicales de Pupulus Mordicus (Cabaret Gainsbourg…), l’extraordinaire Chimpanzee du New-yorkais Nick Lehane, l’étonnant Salon Automate de notre Nathalie Claude – il y en aurait tant d’autres à nommer (nommer, c’est exclure, dit-on, alors je m’arrête) – sans oublier toutes ces soirées de courtes formes, où de petits bijoux d’à peine quelques minutes présentés dans une ambiance intime arrivaient à nous divertir ou à nous émouvoir.
On ne dira jamais assez la puissance de ce 11e art, où sont convoqués à tour de rôle l’illusion, visuelle et sonore, le côté palpable des matériaux, parfois d’éléments naturels (sable, eau, feu…), comme des corps (visages, mains…) de celles et ceux qui manipulent, car, comme je l’écrivais en 2012 : « Faisant appel à d’innombrables métiers – sculpture, peinture, couture, menuiserie, conception d’éclairages, jeu d’acteur, manipulation, bruitage, haute technologie –, le théâtre de marionnettes touche aux arts visuels, à la danse, au cinéma, univers d’exploration interdisciplinaire infini. Héritage à préserver à travers lequel s’exprime le mystère de la vie, du passage de l’inanimé à l’animé, la planète marionnette représente l’humaine condition dans toutes ses manifestations [4]. »
Encouragée par une équipe renforcée, où elle partage désormais les responsabilités avec une directrice générale, Geneviève Therrien, la directrice artistique de Casteliers maintient le cap en regardant vers l’avenir. S’il y a eu un certain roulement de personnel dans la foulée de la pandémie, Louise Lapointe voit un autre motif de fierté dans le fait que l’organisation, bon an mal an, crée des emplois, ce qui n’est pas négligeable dans l’écosystème du milieu. Les partenariats qu’elle a su nouer avec le OUF ! Festival Off Casteliers, la bibliothèque d’Outremont, et des lieux de diffusion hors de Montréal, à Val David ou au Saguenay, en Ontario et aux États-Unis (Chicago, New York), contribuent également au rayonnement des compagnies québécoises en leur offrant quelques points de chute supplémentaires pour leurs spectacles. De la même façon, des ententes avec d’autres diffuseurs, comme Le Diamant à Québec, permettent d’accueillir chez nous de grands spectacles, tel Dimanche des compagnies Focus et Chaliwaté, qui a remporté deux prix Maeterlinck en Belgique en 2020, qu’on verra en mars à Casteliers.
Les 20 ans de Casteliers s’inscrivent plus largement, en 2025, dans les célébrations du 150e anniversaire d’Outremont. Parmi les activités prévues, on procédera à l’inauguration officielle de la place Micheline-Legendre, devant la MIAM, après qu’une exposition consacrée au travail de cette pionnière de la marionnette au Québec ait été montrée en décembre et en janvier à la Maison de la culture Ahuntsic, après avoir voyagé jusqu’à la Maison de la marionnette de Tournai, en Belgique, dans le cadre d’un projet de coopération internationale entre le Québec et la Wallonie. Une exposition sur les 20 ans de Casteliers sera aussi présentée à la Galerie d’Outremont.
Bien que son objectif immédiat soit de « consolider les acquis » par des « actions structurantes », Louise Lapointe avoue nourrir un rêve, un projet qui lui appartient mais « qui fait des petits », dit-elle, celui d’un musée de la marionnette. Une idée lumineuse, qui, espérons-le, verra le jour dans les prochaines années. Bon anniversaire, Casteliers !
¹ Voir l’article de Michèle Chanonat, « La MIAM, un toit pour les marionnettistes », dans JEU 168 (2018.3), p. 65-67.
² Dossier paru dans JEU 143 (2012.2).
³ Idem., p. 4.
⁴ Idem., p. 4.
L’organisme Casteliers, dont les activités et le rayonnement dépassent la seule tenue d’un festival printanier particulièrement couru, célèbre son 20e anniversaire en mars 2025. Retour sur une initiative rassembleuse, probante, et essentielle.
Durer deux décennies représente un défi de plus en plus difficile, dans le contexte actuel – celui d’après une pandémie dont on ne se remet toujours pas –, pour les compagnies artistiques de tous horizons. Que dire alors d’un festival niché comme celui de Casteliers, qui vit nécessairement du travail de tous ces créateurs et créatrices œuvrant au jour le jour avec passion, résilience et détermination ? La vérité, c’est que cet événement n’a existé et ne se maintient qu’avec pour objectif fondamental de « mettre de l’avant la qualité du travail de création des artistes », rappelle avec conviction sa fondatrice et directrice artistique, Louise Lapointe.
Jointe au retour d’un voyage au Danemark, au Festival of Wonder de Silkeborg où se produisait le collectif montréalais La Ruée vers l’or – dont le spectacle encensé Racontars arctiques, présenté en 2022 par Casteliers, poursuit sa route à l’international –, Louise Lapointe dit ressentir à la fois de la surprise, de la fierté et de l’enthousiasme en jetant son regard sur ces 20 dernières années. La surprise d’être encore là après des débuts extrêmement modestes; une fierté qui se décline sur plusieurs plans, on le verra; enfin, l’enthousiasme d’un engagement qui ne se dément pas, désormais tourné vers l’avenir.
Jointe au retour d’un voyage au Danemark, au Festival of Wonder de Silkeborg où se produisait le collectif montréalais La Ruée vers l’or – dont le spectacle encensé Racontars arctiques, présenté en 2022 par Casteliers, poursuit sa route à l’international –, Louise Lapointe dit ressentir à la fois de la surprise, de la fierté et de l’enthousiasme en jetant son regard sur ces 20 dernières années. La surprise d’être encore là après des débuts extrêmement modestes ; une fierté qui se décline sur plusieurs plans, on le verra ; enfin, l’enthousiasme d’un engagement qui ne se dément pas, désormais tourné vers l’avenir.
Pour avoir fréquenté le Festival international de Casteliers dès ses premières éditions –alors nommées Les Trois Jours de Casteliers –, j’en garde des souvenirs d’œuvres audacieuses, parfois un peu trash, politiquement incorrectes, souvent pleines d’humour et de bienveillance, de poésie et d’intelligence, mais aussi de grande virtuosité. C’est que la manifestation, tout en faisant une place indispensable à l’enfance, contribue de prime abord à promouvoir les arts de la marionnette pour adultes, ouvrant ainsi les ornières d’une partie du public et de responsables de programmations, grâce à des propositions remuantes, bouleversantes, souvent impressionnantes. Et comment oublier l’ambiance du festival, ses soirées d’ouverture réunissant dans le foyer du Théâtre Outremont tout ce qui compte dans l’écosystème de l’objet animé ? Les discours emportés de son porte-parole, Carl Béchard, pendant plusieurs années ? Ses activités qui débordent dans tout l’arrondissement d’Outremont, notamment les « Marionnettes en vitrines ! » dans les commerces du quartier ?
Une croissance en plusieurs jalons
C’est lors d’une discussion, en 2005, avec Manon Touchette, responsable des activités culturelles à l’arrondissement d’Outremont, que l’idée de mettre sur pied une activité de diffusion exclusivement dédiée à la marionnette a éclos. Louise Lapointe, qui avait œuvré pendant une vingtaine d’années comme scénographe et technicienne de scène au Conservatoire d’art dramatique de Montréal, passionnée par la matière, la fabrication d’accessoires et de marionnettes, a tout de suite voulu donner suite à ce projet. C’est ainsi que Les Trois Jours de Casteliers sont nés. « À l’époque, il y avait un réel besoin de diffusion ressenti par les artistes, se souvient celle qui n’a pas ménagé ses efforts pour réunir les forces de la discipline; ce qui me rend particulièrement fière, dit-elle aujourd’hui, c’est que les professionnel·les étaient là dès le départ et, 20 ans plus tard, y sont toujours. »
Le succès a été instantané et n’a fait que grandir au fil des ans. Louise Lapointe, si elle a d’indéniables qualités de visionnaire et de rassembleuse, n’oublie jamais de mentionner l’apport du milieu, des structures et des institutions qui se sont engagées et continuent de renouveler leur apport dans cette réalisation, qui a pris de l’expansion. Du Théâtre Outremont, lieu central des festivités, on a essaimé des œuvres dans d’autres salles à Montréal, tout en gardant l’ancrage dans le quartier d’origine, où personne n’ignore à présent l’existence de ce 11e art, majeur, pourtant toujours méconnu ailleurs, encore trop souvent associé à l’enfance. Le public festivalier, lui, fidèle, formé de toutes les générations, a appris à bien connaître cet art millénaire dans toutes ses variations, et non seulement renouvelle sa présence mais s’agrandit d’année en année.
La mise en place du Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en théâtre de marionnette contemporain à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, en 2007, a sans doute été un tremplin pour le perfectionnement et la professionnalisation des artistes, et la formation d’une relève essentielle. En 2009, la volonté du milieu québécois de la marionnette de consacrer un lieu à la discipline – une maison, comme il en existe dans quelques villes à travers le monde – est mise de l’avant lors de l’assemblée générale de l’Association québécoise des marionnettistes (AQM). Un vaste chantier s’ouvre alors [1]. Il faudra attendre 2018 pour que Casteliers soit enfin propriétaire d’un bâtiment sur l’îlot Saint-Viateur à Outremont, qui deviendra la Maison internationale des arts de la marionnette (MIAM), où les deux organisations, Casteliers et l’AQM, éliront domicile.
Rayonner au Québec et à travers le monde
Parmi les souvenirs qui me reviennent, il y eut ce 4 mars 2020, soir d’ouverture de la 15e édition du Festival, où on nous annonça que l’équipe du spectacle prévu, Mulan, qui aurait dû venir de Shanghai, ayant annulé sa visite, l’œuvre nous serait projetée sur écran. Louise Lapointe se souvient que Casteliers fut l’un des derniers festivals du spectacle vivant à avoir lieu cette année-là, du 4 au 8 mars : quelques jours plus tard, c’était le confinement et tout le bouleversement qui allait suivre. « Bien que les moyens mis à notre disposition soient moins modestes aujourd’hui qu’à nos débuts, nous vivons la même réalité que les autres acteurs du milieu culturel, explique la directrice : aujourd’hui, il y a les enjeux écologiques, la revendication d’une plus grande place pour la culture auprès des gouvernements; quand la pandémie est arrivée, nous avons été bouleversé·es comme tout le monde, mais heureusement, grâce à la MIAM, nous avons pu organiser des résidences de création pour les artistes. Ce moment suspendu nous a aussi fait réaliser l’importance du volet international, qui constitue 50 % de nos activités. »
Des voyages de par le monde, Louise Lapointe et ses complices en ont faits, à la recherche de la perle qui saura enflammer spectateurs et spectatrices, sans compter l’apport que peut représenter pour les artistes d’ici le fait de se frotter aux œuvres et aux démarches artistiques d’ailleurs. Les bien nommés arts de la marionnette sont si multiples, ouvrent tant de voies à l’imaginaire, qu’on ne peut les circonscrire dans un style ou une approche prépondérante. Ayant eu le privilège de diriger un copieux dossier Planète marionnette en 2012 [2], j’écrivais en introduction : « La marionnette, lilliputienne ou surdimensionnée, figurine, poupée ou simple objet détourné de son usage habituel, qu’elle soit manipulée selon une technique ou une autre, qu’elle se meuve en ombre ou grâce à la mécanique sophistiquée des automates, se présente comme un monde en soi. Artefact d’un rituel ancien ou avatar technologique d’avant-garde, qu’elle soit utilisée pour dérider les enfants par ses pitreries, pour séduire les plus grands par ses qualités esthétiques, pour émouvoir ou pour revendiquer au nom des opprimés, la marionnette prend vie partout, à toutes les époques et sur tous les continents [3]. »
Reconnaissant que la situation vécue par le monde culturel est toujours préoccupante ici comme à l’échelle internationale, la directrice artistique de Casteliers se réjouit de voir des alliances se dessiner et se solidifier, entre structures de diffusion d’ici et de divers pays. Elle rappelle que le festival réussit à attirer chaque année une quarantaine de programmateurs du monde entier, ce qui est en soi un exploit, un signe que la manifestation a su établir sa réputation au-delà de nos frontières. Il va sans dire que cette vitrine, qui fait toujours une large place aux créations d’ici, a permis et permet à plusieurs compagnies québécoises de se faire connaître à l’étranger, d’y effectuer des tournées et, grâce aux échanges, de coproduire des œuvres impliquant des artistes d’ici et d’ailleurs.
Un monde d’univers singuliers
Ce qui m’a toujours frappé, agréablement, en prenant place dans une salle pour un spectacle offert par Casteliers, dont la sélection m’a toujours paru d’une grande finesse, c’est à quel point, tout à coup, on se voit transporté·e dans un espace imaginaire cohérent, hors pair, intemporel, un univers complet en soi. Et ce, dans toutes les variantes formelles et narratives imaginables : de l’époustouflant Molière de l’iconoclaste Neville Tranter et de sa compagnie Stuffed Puppet Theatre des Pays-Bas aux non moins prodigieuses prestations du Canadien Ronnie Burkett, des spectacles à grand déploiement, comme le magnifique Moby Dick de la compagnie Plexus Polaire (France/Norvège), en passant par le théâtre d’objets et d’ombres de la Pire Espèce (hilarant et révolutionnaire Ubu sur la table…), les œuvres musicales de Pupulus Mordicus (Cabaret Gainsbourg…), l’extraordinaire Chimpanzee du New-yorkais Nick Lehane, l’étonnant Salon Automate de notre Nathalie Claude – il y en aurait tant d’autres à nommer (nommer, c’est exclure, dit-on, alors je m’arrête) – sans oublier toutes ces soirées de courtes formes, où de petits bijoux d’à peine quelques minutes présentés dans une ambiance intime arrivaient à nous divertir ou à nous émouvoir.
On ne dira jamais assez la puissance de ce 11e art, où sont convoqués à tour de rôle l’illusion, visuelle et sonore, le côté palpable des matériaux, parfois d’éléments naturels (sable, eau, feu…), comme des corps (visages, mains…) de celles et ceux qui manipulent, car, comme je l’écrivais en 2012 : « Faisant appel à d’innombrables métiers – sculpture, peinture, couture, menuiserie, conception d’éclairages, jeu d’acteur, manipulation, bruitage, haute technologie –, le théâtre de marionnettes touche aux arts visuels, à la danse, au cinéma, univers d’exploration interdisciplinaire infini. Héritage à préserver à travers lequel s’exprime le mystère de la vie, du passage de l’inanimé à l’animé, la planète marionnette représente l’humaine condition dans toutes ses manifestations [4]. »
Encouragée par une équipe renforcée, où elle partage désormais les responsabilités avec une directrice générale, Geneviève Therrien, la directrice artistique de Casteliers maintient le cap en regardant vers l’avenir. S’il y a eu un certain roulement de personnel dans la foulée de la pandémie, Louise Lapointe voit un autre motif de fierté dans le fait que l’organisation, bon an mal an, crée des emplois, ce qui n’est pas négligeable dans l’écosystème du milieu. Les partenariats qu’elle a su nouer avec le OUF ! Festival Off Casteliers, la bibliothèque d’Outremont, et des lieux de diffusion hors de Montréal, à Val David ou au Saguenay, en Ontario et aux États-Unis (Chicago, New York), contribuent également au rayonnement des compagnies québécoises en leur offrant quelques points de chute supplémentaires pour leurs spectacles. De la même façon, des ententes avec d’autres diffuseurs, comme Le Diamant à Québec, permettent d’accueillir chez nous de grands spectacles, tel Dimanche des compagnies Focus et Chaliwaté, qui a remporté deux prix Maeterlinck en Belgique en 2020, qu’on verra en mars à Casteliers.
Les 20 ans de Casteliers s’inscrivent plus largement, en 2025, dans les célébrations du 150e anniversaire d’Outremont. Parmi les activités prévues, on procédera à l’inauguration officielle de la place Micheline-Legendre, devant la MIAM, après qu’une exposition consacrée au travail de cette pionnière de la marionnette au Québec ait été montrée en décembre et en janvier à la Maison de la culture Ahuntsic, après avoir voyagé jusqu’à la Maison de la marionnette de Tournai, en Belgique, dans le cadre d’un projet de coopération internationale entre le Québec et la Wallonie. Une exposition sur les 20 ans de Casteliers sera aussi présentée à la Galerie d’Outremont.
Bien que son objectif immédiat soit de « consolider les acquis » par des « actions structurantes », Louise Lapointe avoue nourrir un rêve, un projet qui lui appartient mais « qui fait des petits », dit-elle, celui d’un musée de la marionnette. Une idée lumineuse, qui, espérons-le, verra le jour dans les prochaines années. Bon anniversaire, Casteliers !
¹ Voir l’article de Michèle Chanonat, « La MIAM, un toit pour les marionnettistes », dans JEU 168 (2018.3), p. 65-67.
² Dossier paru dans JEU 143 (2012.2).
³ Idem., p. 4.
⁴ Idem., p. 4.