Critiques

Humeurs de veuve : Marilyn Perreault, magistrale

© Najim Chaoui / Arach’Pictures

Dans Humeurs de veuve, adaptation du roman Parents et amis sont invités à y assister d’Hervé Bouchard, l’interprétation de Marilyn Perreault n’est rien de moins que magistrale. D’ailleurs, les solos féminins triomphent en ce moment sur la scène montréalaise, si on pense à la performance d’Évelyne Rompré dans Tout ça. Ce n’est pas le fruit du hasard. Le travail du mouvement des Femmes pour l’Équité au Théâtre (F.E.T.), dans lequel s’est beaucoup impliquée Marilyn Perreault, n’est pas étranger aux volontés du Théâtre des Trompes de présenter un théâtre féministe et novateur. Sa cofondatrice, Charlotte Gagné-Dumais, cosigne l’adaptation (avec Charlotte Moffet) et la mise en scène d’Humeurs de veuve, un texte des plus denses qui soient.

Le découpage habile du roman d’Hervé Bouchard prend la forme ici d’une pièce finement ciselée, passant de 40 personnages à un seul, la Veuve Manchée, enfermée dans une robe de bois, car les deux bras lui en sont tombés à la mort de son mari. Prisonnière de son rôle de femme, de sœur et de mère, elle n’a justement pas la langue de bois et ne cessera jamais de parler. Elle raconte sa vie, avant, pendant et après les funérailles du défunt, dans la langue belle et unique de Bouchard, parfois drôle, surtout poétique avec des élans presque surréalistes. Ladite veuve peut au moins rêver. Elle dévoile ses sentiments partagés à propos de tout le monde, de ses enfants aux voisins en passant par sa « pauvre mère ».

© Najim Chaoui / Arach’Pictures

L’accent mis sur cette prise de parole rend le spectacle fort pertinent. La Veuve Manchée avoue tout et laisse passer quelques moments de colère en se repentant aussitôt : « faut pas dire ça ». Cette femme triste et joyeuse, coquine et coquette, fatiguée, mais jamais éteinte, porte en elle toutes celles qui ont souffert du rôle traditionnel qui leur a été assigné à la naissance, du quotidien répétitif, de l’isolement, du regard jaloux des autres et de l’indifférence bien souvent généralisée. La veuve ne souhaite que trouver la paix et la liberté, paradoxalement, puisqu’elle restera emmurée dans un vêtement trop étroit. On ne saurait souligner assez l’interprétation nuancée de Marilyn Perreault qui garde le public captivé d’un bout à l’autre en n’ayant comme seul moyen d’expression le haut de son corps. La comédienne joue de tous ses traits de visages et de ses mimiques pour exprimer un nombre incalculable d’idées et d’émotions dans un flot continu de paroles.

On sent que la metteuse en scène Charlotte Gagné-Dumais et l’interprète ont travaillé, c’est le cas de le dire, main dans la main, afin de rendre ce texte exigeant dans un rythme soutenu avec diverses tonalités, délimitant bien les moments forts tout en permettant à la comédienne de prendre de courtes poses de réhydratation lors de noirs appropriés. Des images de forêts, de vagues et de mains baladeuses, et des sons sourds, entre autres, viennent prêter main forte, décidément !, au propos. La robe de contreplaqué impose également sa présence, étant placée sur un plancher et devant un mur en bois. Comme une certaine robe dans le titre d’un autre roman d’Hervé Bouchard, impliquant la même veuve, Le faux pas de l’actrice dans sa traîne.

C’est organique et plus grand que nature, telle la parole des femmes qui, on le sait dans notre époque trouble, doit se faire entendre plus que jamais. On voit bien que l’émancipation et l’égalité seront toujours remises en question par moult courants réactionnaires. « On n’est pas sorti∙es du bois », se répète-t-on encore trop souvent de nos jours. Qu’il brûle alors, ce bois, dans l’incandescence des mots nécessaires.

© Najim Chaoui / Arach’Pictures

Humeurs de veuve

Texte : Hervé Bouchard. Adaptation : Charlotte Moffet, Charlotte Gagné-Dumais. Mise en scène : Charlotte Gagné-Dumais. Conseil dramaturgique : Charlotte Moffet. Conception des éclairages : Laura Dominguez. Conception vidéo : Antoine Amnotte-Dupuis. Conception sonore : Jo Vignola. Scénographie : Noémi Paquette. Direction de production : Clémence Doray. Direction technique : Nicolas Jalbert. Collaboration à la construction du décor : Atelier Marteau Crayon. Trompe associée : Jordan Chartrand. Participation aux images de mains : Maude Robillard. Interprétation : Marilyn Perreault. Une production du Théâtre des Trompes présentée au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 1er mars 2025.