Critiques

Othello : Moments aériens dans une proposition à tout vent

© Stéphane Bourgeois

L’œuvre de Shakespeare invite aux relectures et aux mariages de tons et de disciplines, un art qui peut s’avérer périlleux. Dans Othello, présenté au Trident, Didier Lucien tire profit de ses expériences de mises en scène en collaboration avec l’École nationale de cirque, mais n’arrive pas à lier tous les éléments du spectacle pour créer une proposition claire et harmonieuse.

Après une version sublime du Songe d’une nuit d’été avec FLIP Fabrique en 2017, puis une relecture joyeusement éclatée de Roméo et Juliette avec Nuages en Pantalon en 2020, le Trident s’associe au Théâtre du Nouveau Monde pour un Othello adapté par Jean Marc Dalpé. L’auteur franco-ontarien poursuit lui aussi un cycle shakespearien, après Hamlet (2011), Richard III (2015) et Rome (2023) – l’adaptation des cinq pièces romaines du barde.

Ici, la tragédie commence à Vérone, ce qui a incité Dalpé à saupoudrer les vers de la pièce originale, déjà amalgamés à sa prose colorée, de bribes d’Italien. Le résultat éclectique amène de l’humour (mais pas toujours à des moments judicieux), élague les longues tirades, resserre parfois l’action et souligne à gros traits des éléments qui font pencher le drame du côté du grotesque, voire du bouffon.

Dalpé, présent dans la distribution, livre une interprétation du père de Desdemona qui rappelle les vieillards de la commedia dell’arte. Plutôt agile, Lyndz Dantiste en Iago est lui-même quelque part entre Scapin et Richard III. Il contrôle et malmène le ridicule Roderigo (Thomas Boudreault Côté) tout en fomentant la jalousie d’Othello (Rodley Pitt) pour provoquer sa chute.

Entre des scènes qui défilent rondement et quelques répliques bien senties, certains passages stagnent ou achoppent. Comme ceux qui font intervenir une panoplie de personnages peu définis qui s’expriment pendant que l’action reste en suspens, ou les commentaires sur la vie maritale dignes des numéros d’humour des années 90.

On sent parfois que les interprètes ne savent pas trop sur quel pied danser. À défaut d’avoir une tonalité claire à laquelle s’accrocher, ils appuient souvent sur la même note et ne semblent pas toujours jouer dans la même pièce. Vers la fin, la douleur et la terreur de Desdemona (Ariane Bellavance-Fafard) sont heureusement assez tangibles pour nous faire compatir à l’injustice, puis à la violence rustre, qui s’abattent sur elle.

© Stéphane Bourgeois

Manque d’unité

La mise en scène de Didier Lucien comporte de bons éléments, mais manque de cohésion. À certains moments, il arrive à créer de magnifiques effets en intégrant des disciplines circassiennes. Pendant que l’esprit d’Othello part en vrille, des acrobates à l’horizontale, tenus par des harnais, marchent sur le décor, créant une image surréelle. Des transitions sont dynamisées par le passage d’un groupe, qui happe le personnage qui sort d’une scène et laisse celui qui entre pour la suivante. Une fête, où Cassio (Steven Lee Potvin) s’enivre, devient le théâtre des prouesses de Guillaume Fontaine sur une corde molle (slack line). C’est moins réussi quand la traversée en bateau vers Chypre est évoquée par mélange de mouvements de combat et de danse contemporaine. Ou lorsque deux colonnes de tissu blanc restreignent et cachent les mouvements de deux acrobates prisonnières, vers la fin de la pièce.

La présence de Valérie Le Maire, qui enveloppe plusieurs scènes de chants aériens et qui joue de la vielle à roue, crée des moments oniriques à travers des ponctuations sonores et musicales moins marquantes, qui manquent de netteté. Dans une scénographie sur deux niveaux qui évoquent des fortifications en pierre, les éclairages révèlent des pièces cachées et des effets de transparence qui ne sont pas pleinement exploités ni bien liés au drame. Les escaliers sont déplacés sans raison apparente. Sans unité chromatique, les costumes vont dans de nombreuses directions : silhouettes géométriques, pans de tissus devant les pantalons de certains hommes, accoutrement de mousquetaire et perruque raide pour Cassio, robe fleurie, robe de soie, pantalons et vestons…

Tout cela crée un effet de capharnaüm qui s’ajoute au manque d’unité de la proposition. Pourtant, l’occasion était belle de proposer une relecture forte, fluide et cohérente de la tragédie, montée pour la première fois au Trident.

© Stéphane Bourgeois

Othello

Texte : William Shakespeare, adapté par Jean Marc Dalpé. Mise en scène : Didier Lucien, assisté par Pascale D’Haese. Scénographie : Amélie Trépanier. Costumes : Jacynthe Perreault. Éclairages : Jean-François Labbé. Musique : Alain Lucien. Maquillage : Élène Pearson. Accessoires : Pierrick Fréchette. Avec Rodley Pitt, Ariane Bellavance-Fafard, Lyndz Dantiste, Myriam Lenfesty, Steven Lee Potvin, Mélissa Merlo, Thomas Boudreault Côté, Jean Marc Dalpé, Norman Helms, Éric Leblanc, Valérie Le Maire, Emily Chilvers, Guillaume Fontaine, Kei Nguyen, Daniel Stefek. Une coproduction du Théâtre du Trident et du Théâtre du Nouveau Monde présentée au Trident jusqu’au 29 mars 2025.