Que ce soit dans le temple montréalais des classiques de théâtre que l’on propose une réflexion sur la pertinence de continuer à les jouer de nos jours a quelque chose de réjouissant; une petite dose d’autoréflexion et d’autodérision est appréciable.
Née de la relation amour-haine que Fanny Britt et Mani Soleymanlou, qui cosignent le texte, entretiennent avec les monuments de la dramaturgie, la pièce tente de faire le récit de notre époque en entremêlant des scènes tirées de Shakespeare ou Racine (entre autres) à des discours politiques contemporains, le tout ponctué de réflexions aussi bien sur les classiques que sur la marche du monde.
Sur le plan du divertissement, le spectacle est une réussite. On y retrouve tous les ingrédients pour passer une bonne soirée : de l’humour, de la musique, des chansons, des costumes, et surtout du talent à foison. La distribution est impeccable. Louise Cardinal, Martin Drainville, Kathleen Fortin, Julie Le Breton, Jean-Moïse Martin, Benoit McGinnis et Madeleine Sarr se joignent à Soleymanlou (qui signe également la mise en scène) et à trois musicien·nes : Mélanie Bélair au violon, Alexis Elina au piano et Annie Gadbois au violoncelle. Les comédiennes et comédiens convoquent Médée, Oncle Vania, Hamlet ou Albertine dans autant de démonstrations que « vivre, c’est souffrir ».
Du côté de la substance, on reste un peu sur notre faim. On a beau nous montrer que les sentiments et les dilemmes qui y traversent les personnages sont semblables aux nôtres, la question demeure : pourquoi est-il important de continuer à jouer les classiques ? Et son corollaire : de quelle manière les monter pour qu’ils demeurent d’actualité ? Après tout, le théâtre contemporain est tout aussi à même de nous montrer les transports de l’âme, ancrés dans un langage et un contexte autrement plus signifiant pour de nombreuses personnes.
Traverser le temps
On aurait pu s’en contenter si tout le spectacle avait été à l’image de la première partie, qui explore aussi bien ce qui fait un classique, de théâtre ou autre, que le contrat tacite que les acteurs, actrices et les spectateurs, spectatrices signent en entrant dans la salle, avec des règles de bienséance établies (éteindre son cellulaire, ne pas ronfler), et certaines inconnues (notamment ce qui arrive à l’extérieur pendant ce temps-là). On passe de Laurel et Hardy à la bûche de Noël; du canon de Pachelbel à Casse-Noisette. C’est ludique, drôle et les extraits de pièces classiques y sont habilement entremêlés et interprétés avec brio. La volonté de ne pas faire un spectacle élitiste est un peu trop apparente, et on se sent souvent dans un cours de Théâtre 101, mais on joue le jeu, car l’humour nous attend à chaque tournant.
Puis vient le « procès de l’humanité »; les classiques deviennent alors un prétexte pour réfléchir au présent. Dans cette scène où le peuple est masqué façon commedia dell’arte, et où l’Indignation et le Cynisme viennent témoigner de l’état du monde devant un juge en perruque (Martin Drainville, particulièrement savoureux), le didactisme prend le dessus et le ton donneur de leçon refroidit. À force de vouloir être accessible, le texte ne s’élève guère.
Quant à la fin du spectacle, qui parodie de célèbres émissions télévisées de variétés, on se demande quel est son rapport avec le propos initial. Peut-être est-ce de démontrer que l’émotion, le cœur indémodable des pièces devenues des classiques, cette capacité à exprimer les passions humaines et à toucher l’âme des sapiens du 21e siècle, comme ceux du 17e, est aussi ce qui fait tourner l’industrie culturelle à la mode 2025, quoiqu’avec une tendance légèrement factice ? Ou bien d’évoquer la lassitude des artistes transformés en amuseurs publics, quitte à faire des caricatures d’eux-mêmes, alors que leur talent serait mieux exploité en leur faisant jouer des classiques justement ?
Quoi qu’il en soit, on peut aussi faire le choix de regarder ce spectacle sans trop se questionner, et simplement d’apprécier les interprétations irréprochables, de se laisser envelopper par les voix magnifiques de Fortin et Sarr, de rire de bon cœur aux blagues somme toute bien senties, et de se laisser happer par la mise à terre du quatrième mur qui crée un sentiment de communauté bienvenu compte tenu du caractère anxiogène de l’actualité.
Texte : Fanny Britt et Mani Soleymanlou. Mise en scène : Mani Soleymanlou. Avec Louise Cardinal, Martin Drainville, Kathleen Fortin, Julie Le Breton, Jean-Moïse Martin, Benoit McGinnis, Madeleine Sarr, Mani Soleymanlou et les musicien·nes Mélanie Bélair (violon), Alexis Elina (piano), Annie Gadbois (violoncelle). Assistance à la mise en scène et régie : Jean Gaudreau. Scénographie : Martin Labrecque et Mani Soleymanlou. Lumière : Martin Labrecque. Musique : Philippe Brault. Costumes : Cynthia St-Gelais. Assistance aux costumes : Sarah Chabrier. Stagiaire aux costumes : Charlotte Maréchal. Maquillages : Amélie Bruneau-Longpré. Accessoires : Marie-Jeanne Rizkallah. Perruques : Sarah Tremblay. Conception et confection des masques : Marie Muyard. Stagiaire à l’assistance à la mise en scène : Eric Vega. Direction technique : Jenny Huot. Direction de production et de tournée : Charlotte Ménard. Une production d’Orange noyée, présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 10 avril 2025.
Que ce soit dans le temple montréalais des classiques de théâtre que l’on propose une réflexion sur la pertinence de continuer à les jouer de nos jours a quelque chose de réjouissant; une petite dose d’autoréflexion et d’autodérision est appréciable.
Née de la relation amour-haine que Fanny Britt et Mani Soleymanlou, qui cosignent le texte, entretiennent avec les monuments de la dramaturgie, la pièce tente de faire le récit de notre époque en entremêlant des scènes tirées de Shakespeare ou Racine (entre autres) à des discours politiques contemporains, le tout ponctué de réflexions aussi bien sur les classiques que sur la marche du monde.
Sur le plan du divertissement, le spectacle est une réussite. On y retrouve tous les ingrédients pour passer une bonne soirée : de l’humour, de la musique, des chansons, des costumes, et surtout du talent à foison. La distribution est impeccable. Louise Cardinal, Martin Drainville, Kathleen Fortin, Julie Le Breton, Jean-Moïse Martin, Benoit McGinnis et Madeleine Sarr se joignent à Soleymanlou (qui signe également la mise en scène) et à trois musicien·nes : Mélanie Bélair au violon, Alexis Elina au piano et Annie Gadbois au violoncelle. Les comédiennes et comédiens convoquent Médée, Oncle Vania, Hamlet ou Albertine dans autant de démonstrations que « vivre, c’est souffrir ».
Du côté de la substance, on reste un peu sur notre faim. On a beau nous montrer que les sentiments et les dilemmes qui y traversent les personnages sont semblables aux nôtres, la question demeure : pourquoi est-il important de continuer à jouer les classiques ? Et son corollaire : de quelle manière les monter pour qu’ils demeurent d’actualité ? Après tout, le théâtre contemporain est tout aussi à même de nous montrer les transports de l’âme, ancrés dans un langage et un contexte autrement plus signifiant pour de nombreuses personnes.
Traverser le temps
On aurait pu s’en contenter si tout le spectacle avait été à l’image de la première partie, qui explore aussi bien ce qui fait un classique, de théâtre ou autre, que le contrat tacite que les acteurs, actrices et les spectateurs, spectatrices signent en entrant dans la salle, avec des règles de bienséance établies (éteindre son cellulaire, ne pas ronfler), et certaines inconnues (notamment ce qui arrive à l’extérieur pendant ce temps-là). On passe de Laurel et Hardy à la bûche de Noël; du canon de Pachelbel à Casse-Noisette. C’est ludique, drôle et les extraits de pièces classiques y sont habilement entremêlés et interprétés avec brio. La volonté de ne pas faire un spectacle élitiste est un peu trop apparente, et on se sent souvent dans un cours de Théâtre 101, mais on joue le jeu, car l’humour nous attend à chaque tournant.
Puis vient le « procès de l’humanité »; les classiques deviennent alors un prétexte pour réfléchir au présent. Dans cette scène où le peuple est masqué façon commedia dell’arte, et où l’Indignation et le Cynisme viennent témoigner de l’état du monde devant un juge en perruque (Martin Drainville, particulièrement savoureux), le didactisme prend le dessus et le ton donneur de leçon refroidit. À force de vouloir être accessible, le texte ne s’élève guère.
Quant à la fin du spectacle, qui parodie de célèbres émissions télévisées de variétés, on se demande quel est son rapport avec le propos initial. Peut-être est-ce de démontrer que l’émotion, le cœur indémodable des pièces devenues des classiques, cette capacité à exprimer les passions humaines et à toucher l’âme des sapiens du 21e siècle, comme ceux du 17e, est aussi ce qui fait tourner l’industrie culturelle à la mode 2025, quoiqu’avec une tendance légèrement factice ? Ou bien d’évoquer la lassitude des artistes transformés en amuseurs publics, quitte à faire des caricatures d’eux-mêmes, alors que leur talent serait mieux exploité en leur faisant jouer des classiques justement ?
Quoi qu’il en soit, on peut aussi faire le choix de regarder ce spectacle sans trop se questionner, et simplement d’apprécier les interprétations irréprochables, de se laisser envelopper par les voix magnifiques de Fortin et Sarr, de rire de bon cœur aux blagues somme toute bien senties, et de se laisser happer par la mise à terre du quatrième mur qui crée un sentiment de communauté bienvenu compte tenu du caractère anxiogène de l’actualité.
Classique(s)
Texte : Fanny Britt et Mani Soleymanlou. Mise en scène : Mani Soleymanlou. Avec Louise Cardinal, Martin Drainville, Kathleen Fortin, Julie Le Breton, Jean-Moïse Martin, Benoit McGinnis, Madeleine Sarr, Mani Soleymanlou et les musicien·nes Mélanie Bélair (violon), Alexis Elina (piano), Annie Gadbois (violoncelle). Assistance à la mise en scène et régie : Jean Gaudreau. Scénographie : Martin Labrecque et Mani Soleymanlou. Lumière : Martin Labrecque. Musique : Philippe Brault. Costumes : Cynthia St-Gelais. Assistance aux costumes : Sarah Chabrier. Stagiaire aux costumes : Charlotte Maréchal. Maquillages : Amélie Bruneau-Longpré. Accessoires : Marie-Jeanne Rizkallah. Perruques : Sarah Tremblay. Conception et confection des masques : Marie Muyard. Stagiaire à l’assistance à la mise en scène : Eric Vega. Direction technique : Jenny Huot. Direction de production et de tournée : Charlotte Ménard. Une production d’Orange noyée, présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 10 avril 2025.