Critiques

Le vote stratégique : Déferlement du gros bon sens

© David Mendoza Hélaine

Chaque nouveau spectacle des bouffons DoucheBag, Wannabe et LaCharrue provoque une frénésie anticipée qui ne boudera pas son exaltation en ce soir de première. Avec Le Vote stratégique, l’Hommeries déclenche un tsunami dans la petite salle de Premier Acte. Nous ne sommes plus au théâtre, mais dans une aire de combat où le public est convié à se lancer une boue métaphorique, à travers slogans fumeux et contrepèteries scatologiques. Les sièges disposés autour de l’arène centrale, tel un gala de lutte, propulsent l’engagement et la participation active dans la campagne électorale menée de main de maître par nos trois bouffons électrisés. Leurs discours électoraux outranciers, vulgaires et provocateurs s’adressent aux plus bas instincts et visent la levée de tous les interdits. Nous aimons cette démesure « intellectuellement malhonnête » qui alimente notre révolte à travers un cynisme généralisé.

En entrant, le public se retrouve dans une foire populaire. Kiosque de bouffe, distribution de cartes de bingo, baratin de vendeurs de kermesses. Les tâches à accomplir pour compléter la carte sont déjà un indice de l’absurdité de cette campagne électorale : pour gagner, il faut entre autres, « se prendre en photo avec un bouffon », « crier, le 1 %, c’est moé », « être outré que le CAC et le CALQ ne financent pas ce spectacle ». Nous sommes dans l’antre de la politique spectacle. L’Hommeries et le public confondus, notre présence est un geste d’engagement. Attachez vos tuques, c’est parti !

© David Mendoza Hélaine

Un débordement rabelaisien

Au fil des scènes, les câbles de l’arène tendus ou détachés séparent les politiciens des citoyens ou au contraire les invitent à entrer dans le jeu : participer aux sondages (T’es-tu cave ? Faut-tu se sentir mal d’être blanc ?), faire du porte-à-porte, démontrer son intelligence, ne pas être trop précis dans ses réponses, nourrir le flou, s’en tenir aux slogans et aux faits alternatifs. Dans la campagne électorale, avec tous ses jeux de demi-vérités, de subterfuges, de slogans pompeux ou menaçants; « J’le promettrai pas, mais je vais le faire », les candidats et la candidate perdent la tête, en viennent aux coups, aux combats corps à corps, au duel de pénis, aux postures dégradantes et olfactives qui atteignent leur climax dans une apothéose de démesure et de démence. Chaque irrévérence déclenche un rire gargantuesque, alors que l’improbable se concrétise, au-delà même de nos attentes.

Encore secoués par l’éclatement de la raison, nous sommes invités à déposer notre vote dans les « boites érectorales ». L’élu devra se soumettre à une série de tests pour démontrer sa capacité à diriger la nation. Le peuple divisé entend régler la question dans un affrontement guerrier et des volontaires gonflés à bloc montent dans le ring pour en découdre. Nos malicieux bouffons détournent leur rage vers l’ennemi intérieur : l’inertie. Bombes et avions de chasse déferlent dans la salle. Dernier appel à l’engagement contre l’apathie.

Pour cette troisième création de l’Hommeries (La Cour suprême, 2017 et Meet inc., 2021), le rôle de Wannabe, tenu d’abord par François-Guillaume Leblanc, a été confié à Guillaume Pelletier. Le nouveau bouffon s’intègre habilement dans le trio. Tous revêtant leurs costumes boursoufflés, avec la peau mise à nu pour exposer leurs organes sexuels, qui deviennent ainsi un argument de séduction. Mais chez eux, tous les coups sont permis pour abattre la censure et la rectitude politique. Par leur jeu extravagant et leur propos irrévérencieux, ils libèrent une tension sociale pathologique. Ce spectacle est une grande bouffée d’air frais dans le monde des dictateurs.

En emprise directe sur l’actualité locale et mondiale, Le Vote stratégique concentre dans cette bouffonnerie décapante les aléas d’une politique décomplexée qui culmine dans l’absurdité et la bêtise humaine. Un portrait tragi-comique de l’état du monde sur fond de guerres et d’horreurs, autant de scènes qu’on voudrait pouvoir zapper, mais, hélas, nous ne trouvons plus la télécommande.

© David Mendoza Hélaine

Le vote stratégique

Texte : Mélissa Bouchard, Nicola Boulanger, Valérie Boutin, Paul Fruteau de Laclos, Guillaume Pelletier. Interprétation : Valérie Boutin, Paul Fruteau de Laclos, Guillaume Pelletier. Mise en scène et régie : Nicola Boulanger. Assistance à la mise en scène et direction de production : Mélissa Bouchard. Conception : Nathalie Côté, Jérôme Huot, Mathieu Turcotte. Une production de l’Hommeries!, présentée à Premier Acte jusqu’au 26 avril 2025.