Critiques

La trajectoire des confettis : Les jeux du sexe et du hasard

© Stéphane Bourgeois

Saga familiale où sexe, procréation et amour se répondent dans une danse effervescente et cosmique, La trajectoire des confettis trouve un nouvel élan sur la scène du Trident. La transposition est habile, et nous emporte tout en suscitant de riches réflexions humaines.

Adapter l’imposant roman de plus de 600 pages et sa vaste constellation de personnages avait de quoi donner le tournis. On constate rapidement que Sophie Vaillancourt-Léonard, qui coordonne les communications au Trident, a pleinement relevé le défi, alors qu’il s’agit de son premier exercice. Elle a élagué avec assurance des branches narratives (dont l’histoire d’amour d’une tante et d’un neveu), a fusionné certains personnages (comme une amie et une patronne), résumé en quelques lignes des intrigues qui courent parfois sur des chapitres entiers… Le tout en ajoutant des répliques bien tournées pour déployer l’humour que contenait déjà le roman, et finir les scènes sur des points culminants. Elle parvient aussi à intégrer les éléments singuliers (satyrisme, grossesse extra-utérine) qui constellent le livre sans alourdir le texte de longues explications.

La distribution des rôles est particulièrement réussie. On croit tout à fait aux quatre fils de Matthew (Marc-Antoine Marceau, Laurent Fecteau-Nadeau, André Robillard, Charles Fournier) – un père absent qu’on ne verra justement jamais sur scène. Le couple formé par Alice (Valérie Laroche) et Jacques (Christian Michaud) semble gagner en profondeur dans l’adaptation théâtrale. Et les trois belles-filles libres, étranges et colorées (Noémie F. Savoie, Sarah Villeneuve-Desjardins, Frédérique Bradet) sont très bien campées. Outre une petite amie française qui tombe dans la caricature, une avocate mal assurée et un curé aux mimiques parfois trop appuyées, l’interprétation du vaste éventail de personnages tient tout à fait la route.

© Stéphane Bourgeois

Orchestrer le groupe et l’intime

La mise en scène est assurée par Danielle Le Saux-Farmer, qui a elle-même signé plusieurs traductions et possède le don d’allier humanité, douceur et fulgurance dans ses propositions théâtrales. Un talent dont la directrice artistique du Théâtre de la Catapulte use avec finesse pour sa première mise en scène au Trident. La partition était tout indiquée pour doser humour et émotion, orchestrer des scènes de groupe de manière limpide et des moments intimes avec agilité et justesse. Intégrer des moments de sexe réalistes n’est pas particulièrement aisé au théâtre, qui plus est dans un grand espace, mais c’est l’une des réussites du spectacle. Il faudrait toutefois doser le volume des voix à plusieurs moments, notamment lors des scènes de bar.

La scénographie de Julie Lévesque repose essentiellement sur un grand plateau en bois qui tourne sur lui-même, propulsé par les interprètes. Non seulement il délimite l’espace, mais il permet de créer des sauts spatio-temporels et des effets cinématographiques – par exemple comme si la caméra tournait autour d’un couple qui s’embrasse passionnément. Du mobilier en bois, des lampes, du papier, de la literie blanche permettent de camper un bar et divers espaces domestiques. Opter pour l’unité formelle et la légèreté pour déployer la multiplicité des lieux est un heureux choix.

Un procédé tout simple permet de démêler les fils des différentes époques, de 1899 à 2027 : des numéros lumineux apparaissent sur une toile en fond de scène pour situer l’action. Il y a un certain ralentissement avant l’entracte lorsqu’on bascule en 1899, où une jeune femme enceinte à la forte libido convainc un prêtre de lire des passages salaces de la Bible à ses ouailles. La scène finale, dans la laquelle un souper de famille se superpose à l’action militante d’une secte extinctionniste, est malheureusement une occasion manquée de porter l’émotion à son summum. L’action principale est reléguée à l’arrière de la scène et il manque un effet (une pluie de confettis, peut-être) pour créer un point d’orgue.

Les moments lumineux, chaleureux, étourdissants, toutefois, ne manquent pas dans cette épopée. Les trois heures vingt s’écoulent rapidement, et ouvrent des portes pour parler de filiation, d’enfantement, de fantasmes, de couple, de sexualité et de tout ce qui fait de l’humanité un tourbillon de pulsions et d’aspirations.

© Stéphane Bourgeois

La trajectoire des confettis

Texte : Marie-Ève Thuot, adapté par Sophie Vaillancourt-Léonard. Mise en scène : Danielle Le Saux-Farmer, assistée par Geneviève Caron. Scénographie : Julie Levesque. Costumes : Emily Wahlman. Éclairages : Philippe Lessard-Drolet. Musique : Frédéric Brunet. Maquillage : Béatrice Lecompte. Accessoires : Marianne Lebel. Coiffure : Myriam Richaer. Direction d’intimité : Auréliane Macé. Avec Marc-Antoine Marceau, Noémie F. Savoie, Laurent Fecteau-Nadeau, Sarah Villeneuve-Desjardins, Valérie Laroche, Christian Michaud, Frédérique Bradet, Charles Fournier, André Robillard, Mathilde Eustache, Margo Ganassa, Joëlle Bourdon, Jean-Marie Alexandre. Une production du Théâtre du Trident présentée au Théâtre du Trident jusqu’au 17 mai 2025.