Dernier numéro JEU 194 ∙ FTA : 40 ans de découvertes

Les jeux sont faits, rien ne va plus

© Jean-Louis Fernandez

Les artistes ont déjà assez contribué afin de préserver notre culture, Monsieur le Ministre, vous le savez mieux que quiconque.

Quand la présidente de l’Union des artistes (UDA), Tania Kontoyanni, parle de « catastrophe » et d’« hécatombe » à venir parmi ses membres, les mots ne doivent pas être pris à la légère. Lors de la Grande mobilisation pour les arts au Québec (GMAQ), en janvier 2025, devant les bureaux du premier ministre François Legault, la dirigeante du plus important syndicat de créateurs et de créatrices de chez nous se retenait pour ne pas exploser de colère. Ce même jour, les artistes se donnaient rendez-vous en vue d’une nouvelle manifestation le 22 janvier 2025, juste avant le dépôt du budget du ministre des Finances Éric Girard. Avec un déficit total d’au moins 11 milliards $, pourra-t-il accorder les 200 millions $ exigés de part et d’autre pour le Conseil des arts et lettres du Québec (CALQ) ? C’est peu probable, mais ce cul-de-sac ne freine en rien la débrouillardise des artistes.

Le milieu de la culture gruge l’os jusqu’à la moelle depuis des années et le répète inlassablement. Avec raison. Ils et elles ne sont pas restés les bras croisés pour retrouver leur public après la pandémie. Voici quelques mesures démontrant, entre autres, l’imagination des directions artistiques qui communiquent plus que jamais entre elles : plusieurs ont modifié la grille tarifaire à la baisse au diapason des moyens du public; d’autres, encore, ont adapté les horaires de certaines représentations pour faciliter la rétention de spectateurs et de spectatrices qui souhaitaient rester en ville après le travail; également, des salles ont multiplié les « événements » (lectures, happenings, courtes formes, etc.) pour masquer le fait que le nombre de spectacles diminue.

De leur côté, les artistes, en plus de serrer la ceinture sur leur taille de guêpe, créent en coupant tout ce qu’ils et elles peuvent sur les budgets de production. Les dramaturges écrivent des textes mettant en scène moins de personnages; les metteurs et les metteuses en scène réduisent les heures de répétition et épargnent aussi en limitant la participation des concepteurs et des conceptrices, si ce n’est en éliminant carrément certaines de ces fonctions pour une production donnée ; les interprètes doivent multiplier plus que jamais les contrats en dehors de la scène pour joindre les deux bouts; et n’en déplaise à l’UDA, certains et certaines acceptent des cachets différés ou moindres pour continuer de vivre leur passion.

On conçoit aisément que tous ces efforts ont et continueront d’avoir, dans le futur, des effets pernicieux sur la quantité et la qualité des spectacles. Alors, quand le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, commence à acquiescer à la demande de certains de tenir des rencontres sectorielles ou, pire, un grand sommet sur la culture, il ne s’agit que d’une manœuvre pour sauver du temps. Cette fausse bonne idée n’est qu’un arbre qui cache la forêt. Le ministre Lacombe a déjà rencontré l’ensemble du milieu des arts vivants depuis plus d’un an. L’urgence actuelle, c’est d’accorder un budget récurrent de 200 millions $ au CALQ. Les artistes ont déjà assez contribué afin de préserver notre culture, Monsieur le Ministre, vous le savez mieux que quiconque.

La chaleur de mai ne doit pas nous faire oublier ces enjeux, mais pour ces raisons, tout autant, l’envie de fêter sera encore plus farouche cette année. Le FTA (Festival de théâtre des Amériques devenu TransAmériques) existe depuis 40 ans. Même si la formule actuelle aura 20 ans l’an prochain, Jeu a décidé de célébrer à sa façon cet événement majeur dès 2025. Le FTA met en quelque sorte fin à la saison théâtrale, accordant du souffle à tous et à toutes dans le milieu, en nous redonnant un peu d’espoir. Notre dossier aborde les événements qui ont marqué l’histoire d’amour entre un public exigeant et des artistes de partout sur la planète. Les codirectrices, Jessie Mill et Martine Dennewald, nous expliquent leur vision de ce qu’est et sera le FTA dans les prochaines années.

Au moment où les Américains progressistes s’inquiètent de la disparition de toute forme d’empathie chez eux — envers les plus démunis, les migrants, la communauté LBGTQ+, les femmes, entre autres —, chez nous, le FTA résiste en gardant bien « vivants » les arts vivants. Le festival demeure cette sentinelle de bord de scène et l’un de nos plus réconfortants remparts face à la barbarie.