Critiques

Que les beaux jours sont courts : Dépeindre ou évoquer le paysage ?

© David Mendoza Hélaine

L’Isle-aux-Coudres, surgie au bord du cratère de Charlevoix comme d’une boîte à surprise, n’est plus cette créature bucolique que « Perrault-Pour la suite du monde » n’a pu arracher à son déclin. La jeune dramaturge Marie-Ève Lussier-Gariépy, subjuguée par son indicible charme, transforme ses fantasmes d’enfance en une arène de tous les combats. Deux personnages survivants de l’époque glorieuse des goélettes confrontés à deux enfants du siècle mus par l’art.

Marie observe sans discontinuer les variances de la lumière qui marquent le passage du temps. L’attente de son homme parti en mer est infinie. Éloi, désormais encalminé, alimente sa nostalgie par des récits que plus personne ne veut entendre. Leur petit-fils Benoit s’acharne à « peindre des toiles abstraites de son île ». Ce clan tissé serré sera bousculé par l’arrivée de Léa, étudiante en littérature venue s’imprégner de ce lieu mythique pour écrire un recueil de poèmes. 

Le décor naturaliste et les dialogues ont quelque chose de suranné, comme dans une pièce de Marcel Dubé ou le Temps d’une paix. L’éclatement final est déjà annoncé par une scénographie où tous les meubles de guingois ne parviennent plus à retenir l’effritement du monde. Au lent déroulement des jours d’autrefois, qui permettait un arrimage au sol et une collusion avec la nature, s’oppose la construction d’une nouvelle fiction faite de doutes et de questionnements. Issue de la certitude matérielle des Anciens, la jeune génération vacille dans un monde éthéré à réinventer.

© David Mendoza Hélaine

Du figuratif à l’abstraction

Lussier-Gariépy ratisse large dans cette pièce en porte-à-faux sur la ligne du temps. D’un côté, l’apparition de la légende fabuleuse que Perrault construit à partir de la langue, de la poésie quotidienne et de l’action héroïque d’une petite communauté dont le chant du cygne sera gravé dans la pellicule. De l’autre, la quête d’une parole poétique en opposition au discours rationnel (Léa) et d’une nouvelle évocation d’un territoire abandonné par l’histoire (Benoit). Le tout sur fond de tendresse entre la poétique Marie et son entêté d’Éloi. Celui-ci harnaché à un passé glorieux à jamais disparu. 

Si les aînés restent attachés à leur passé et leur histoire, les jeunes sont plutôt vindicatifs face à des choix déchirants. En filigrane, il y a la solitude imposée à Léa par son amoureuse partie en Islande, l’isolement de Benoit face à un mur que lui dévoile brutalement Léa, l’érotisme encore vivant chez les grands-parents, l’acceptation totale de leur passé par Marie et Éloi, et finalement le départ des jeunes, laissant le terroir à sa désuétude. Il ne suffit plus de peindre la réalité du paysage, il faut désormais l’évoquer pour qu’il puisse s’habiller de teintes invisibles au premier regard.

Que les beaux jours sont courts se veut une réflexion sur les conditions pour habiter pleinement sa vie. Ce que l’équipe autour d’Odile Gagné-Roy parvient à démontrer avec conviction. La scénographie avec ses meubles bancals et les éclairages chirurgicaux soutiennent le jeu impeccable des chevronnés Eudore Belzile et Linda Laplante jumelés au jeune Hugo Pires, déchiré entre la fidélité envers ses grands-parents qui l’ont élevé et la nécessité de fuir le cul-de-sac de l’isolement. En remplaçant Maude Lafond au pied levé hier soir, Maureen Roberge s’est fort bien tirée d’affaire en nous faisant oublier le texte entre ses mains. Soulignons enfin la remarquable musique de l’auteur-compositeur Philémon Cimon, qui évoque l’esprit des lieux nimbant la pièce d’une aura sombre comme le fleuve.

© David Mendoza Hélaine

Que les beaux jours sont courts 

Texte : Marie-Ève Lussier-Gariépy. Mise en scène : Odile Gagné-Roy. Assistance à la mise en scène : Maureen Roberge. Composition musicale : Philémon Cimon. Son : Yves Dubois. Lumière : Keven Dubois. Scénographie : Marianne Lebel. Conception costumes : Émily Wahlman. Régie : David Boily. Direction d’intimité : Maude Boutin St-Pierre. Direction de production et direction technique : Anne Plamondon. Œil extérieur : Marianne Marceau. Avec Eudore Belzile, Maude Lafond, Linda Laplante et Hugo Pires. Une coproduction de Premier Acte et La bouche_La machine, présentée à Premier Acte jusqu’au 17 mai 2025.