Les propositions qui donnent le coup d’envoi du Festival Carrefour (auparavant le Carrefour international de théâtre de Québec) se branchent aux émotions fondamentales. Tristesse, colère, peur et dégoût – avec certaines nuances – pour La petite dans la forêt profonde, joie et surprise pures pour Au jardin des Potiniers.
Le conte de cire de La Petite dans la forêt profonde
La production grecque, la première à être présentée au Festival, est un conte horrifique, dans lequel les éléments fantastiques sont de petites bouffées d’air frais dans un récit autrement très dur. On assiste à des pulsions sauvages, à des gestes violents, irréparables, à une souffrance atroce et à la mise en œuvre d’une vengeance cruelle.
Les deux interprètes narrent et changent habilement leurs voix selon les personnages. Ceux-ci sont représentés par de toutes petites sculptures à la peau cireuse et tavelée et aux yeux métalliques fous. Chants, grognements, sons de gorge, de bouche et de mastication viennent nous chercher au ventre lors des scènes d’horreur.
Le récit lui-même est toutefois un peu empesé, alourdi de monologues psychotiques et de formulations étranges dans les surtitres en français, et comporte plusieurs redites qui ne découlent pas de la musique du conte — par exemple, une scène importante est narrée, puis jouée, ce qui désamorce la tension.
Sur scène, il n’y a presque rien : un établi sur roulettes, un petit écran, deux microphones et un deuxième écran qui surplombe le tout. L’établi et le petit écran font office de castelet, dans lequel les interprètes font quelques manipulations à des moments clés. Plusieurs images poétiques sont très bien réussies, par exemple lorsque Polydoros Vogiatzis souffle une fumée qui embrume la forêt bleutée, ou que Katerina Louvari-Fasoi dépose un plat sur la table du roi avec des pinces (un geste qu’on distingue toutefois plus difficilement si on est assis à l’arrière de la salle).
C’est que les images projetées sur le plus grand écran montrent rarement ce qui se passe en direct dans le castelet : le plus souvent, ce sont des animations à l’esthétique de jeux vidéo à petit budget ou un montage d’images fixes montrant de très gros plans des figurines. Le tout n’a pas la finesse mécanique et esthétique d’un film réalisé en direct comme ceux de Astragales (Kiss & Cry, Cold Blood) ou de Kid Koala (The Storyville Mosquito, Nufonia Must Fall).
Si les passages qui prennent aux tripes marquent notre chair, on se demande toutefois, au sortir de la salle, quelle était l’intention derrière ce conte qui montre que la violence engendre la violence, et que la mort et la métamorphose sont possiblement les seules issues pour briser le cycle infernal.
Texte: Philippe Minyana. Mise en scène: Pantelis Dentakis. Sculpture : Kleio Gizeli. Vidéo et lumières : Apostolis Koutsianikoulis. Scénographie : Nikos Dentakis. Costumes : Kiki Grammatikopoulou. Musique : Stavros Gasparatos en collaboration avec Yorgos Mizithras. Photographie : Domniki Mitropoulou. Avec Polydoros Vogiatzis et Katerina Louvari-Fasoi. Une production de Black Forest Group et Les Visiteurs du Soir présentée du 22 au 24 mai 2025 au Festival Carrefour.
Le territoire fabuleux d’Au jardin des Potiniers
Quelle jolie idée : proposer aux spectateurs de devenir des montagnes et de vivre, pendant trois quarts d’heure, au temps des pierres. L’expérience repose sur une vaste installation, un territoire posé à un peu plus d’un mètre du sol, auquel on accède en insérant sa tête dans un trou. La posture rappelle celle de Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett. Il se passe toutefois beaucoup plus de choses dans ce spectacle sans paroles.
Le public est réparti en sous-groupes. Chaque section est entourée de frontières gonflées et éclairées par une lueur orangée. Autour des têtes, dans la pénombre, on distingue des amas de mousse tachetée de couleurs. Les frontières se dégonflent, on perçoit peu à peu toute l’étendue du territoire et sa colonie de montagnes aux yeux grands ouverts.
Des zones bouillonnent et s’illuminent, de petites constructions s’ouvrent, des fleurs à ressorts s’agitent, des créatures se déploient comme des serpentins, des billes de mousses, semblables à des bonbons, pétillent comme du maïs soufflé.
Chaque zone est activée par un manipulateur qui tire sur des cordelettes, manipule un panneau de contrôle et saisit à quelques moments une perche, pour faire voler une bestiole bourdonnante ou des fleurs translucides au-dessus des têtes. Des sons telluriques, ludiques, atmosphériques, créent des ambiances loufoques ou étranges. Des lumières dirigées, diffuses, ciblées ou nettes s’accordent aux différents temps.
Les actions se déroulent selon une séquence bien établie, et un rythme qui laisse le temps d’être attentif aux variations de l’environnement. On est à la fois bercés et aux aguets, surpris et apaisés. L’ingéniosité de ce monde créé avec du carton et des bouts de ficelles qui nous ramène à l’émerveillement de l’enfance, à l’observation attentive, aux joies toutes simples des sens. Complètement charmant!
Direction artistique et manipulation : Gabriel Charlebois-Plante et Odile Gamache. Direction technique et manipulation : Julien Boisvert. Manipulation : Jérémie Desbiens, Maude Arès, Pénélope Dulude de Broin et Sarah Bengle. Lumières : Julie Basse. Son : Noam Rzewski. Une production et création d’Ersatz et Création dans la Chambre présentée du 23 au 25 mai 2025 au Festival Carrefour.
Les propositions qui donnent le coup d’envoi du Festival Carrefour (auparavant le Carrefour international de théâtre de Québec) se branchent aux émotions fondamentales. Tristesse, colère, peur et dégoût – avec certaines nuances – pour La petite dans la forêt profonde, joie et surprise pures pour Au jardin des Potiniers.
Le conte de cire de La Petite dans la forêt profonde
La production grecque, la première à être présentée au Festival, est un conte horrifique, dans lequel les éléments fantastiques sont de petites bouffées d’air frais dans un récit autrement très dur. On assiste à des pulsions sauvages, à des gestes violents, irréparables, à une souffrance atroce et à la mise en œuvre d’une vengeance cruelle.
Les deux interprètes narrent et changent habilement leurs voix selon les personnages. Ceux-ci sont représentés par de toutes petites sculptures à la peau cireuse et tavelée et aux yeux métalliques fous. Chants, grognements, sons de gorge, de bouche et de mastication viennent nous chercher au ventre lors des scènes d’horreur.
Le récit lui-même est toutefois un peu empesé, alourdi de monologues psychotiques et de formulations étranges dans les surtitres en français, et comporte plusieurs redites qui ne découlent pas de la musique du conte — par exemple, une scène importante est narrée, puis jouée, ce qui désamorce la tension.
Sur scène, il n’y a presque rien : un établi sur roulettes, un petit écran, deux microphones et un deuxième écran qui surplombe le tout. L’établi et le petit écran font office de castelet, dans lequel les interprètes font quelques manipulations à des moments clés. Plusieurs images poétiques sont très bien réussies, par exemple lorsque Polydoros Vogiatzis souffle une fumée qui embrume la forêt bleutée, ou que Katerina Louvari-Fasoi dépose un plat sur la table du roi avec des pinces (un geste qu’on distingue toutefois plus difficilement si on est assis à l’arrière de la salle).
C’est que les images projetées sur le plus grand écran montrent rarement ce qui se passe en direct dans le castelet : le plus souvent, ce sont des animations à l’esthétique de jeux vidéo à petit budget ou un montage d’images fixes montrant de très gros plans des figurines. Le tout n’a pas la finesse mécanique et esthétique d’un film réalisé en direct comme ceux de Astragales (Kiss & Cry, Cold Blood) ou de Kid Koala (The Storyville Mosquito, Nufonia Must Fall).
Si les passages qui prennent aux tripes marquent notre chair, on se demande toutefois, au sortir de la salle, quelle était l’intention derrière ce conte qui montre que la violence engendre la violence, et que la mort et la métamorphose sont possiblement les seules issues pour briser le cycle infernal.
La Petite dans la forêt profonde
Texte: Philippe Minyana. Mise en scène: Pantelis Dentakis. Sculpture : Kleio Gizeli. Vidéo et lumières : Apostolis Koutsianikoulis. Scénographie : Nikos Dentakis. Costumes : Kiki Grammatikopoulou. Musique : Stavros Gasparatos en collaboration avec Yorgos Mizithras. Photographie : Domniki Mitropoulou. Avec Polydoros Vogiatzis et Katerina Louvari-Fasoi. Une production de Black Forest Group et Les Visiteurs du Soir présentée du 22 au 24 mai 2025 au Festival Carrefour.
Le territoire fabuleux d’Au jardin des Potiniers
Quelle jolie idée : proposer aux spectateurs de devenir des montagnes et de vivre, pendant trois quarts d’heure, au temps des pierres. L’expérience repose sur une vaste installation, un territoire posé à un peu plus d’un mètre du sol, auquel on accède en insérant sa tête dans un trou. La posture rappelle celle de Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett. Il se passe toutefois beaucoup plus de choses dans ce spectacle sans paroles.
Le public est réparti en sous-groupes. Chaque section est entourée de frontières gonflées et éclairées par une lueur orangée. Autour des têtes, dans la pénombre, on distingue des amas de mousse tachetée de couleurs. Les frontières se dégonflent, on perçoit peu à peu toute l’étendue du territoire et sa colonie de montagnes aux yeux grands ouverts.
Des zones bouillonnent et s’illuminent, de petites constructions s’ouvrent, des fleurs à ressorts s’agitent, des créatures se déploient comme des serpentins, des billes de mousses, semblables à des bonbons, pétillent comme du maïs soufflé.
Chaque zone est activée par un manipulateur qui tire sur des cordelettes, manipule un panneau de contrôle et saisit à quelques moments une perche, pour faire voler une bestiole bourdonnante ou des fleurs translucides au-dessus des têtes. Des sons telluriques, ludiques, atmosphériques, créent des ambiances loufoques ou étranges. Des lumières dirigées, diffuses, ciblées ou nettes s’accordent aux différents temps.
Les actions se déroulent selon une séquence bien établie, et un rythme qui laisse le temps d’être attentif aux variations de l’environnement. On est à la fois bercés et aux aguets, surpris et apaisés. L’ingéniosité de ce monde créé avec du carton et des bouts de ficelles qui nous ramène à l’émerveillement de l’enfance, à l’observation attentive, aux joies toutes simples des sens. Complètement charmant!
Au jardin des Potiniers
Direction artistique et manipulation : Gabriel Charlebois-Plante et Odile Gamache. Direction technique et manipulation : Julien Boisvert. Manipulation : Jérémie Desbiens, Maude Arès, Pénélope Dulude de Broin et Sarah Bengle. Lumières : Julie Basse. Son : Noam Rzewski. Une production et création d’Ersatz et Création dans la Chambre présentée du 23 au 25 mai 2025 au Festival Carrefour.