Connue pour ses performances explosives au sein de La La La Human Steps, ainsi que pour ses solos marquants (So Blue, Stations, Mille batailles), Lecavalier reste fidèle à cette énergie tellurique qui a fait sa renommée.
La scène s’ouvre sur deux carrés de lumière, en écho l’un à l’autre : l’un suspendu, l’autre projeté au sol. L’espace est contraint, presque oppressant. Lecavalier y surgit, par le tendon et le nerf, par la crinière et la nageoire. Poisson ? Sirène ? Elle nage, piétine, se débat, se possède et se dépossède, s’enchante et nous enchante. D’un tableau à l’autre, elle gagne en amplitude, comme si quelque chose en elle se libérait lentement. Chaque transition apparaît comme l’occasion d’une renaissance dans un nouvel espace, un nouvel horizon de lumière.
Cette traversée chorégraphique évoque une mue, une lutte vitale contre l’enfermement. L’ultime tableau – une agonie peut-être – est un dénuement où se découvre la substantifique moelle du vivant. Il ne reste presque rien d’humain sur scène, seulement une vie brute, vibrante, battante. Un souffle qui refuse de s’éteindre.
danses vagabondes est une prouesse physique, mais surtout une œuvre habitée. Louise Lecavalier y déploie une présence rare – n’est-ce pas le cas pour chacune de ses apparitions ? Ce spectacle confirme, s’il fallait encore le dire, qu’elle est l’une des plus grandes artistes de la scène québécoise.
Une production de Fou glorieux. Chorégraphie et interprétation Louise Lecavalier
Assistance à la chorégraphie et répétitrice France Bruyère. Conception lumières et vidéo Jean-François Piché. Musique Antoine Berthiaume + Nick Cave + Dawn of Midi + Nils Frahm + Kiasmos + The Black Dog + Trentemoller. Conseil musique Patrick Lamothe. Conseil artistique François Blouin. Costumes Yso + Élizabeth Duran. Vidéo Marlene Millar. Direction technique et de production François Marceau. Coproduction Festival TransAmériques + tanzhaus nrw düsseldorf + Hellerau (Dresde) + Centre national des Arts (Ottawa). Présentation en collaboration avec La Presse + Usine C. Création à Tanzhaus NRW (Düsseldorf), le 5 décembre 2024. Présenté à l’Usine C dans le cadre du FTA du 31 mai au 4 juin 2025.
Wayqeycuna : « Le futur est ancestral »
Avec Wayqeycuna – « mes frères » en quechua –, l’artiste argentin Tiziano Cruz clôt une trilogie consacrée à la communauté autochtone dont il est issu. Cette dernière pièce est aussi une quête de retour aux sources, une remontée vers le territoire natal et les liens ancestraux que la mort ravive.
Poursuivant son travail de visibilisation des communautés andines marginalisées, Cruz met en scène un retour au pays marqué par la perte de sa sœur, sur ces terres de haute altitude convoitées pour leur lithium, où les communautés autochtones voient leur territoire se réduire comme peau de chagrin. Réfugiés sur des parcelles reculées (une « jungle », dit Cruz) les membres de son peuple s’agrippent aux rituels, à la foi, aux traditions transmises.
Ce pèlerinage se déploie sur scène par un dispositif de projections vidéos, qui nous immerge dans un paysage grandiose, qui nous est restitué dans toute sa puissance sacré. On y découvre les visages de ses proches – son père, son neveu endeuillé – au fil d’une traversée intime où chaque image devient mémoire, témoignage et acte de résistance. À la manière d’un conte pour un enfants, Cruz livre ses souvenirs sur une tonalité qui est souvent au deuxième degré, où le léger le dispute au tragique.
La mise en scène, d’une grande simplicité, s’imprègne peu à peu de symboles et de métaphores. Seul sur scène, Cruz manipule les éléments du décor, abaisse les écrans de projection, installe les objets : chaque geste façonne un espace scénique qu’il semble vouloir maîtriser, reconquérir d’une manière autonome, contre cet autre territoire dépossédé. Cet artisanat du plateau, qu’il réalise à vue, donne à la pièce une matérialité sensible, presque cérémonielle.
Cruz excelle dans l’art de faire monter la tension. Il débute avec des éléments sociologiques – tel l’évocation des « dents » de sa sœur – et glisse, en crescendo, vers un théâtre de la célébration et du chagrin, culminant dans une scène bouleversante où il restitue, sans pathos, toute la violence de la perte de sa sœur. Le partage du pain, dans le dernier tableau, agit comme un geste de communion et de réconciliation.
La force de Wayqeycuna tient à sa dramaturgie incarnée, ancrée dans la performativité de la parole. Cruz y convoque à la fois l’intime et le politique, posant une question essentielle : comment faire un théâtre qui s’adresse aux pauvres, aux marginalisés? Sa critique de cet entre-soi du théâtre, soit ce théâtre de gauche qui parle des pauvres sans leur parler à eux est amenée avec justesse, dans une adresse franche, lucide.
Que tant d’émotions, d’idées et d’images puissent cohabiter en si peu de temps, que la pièce puisse conjuguer catharsis, réflexion critique et beauté visuelle, force l’admiration. Wayqeycuna est une œuvre magistrale, un hommage vibrant et profondément authentique qui résonnera longtemps.
Une production de Tiziano Cruz. Concept, texte, mise en scène et interprétation Tiziano Cruz. Dramaturgie et assistance à la mise en scène Rodrigo Herrera. Collaboration artistique Rio Paraná (Duen Sacchi + Mag De Santo). Vidéo, photos, son, musique et coordination technique Matías Gutiérrez. Lumières Matías Sendón. Costumes et production artistique Luciana Iovane. Production déléguée Ulmus Gestión Cultural Relations internationales, production et gérance Cecilia Kuska (ROSA studio). Coproduction MITsp (São Paulo) + Festival d’Avignon + La Bâtie-Festival de Genève + Zürcher Theater Spektakel (Zurich) + Ulmus Gestión Cultural + ROSA studio. Avec le soutien de FIBA (Buenos Aires) + Ciudad Cultural KONEX (Buenos Aires) + CRL – Central Elétrica (Porto). Résidences de création La Virreina Centre de la Imatge (Barcelone) + CRL – Central Elétrica (Porto). Avec l’aide de la communauté de San Francisco et Santa Barbara (Jujuy) et de la famille Cruz. Présentée dans le cadre du FTA au Théâtre Rouge du Conservatoire du 31 mai au 2 juin 2025.
Connue pour ses performances explosives au sein de La La La Human Steps, ainsi que pour ses solos marquants (So Blue, Stations, Mille batailles), Lecavalier reste fidèle à cette énergie tellurique qui a fait sa renommée.
La scène s’ouvre sur deux carrés de lumière, en écho l’un à l’autre : l’un suspendu, l’autre projeté au sol. L’espace est contraint, presque oppressant. Lecavalier y surgit, par le tendon et le nerf, par la crinière et la nageoire. Poisson ? Sirène ? Elle nage, piétine, se débat, se possède et se dépossède, s’enchante et nous enchante. D’un tableau à l’autre, elle gagne en amplitude, comme si quelque chose en elle se libérait lentement. Chaque transition apparaît comme l’occasion d’une renaissance dans un nouvel espace, un nouvel horizon de lumière.
Cette traversée chorégraphique évoque une mue, une lutte vitale contre l’enfermement. L’ultime tableau – une agonie peut-être – est un dénuement où se découvre la substantifique moelle du vivant. Il ne reste presque rien d’humain sur scène, seulement une vie brute, vibrante, battante. Un souffle qui refuse de s’éteindre.
danses vagabondes est une prouesse physique, mais surtout une œuvre habitée. Louise Lecavalier y déploie une présence rare – n’est-ce pas le cas pour chacune de ses apparitions ? Ce spectacle confirme, s’il fallait encore le dire, qu’elle est l’une des plus grandes artistes de la scène québécoise.
danses vagabondes
Une production de Fou glorieux. Chorégraphie et interprétation Louise Lecavalier
Assistance à la chorégraphie et répétitrice France Bruyère. Conception lumières et vidéo Jean-François Piché. Musique Antoine Berthiaume + Nick Cave + Dawn of Midi + Nils Frahm + Kiasmos + The Black Dog + Trentemoller. Conseil musique Patrick Lamothe. Conseil artistique François Blouin. Costumes Yso + Élizabeth Duran. Vidéo Marlene Millar. Direction technique et de production François Marceau. Coproduction Festival TransAmériques + tanzhaus nrw düsseldorf + Hellerau (Dresde) + Centre national des Arts (Ottawa). Présentation en collaboration avec La Presse + Usine C. Création à Tanzhaus NRW (Düsseldorf), le 5 décembre 2024. Présenté à l’Usine C dans le cadre du FTA du 31 mai au 4 juin 2025.
Wayqeycuna : « Le futur est ancestral »
Avec Wayqeycuna – « mes frères » en quechua –, l’artiste argentin Tiziano Cruz clôt une trilogie consacrée à la communauté autochtone dont il est issu. Cette dernière pièce est aussi une quête de retour aux sources, une remontée vers le territoire natal et les liens ancestraux que la mort ravive.
Poursuivant son travail de visibilisation des communautés andines marginalisées, Cruz met en scène un retour au pays marqué par la perte de sa sœur, sur ces terres de haute altitude convoitées pour leur lithium, où les communautés autochtones voient leur territoire se réduire comme peau de chagrin. Réfugiés sur des parcelles reculées (une « jungle », dit Cruz) les membres de son peuple s’agrippent aux rituels, à la foi, aux traditions transmises.
Ce pèlerinage se déploie sur scène par un dispositif de projections vidéos, qui nous immerge dans un paysage grandiose, qui nous est restitué dans toute sa puissance sacré. On y découvre les visages de ses proches – son père, son neveu endeuillé – au fil d’une traversée intime où chaque image devient mémoire, témoignage et acte de résistance. À la manière d’un conte pour un enfants, Cruz livre ses souvenirs sur une tonalité qui est souvent au deuxième degré, où le léger le dispute au tragique.
La mise en scène, d’une grande simplicité, s’imprègne peu à peu de symboles et de métaphores. Seul sur scène, Cruz manipule les éléments du décor, abaisse les écrans de projection, installe les objets : chaque geste façonne un espace scénique qu’il semble vouloir maîtriser, reconquérir d’une manière autonome, contre cet autre territoire dépossédé. Cet artisanat du plateau, qu’il réalise à vue, donne à la pièce une matérialité sensible, presque cérémonielle.
Cruz excelle dans l’art de faire monter la tension. Il débute avec des éléments sociologiques – tel l’évocation des « dents » de sa sœur – et glisse, en crescendo, vers un théâtre de la célébration et du chagrin, culminant dans une scène bouleversante où il restitue, sans pathos, toute la violence de la perte de sa sœur. Le partage du pain, dans le dernier tableau, agit comme un geste de communion et de réconciliation.
La force de Wayqeycuna tient à sa dramaturgie incarnée, ancrée dans la performativité de la parole. Cruz y convoque à la fois l’intime et le politique, posant une question essentielle : comment faire un théâtre qui s’adresse aux pauvres, aux marginalisés? Sa critique de cet entre-soi du théâtre, soit ce théâtre de gauche qui parle des pauvres sans leur parler à eux est amenée avec justesse, dans une adresse franche, lucide.
Que tant d’émotions, d’idées et d’images puissent cohabiter en si peu de temps, que la pièce puisse conjuguer catharsis, réflexion critique et beauté visuelle, force l’admiration. Wayqeycuna est une œuvre magistrale, un hommage vibrant et profondément authentique qui résonnera longtemps.
Wayqeycuna
Une production de Tiziano Cruz. Concept, texte, mise en scène et interprétation Tiziano Cruz. Dramaturgie et assistance à la mise en scène Rodrigo Herrera. Collaboration artistique Rio Paraná (Duen Sacchi + Mag De Santo). Vidéo, photos, son, musique et coordination technique Matías Gutiérrez. Lumières Matías Sendón. Costumes et production artistique Luciana Iovane. Production déléguée Ulmus Gestión Cultural Relations internationales, production et gérance Cecilia Kuska (ROSA studio). Coproduction MITsp (São Paulo) + Festival d’Avignon + La Bâtie-Festival de Genève + Zürcher Theater Spektakel (Zurich) + Ulmus Gestión Cultural + ROSA studio. Avec le soutien de FIBA (Buenos Aires) + Ciudad Cultural KONEX (Buenos Aires) + CRL – Central Elétrica (Porto). Résidences de création La Virreina Centre de la Imatge (Barcelone) + CRL – Central Elétrica (Porto). Avec l’aide de la communauté de San Francisco et Santa Barbara (Jujuy) et de la famille Cruz. Présentée dans le cadre du FTA au Théâtre Rouge du Conservatoire du 31 mai au 2 juin 2025.