Critiques

Quand Ottawa dit « bonjour » au Fringe

Aller au Fringe n’est jamais une perte de temps. Le pire qui puisse arriver en choisissant un spectacle d’un.e illustre inconnu.e, c’est une petite heure consacrée à encourager un.e artiste de la relève n’ayant pas encore tout à fait trouvé sa voix. Mais dans le meilleur des cas – et ce n’est pas si rare – on y découvre des talents prometteurs et bourgeonnants. Lors d’une petite virée au Fringe d’Ottawa, JEU est allé fouiner du côté de la Nouvelle Scène Gilles Desjardins, et y a fait de très belles trouvailles !

Chez Suzette Boulette

Drôle, attendrissante et électrique, la pièce offre un portrait à la fois réaliste et poétique d’une jeunesse franco-ontarienne immergée dans le tourbillon d’un fast-food à l’heure de pointe. C’est dans cet univers de cabarets graisseux, de ketchup-moutarde-relish qui giclent et de commandes chantées à tue-tête que cinq jeunes dans la vingtaine livrent une performance aussi savoureuse que bien rythmée.

La trame, faussement légère, met en scène une intrigue de meurtre qui se greffe habilement à l’effervescence du quotidien d’un restaurant rapide. L’écriture, ponctuée de rimettes — « Qu’est-ce que je peux mettre dans votre assiette ? Un trio pause cigarette ? Un food-fight à la bonne franquette… ? » — oscille avec aisance entre humour absurde et anxiété post-pandémique.

Les dialogues, savamment teintés de franglais, révèlent un parler réaliste. Une langue profondément ancrée dans la réalité linguistique franco-ontarienne contemporaine, qui fait plaisir à entendre. Ici, pas question de se travestir pour correspondre à un français normatif : la langue est vivante, hybride et assumée.

On rit beaucoup, on sourit sans cesse. L’ensemble est servi par une distribution solide, soudée et d’une sincérité désarmante. Mention spéciale à la figure de la gérante coincée, à l’employée au tempérament de feu et au collègue introverti, soupçonné — à tort ou à raison — d’être un meurtrier. Une dynamique de groupe convaincante, qui évoque avec une certaine nostalgie la génération X de Reality Bites, transposée ici dans une réalité Gen Z aussi drôle que lucide.

Les accessoires — écouteurs, cabarets, flacons de condiments — deviennent presque des personnages à part entière, ajoutant une touche visuelle jubilatoire à cette mise en scène débridée. L’univers de Suzette Boulette est hypersensible, rapide, saturé, mais aussi traversé d’élans de solidarité et de véritables moments de grâce.

Avec ses surtitres qui en facilitent l’accès, la pièce constitue une porte d’entrée rafraîchissante vers le théâtre francophone, particulièrement pour un public jeune ou allophone. En somme, une œuvre irrésistible, qui fait de la friteuse un théâtre d’humanité.

Chez Suzette Boulette

Création de Laurence Gallant et Anne Hamels. Production de Production Chez Suzette. Texte : Laurence Gallant. Mise en scène : Anne Hamels. Régie : Stella Chayer. Avec Laurence Gallant, Sarah Kamendat, Louise-Antoine Chrétien, Dillon Lalonde-Morgan, Zackari Gosselin. Jusqu’au dimanche 22 juin 2025 au Studio A de la Nouvelle-Scène Gilles Desjardins.

Bucket List

C’est un peu par hasard que je me suis retrouvée dans la salle intime du Studio B, un soir où le spectacle initialement prévu avait été annulé (le genre de choses qui arrive au Fringe !). Et quelle belle surprise que cette incursion dans l’univers tendre, drôle et touchant de Bucket List, le spectacle de magie (en français) du Montréalais Jimmy Cao.

Derrière un décor aux allures de cahier d’écolier – un dessin enfantin représentant sa fameuse « bucket list » – Jimmy Cao nous invite à un voyage à la fois éthéré et spectaculaire : celui de ses 52 rêves à réaliser avant ses 30 ans. Magicien de close-up et blogueur à ses heures, il transforme ses aspirations personnelles en moments de poésie visuelle et de mystère bien ficelé.

Il commence avec une petite frousse : des épingles, du fil de soie dentaire et un verre rempli de liquide rouge. L’effet est saisissant. On le regarde, mi-inquiets, mi-fascinés, avaler les épingles et le liquide… pour ensuite les faire réapparaître en collier, comme sortis d’un larynx aux pouvoirs surnaturels. Suit une série de tours impeccables avec un cube Rubik, une lime, un citron : des objets du quotidien, transfigurés par une magie à petite échelle mais néanmoins sournoise.

Ce qui distingue Jimmy Cao, c’est sa personnalité candide. Attachant, généreux, il fait appel au public, l’invite à partager ses propres rêves, nous fait rire et réfléchir tout à la fois. On retrouve, le temps d’un tour de cartes ou d’un numéro de mentalisme, notre cœur d’enfant. Et même si la mise en scène est simple, sans effets tape-à-l’œil, la magie opère. Bucket List est un petit bijou de spectacle, où l’on ne voit pas tant un magicien accomplir des prouesses qu’un être humain nous rappeler que la vie, dans toute sa fragilité, mérite d’être vécue avec audace, humour et émerveillement.

Bucket List

Création de Jimmy Cao, Production de Jimmy Cao Magic. Au Studio B de la Nouvelle Scène Gilles Desjardins jusqu’au 21 juin 2025.