Le jeudi 4 septembre était soir de grande première chez Duceppe, en présence de nombreux dignitaires, dont le ministre de la Culture Mathieu Lacombe. On y annonçait les résultats d’une campagne de collecte de fonds ayant permis d’amasser 2 M $, déposés dans un fonds de dotation « à perpétuité » pour soutenir un tout nouveau centre de création. Les codirecteurs artistiques, David Laurin et Jean-Simon Traversy, ont par ailleurs suscité une salve d’applaudissements nourris en dédiant la représentation qui allait débuter à un « géant de notre théâtre disparu beaucoup trop tôt, Claude Poissant ».
Voilà qui était à prévoir : le spectacle d’ouverture de la saison 2025-2026 de Duceppe attire les foules, et on annonce déjà des supplémentaires. Évidemment, mettre en scène un best-seller de l’édition québécoise récente comme Rue Duplessis, de Jean-Philippe Pleau, qui qualifiait lui-même son ouvrage de « roman (mettons) », assure les retombées. D’autant plus que l’auteur lui-même prend part à la représentation. Mais si son livre n’était pas vraiment un roman — plutôt un récit autobiographique pas très romancé —, la pièce qui en est tirée n’est pas tout à fait du théâtre non plus…
Dans son ouvrage qui a fait mouche auprès du lectorat, Jean-Philippe Pleau décrit dans le détail le milieu familial et ouvrier dans lequel il a grandi à Drummondville, marqué par l’analphabétisme de son père et le peu d’éducation de sa mère. Et comment, comme à son propre étonnement, il en est progressivement sorti pour devenir sociologue et animateur sur les ondes de Radio-Canada, fréquentant les théâtres et les bons restaurants de Montréal sans vraiment s’y sentir à l’aise. Cette réalité de « transfuge de classe », le sociologue s’en est emparée pour l’analyser et en saisir les tenants et aboutissants. Ce n’est pas un secret qu’il a ainsi choqué plusieurs de ses proches, qui le poursuivent aujourd’hui devant les tribunaux.
Statisme et malaise
Pour réaliser son adaptation scénique du bouquin, David Laurin a donc dû supprimer tout le contenu qui pouvait se rapporter aux personnes derrière le recours judiciaire. L’idée qu’il a développée consiste à mettre en présence l’auteur dans son rôle d’animateur radio, recevant dans son studio — ici transposé dans le bungalow étouffant de ses parents — deux alter ego de lui-même, celui de Drummondville et celui de Rosemont, deux facettes d’un même homme, déchiré entre ce qu’il a été et ce qu’il est devenu. Ses partenaires de jeu, excellents Steve Laplante et Michel-Maxime Legault, joueront tour à tour son père et sa mère, et lui-même, les trois comme un seul homme.
Si l’idée n’est pas mauvaise en soi, elle se concrétise pourtant dans une suite de monologues et de courts dialogues entrelacés, d’extraits de l’essai lus par son auteur, de répliques qui en sont tirées, mais on peut regretter qu’il ne se passe pas grand-chose, à vrai dire, sur le grand plateau de chez Duceppe. Le bungalow qui sert de décor, imposant, pas très malléable malgré ses murs amovibles qui peuvent s’ouvrir, et la voiture stationnée sur le côté, n’aident pas à surpasser l’aspect statique de la mise en scène.
Pourtant, ce qui questionne le plus dans ce spectacle, c’est l’aspect déballage public où les pauvres parents de Jean-Philippe Pleau, malgré tout l’amour que celui-ci répète leur porter, se retrouvent plus souvent qu’autrement moqués, ce qui déclenche inévitablement les rires du public. Il y a de quoi rire jaune parfois. Bien sûr, des moments de rapprochement entre Pleau et son père surviennent, apaisant l’impression de malaise, des passages se font touchants, notamment celui, vers la fin, où l’on entend une intervention sur la libre pensée du regretté complice Serge Bouchard.
C’est peut-être un cliché de le dire, mais le conflit demeure à la base de tout théâtre. Et on a le sentiment, avec Jean-Philippe Pleau — on pouvait déjà le ressentir à la lecture de son ouvrage — que le conflit, chez lui, est d’abord intérieur, sans nier qu’il puisse aussi être lié à des faits de société. C’est le genre de réflexion ambiguë qu’on pouvait avoir à la sortie de la représentation.
Texte : Jean-Philippe Pleau. Adaptation théâtrale : David Laurin. Mise en scène : Marie-Ève Milot, assistée de Josianne Dulong-Savignac. Conseil dramaturgique : Andréane Roy. Scénographie : Geneviève Lizotte. Costumes : Cynthia St-Gelais, assistée de Juliette Dubé-Tyler. Éclairages : Paul Chambers. Musique : Antoine Berthiaume. Accessoires : Camille Walsh. Maquillages : Sylvie Rolland-Provost. Coach de voix : Luc Bourgeois. Répétiteur : Frédérik Fournier. Doublure de Jean-Philippe Pleau : Jean-François Poulin. Une production de Duceppe, présentée au Théâtre Duceppe jusqu’au 4 octobre 2025 (supplémentaires les mardis 16 et 30 octobre).
Le jeudi 4 septembre était soir de grande première chez Duceppe, en présence de nombreux dignitaires, dont le ministre de la Culture Mathieu Lacombe. On y annonçait les résultats d’une campagne de collecte de fonds ayant permis d’amasser 2 M $, déposés dans un fonds de dotation « à perpétuité » pour soutenir un tout nouveau centre de création. Les codirecteurs artistiques, David Laurin et Jean-Simon Traversy, ont par ailleurs suscité une salve d’applaudissements nourris en dédiant la représentation qui allait débuter à un « géant de notre théâtre disparu beaucoup trop tôt, Claude Poissant ».
Voilà qui était à prévoir : le spectacle d’ouverture de la saison 2025-2026 de Duceppe attire les foules, et on annonce déjà des supplémentaires. Évidemment, mettre en scène un best-seller de l’édition québécoise récente comme Rue Duplessis, de Jean-Philippe Pleau, qui qualifiait lui-même son ouvrage de « roman (mettons) », assure les retombées. D’autant plus que l’auteur lui-même prend part à la représentation. Mais si son livre n’était pas vraiment un roman — plutôt un récit autobiographique pas très romancé —, la pièce qui en est tirée n’est pas tout à fait du théâtre non plus…
Dans son ouvrage qui a fait mouche auprès du lectorat, Jean-Philippe Pleau décrit dans le détail le milieu familial et ouvrier dans lequel il a grandi à Drummondville, marqué par l’analphabétisme de son père et le peu d’éducation de sa mère. Et comment, comme à son propre étonnement, il en est progressivement sorti pour devenir sociologue et animateur sur les ondes de Radio-Canada, fréquentant les théâtres et les bons restaurants de Montréal sans vraiment s’y sentir à l’aise. Cette réalité de « transfuge de classe », le sociologue s’en est emparée pour l’analyser et en saisir les tenants et aboutissants. Ce n’est pas un secret qu’il a ainsi choqué plusieurs de ses proches, qui le poursuivent aujourd’hui devant les tribunaux.
Statisme et malaise
Pour réaliser son adaptation scénique du bouquin, David Laurin a donc dû supprimer tout le contenu qui pouvait se rapporter aux personnes derrière le recours judiciaire. L’idée qu’il a développée consiste à mettre en présence l’auteur dans son rôle d’animateur radio, recevant dans son studio — ici transposé dans le bungalow étouffant de ses parents — deux alter ego de lui-même, celui de Drummondville et celui de Rosemont, deux facettes d’un même homme, déchiré entre ce qu’il a été et ce qu’il est devenu. Ses partenaires de jeu, excellents Steve Laplante et Michel-Maxime Legault, joueront tour à tour son père et sa mère, et lui-même, les trois comme un seul homme.
Si l’idée n’est pas mauvaise en soi, elle se concrétise pourtant dans une suite de monologues et de courts dialogues entrelacés, d’extraits de l’essai lus par son auteur, de répliques qui en sont tirées, mais on peut regretter qu’il ne se passe pas grand-chose, à vrai dire, sur le grand plateau de chez Duceppe. Le bungalow qui sert de décor, imposant, pas très malléable malgré ses murs amovibles qui peuvent s’ouvrir, et la voiture stationnée sur le côté, n’aident pas à surpasser l’aspect statique de la mise en scène.
Pourtant, ce qui questionne le plus dans ce spectacle, c’est l’aspect déballage public où les pauvres parents de Jean-Philippe Pleau, malgré tout l’amour que celui-ci répète leur porter, se retrouvent plus souvent qu’autrement moqués, ce qui déclenche inévitablement les rires du public. Il y a de quoi rire jaune parfois. Bien sûr, des moments de rapprochement entre Pleau et son père surviennent, apaisant l’impression de malaise, des passages se font touchants, notamment celui, vers la fin, où l’on entend une intervention sur la libre pensée du regretté complice Serge Bouchard.
C’est peut-être un cliché de le dire, mais le conflit demeure à la base de tout théâtre. Et on a le sentiment, avec Jean-Philippe Pleau — on pouvait déjà le ressentir à la lecture de son ouvrage — que le conflit, chez lui, est d’abord intérieur, sans nier qu’il puisse aussi être lié à des faits de société. C’est le genre de réflexion ambiguë qu’on pouvait avoir à la sortie de la représentation.
Rue Duplessis. Ma petite noirceur
Texte : Jean-Philippe Pleau. Adaptation théâtrale : David Laurin. Mise en scène : Marie-Ève Milot, assistée de Josianne Dulong-Savignac. Conseil dramaturgique : Andréane Roy. Scénographie : Geneviève Lizotte. Costumes : Cynthia St-Gelais, assistée de Juliette Dubé-Tyler. Éclairages : Paul Chambers. Musique : Antoine Berthiaume. Accessoires : Camille Walsh. Maquillages : Sylvie Rolland-Provost. Coach de voix : Luc Bourgeois. Répétiteur : Frédérik Fournier. Doublure de Jean-Philippe Pleau : Jean-François Poulin. Une production de Duceppe, présentée au Théâtre Duceppe jusqu’au 4 octobre 2025 (supplémentaires les mardis 16 et 30 octobre).