Critiques

La faune locale : Jungle humaine

© Danny Taillon

Les 5 à 7 démarrent en trombe cette saison chez Duceppe avec une pièce d’une brûlante actualité, La faune locale, écrite et jouée par Stéphanie Labbé, dans une mise en scène astucieuse de Véronique Côté. Ce spectacle hyperréaliste maintient un crescendo remarquable pour nous faire passer du rire franc, au jaune et au très très noir. 

Sur un fil dansent trois couples vivant des dynamiques différentes et conflictuelles, mais partageant une seule et inexorable ascension vers le schisme et la violence. D’abord, le couple le plus âgé (Roger Larue et Tania Kontoyanni) : il est sur le point de perdre son emploi, ce qui la laisse étrangement assez indifférente. Le couple séparé (Stéphanie Labbé et Yannick Chapdelaine) semble bien s’entendre, jusqu’au moment où il demande la garde exclusive des enfants à son ex ulcérée et, par ailleurs, responsable d’aider l’homme du premier couple à trouver un nouvel emploi. Le troisième duo (Marie Bernier et Alexandre Dubois) est composé de la patronne du nouveau congédié et d’un conjoint infertile, ce qui l’amènera elle à, disons, « explorer d’autres avenues ».

© Danny Taillon

Les réalités des trois couples s’entremêlent constamment au cours de la pièce. On rit d’abord de leurs gentils travers, de leurs petites et grandes vacheries, puis on constate que la colère émergente de l’un∙e ou l’autre s’impose et devient peu à peu incontrôlable. La metteuse en scène Véronique Côté utilise ce charivari de répliques drôles, puis très incisives, pour orchestrer une chorégraphie où, la plupart du temps, les personnages non impliqués dans une scène réagissent subtilement, par un regard ou un geste, aux dires des un∙es et des autres. Côté met ainsi en action un texte brillant et des interprètes de très haut calibre. 

La scénographie utilise le maximum du petit espace des 5 à 7, avec quelques meubles et accessoires servant à presque toutes les scènes sur un plancher et un mur arrière tous deux tapissés d’un gazon vert synthétique. Dans cette jungle humaine, on assiste à des climats malsains, à des combats verbaux et à des violences subites où l’amitié/amour du début n’est plus que factice, où les déchirements se multiplient, dans lesquels le comportement d’animaux dits agressifs n’aurait rien à envier à la cruauté exprimée sur scène. Devons-nous ajouter que l’intrigue nous fait penser à un contexte mondial clairement polarisé, voire explosif ? L’actualité nous rappelle tous les jours que l’humanité n’a clairement pas atteint le fond du baril de la haine. 

Microcosme social et politique, le couple et le monde vont mal, nous dit Stéphanie Labbé. Même si cela peut s’avérer souvent anecdotique ou ironique, les esprits colériques et vengeurs de notre temps auraient-ils à y voir ? Les réseaux sociaux et les discours extrémistes l’encourageraient-ils ? Les réponses tardent à venir face à notre tout-pour-soi-tant-que-le-diable-emporte-le-reste. Comme le verbalise si bien un personnage vers la fin : « As-tu peur ? ». 

© Danny Taillon

La faune locale

Texte : Stéphanie Labbé. Mise en scène : Véronique Côté. Assistance à la mise en scène et régie : Sandy Caron. Scénographie et costumes : Marianne Lonergan Pilotto. Éclairages : Flavie Lemée. Musique : Antoine Bédard.  Direction de production : Yannick Chapdelaine. Avec Marie Bernier, Yannick Chapdelaine, Alexandre Dubois, Tania Kontoyanni, Stéphanie Labbé et Roger Larue. Une production de La Bête Humaine présentée aux 5 à 7 chez Duceppe jusqu’au 3 octobre 2025.