Critiques

ODE : Obsessif amour

© Mathieu Doyon

Après avoir été présentée à guichet fermé lors de l’édition 2024 du Festival TransAmériques (FTA), ODE de la chorégraphe montréalaise Catherine Gaudet revient pour trois soirs à l’Agora de la danse. Décalée et enivrante, cette œuvre, incarnée par onze interprètes survolté·es, nous donne envie de vibrer, de danser et de hurler à pleins poumons.

Dès les premières secondes, les onze interprètes remplissent l’espace par leur immobilité sèche et par leur forte présence. Par-dessus l’infini métronome prend sa place et, on ne le saura qu’à la fin, cela durera jusqu’au dernier souffle. Paisiblement, un premier danseur réagit au rythme du son, actif, électrique. Puis les réactions envisagent les corps des autres danseurs et danseuses, toujours, et c’est assez remarquable, à l’unisson.

En effet, l’œuvre, qui dure près d’une heure, ne laisse de répit à personne. Aucun·e artiste ne sort de scène, aucun·e n’a de solo à proprement parler ou de partition particulière. Ainsi, pendant toute l’œuvre, tout le monde est accordé, et suit la chorégraphie à la lettre. Et même au pied de la lettre, tellement les changements sont brutaux, précieux et délicieux à observer.

© Mathieu Doyon

Dans une première partie, ce sont les angles qui priment. Les interprètes se tordent, bras en l’air, demi-pointe active, grimace sur le visage. Le rythme, toujours constant, ne les précipite pas. Leurs corps figés restent immobiles sur plusieurs battements de mesure. Les souffles, les bruits de bouche et les soupirs entrent ensuite en scène, comme des ajouts musicaux, mais aussi des perceptions d’humanité dans cet ensemble quasi-robotique au départ. Ainsi, certain·es bruits font sourire, d’autres transpirent le relâchement et font du bien. Ils et elles éclatent spontanément sans pour autant qu’on puisse identifier la ou les personnes qui jouissent, crient, gémissent. Cela devient un jeu et ajoute une rythmique sonore à la pièce.

Jusqu’à la transe

Par la suite, les corps s’arrondissent, proposent des mouvements plus en ondulation, tout en gardant la cadence. Et celle-ci va en s’accélérant. Crescendo, les interprètes se collent à la rythmique, dansent sur tous les temps qui leur sont offerts. Les mouvements sont simples, répétitifs, mais demandent beaucoup d’engagement et d’intensité de la part des interprètes, qui n’arrêtent jamais.

En plus du corps, la voix vient elle aussi ajouter à ce rituel qui devient hypnotique, inarrêtable. En fond, l’instoppable métronome, mais aussi une partition plus lyrique, presque épique, vient ajouter de l’émotion. On en a même des frissons. On a envie à notre tour de se joindre à la danse, d’unir nos cris à ceux des danseurs et danseuses, d’entrer en transe à leurs côtés. Car c’est finalement ce que propose ODE : un sentiment d’exaltation provoqué par l’excessive répétition et la netteté des corps et des mots. Le tout devient obsessif, mais pourtant plaisant, voire enivrant. Le dévouement des interprètes et la puissance de leurs corps fascinent. On ne les lâche pas du regard, on tient avec eux chaque souffle. Jusqu’au dernier.

© Mathieu Doyon

ODE

Chorégraphie : Catherine Gaudet. Interprètes : Clara Biernacki, Rodrigo Alvarenga-Bonilla, Stacey Désilier, Dany Desjardins, Francis Ducharme, Caroline Gravel, Motrya Kozbur, Chi Long, Scott McCabe, Geneviève Robitaille et Ariane Levasseur. Composition musique originale : Antoine Berthiaume. Lumières : Alexandre Pilon-Guay. Présentée à l’Agora de la danse jusqu’au 26 septembre 2025.