Le sujet de la deuxième pièce de Camille Paré-Poirier, soit les effets à court et à long termes de la maladie et de la prise en charge médicale sur une vie d’enfant, d’adolescente puis de femme, peut certes sembler rébarbatif. Pourtant, cette œuvre sensible et captivante, mise en scène avec maestria par Laurence Dauphinais, s’avère l’une des propositions les plus abouties et convaincantes de ce début de saison théâtrale montréalaise.
Après le spectacle Je viendrai moins souvent (et le balado qui l’a inspiré, Quelqu’une d’immortelle), qui s’intéressait à la proche-aidance et au vieillissement, l’autrice et comédienne, explorant toujours l’autofiction, revisite le matériau de base de son recueil de poésie Dis merci, paru en 2021. Le texte de Dedans dehors conserve d’ailleurs la narration à la deuxième personne du singulier du livre, ainsi que le lyrisme de ses vers libres. Si celui-ci apparaît par moments un peu appuyé dans un contexte scénique, avec des phrases telles que « la vie adulte est un fruit mûr et muet », il n’en demeure pas moins que l’on appréciera l’élégance évocatrice de plusieurs passages. L’image du père de l’héroïne qui « s’enfarg[e] dans chaque flocon » lorsqu’il porte dans ses bras sa fille chérie (ayant perdu connaissance sur le trottoir) est certainement un exemple de cette éloquente beauté.
C’est que Camille, en première secondaire, est prise de douleurs dorsales d’abord mystérieuses, jusqu’à ce qu’elle reçoive un diagnostic implacable : une tumeur d’une trentaine de centimètres de long s’est logée dans sa colonne vertébrale. Se succéderont la stupeur, l’atterrement, l’angoisse, la honte, l’espoir, mais surtout la dépossession de son corps, puis le cheminement cahoteux d’une jeune femme qui tente de se le réapproprier.
Les ricochets de la douleur
Bien entendu, les tourments n’épargnent pas les parents de la jeune fille, interprétés tous deux par Mathieu Gosselin, particulièrement crédible et émouvant, il faut bien le dire, dans le rôle du père. Camille, quant à elle, tant narratrice que personnage interagissant avec les autres, est campée par deux comédiennes se relayant avec une fluidité remarquable : la dramaturge elle-même et Anne Florence. La performance exceptionnelle de cette dernière ne saurait d’ailleurs être passée sous silence. Avec une admirable sobriété, l’actrice, qui personnifie Camille enfant et adolescente, exprime les émotions complexes liées à la condition de celle qu’elle incarne, mais aussi à son âge, qu’il s’agisse de pudeur, de culpabilité, de fragilité, de timides émois érotiques, de désarroi ou encore de pulsions de vie ou de désir d’insouciance.
Par ailleurs, tous les membres de la distribution dirigée par Laurence Dauphinais s’illustrent par la justesse, voire par la délicatesse de leur jeu. La metteuse en scène, de surcroît, a su exploiter le plein potentiel de la salle Jean-Claude Germain, aux modestes dimensions, notamment en chorégraphiant des déplacements harmonieux ainsi qu’en utilisant une passerelle en hauteur pour donner de l’ampleur à l’espace et dynamiser son emploi. Ajoutons que l’environnement sonore élaboré par Gabrielle Couillard ainsi que les éclairages de Joëlle LeBlanc évoquent habilement (en en décuplant même la portée) les sensations et émotions vécues par les personnages au cœur de la scénographie délibérément glaçante (une pièce épurée garnie d’une civière et de quelques chaises) de Max-Otto Fauteux.
Ainsi tout concourt, dans Dedans dehors, à faire éclore la pleine richesse d’un texte fort adroitement construit, ne franchissant jamais la frontière du pathos tout en osant explorer franchement les méandres d’un parcours humain semé d’obstacles, avec toutes les réactions complexes que cela peut générer et les vestiges que l’on traîne avec soi au-delà du verdict clinique de guérison. Une œuvre profonde et prégnante.
Texte : Camille Paré-Poirier. Mise en scène : Laurence Dauphinais. Assistance à la mise en scène : Alexie Pommier. Scénographie : Max-Otto Fauteux. Costumes : Cynthia St-Gelais. Éclairages : Joëlle LeBlanc. Environnement sonore : Gabrielle Couillard. Vidéo : Philippe Léonard. Accessoires : Marie-Jeanne Rizkallah. Mouvements : Brianna Lombardo. Conseils dramaturgiques : Laurence Dauphinais et Mathilde Benignus. Conseils aux maquillages : Justine Denoncourt-Bélanger. Avec Anne Florence, Camille Paré-Poirier, Alexandre Bergeron, Mathieu Gosselin et Benoît Maufette. Une production de Camille Paré-Poirier, en codiffusion avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, présentée à la salle Jean-Claude-Germain du CTDA du 14 octobre au 5 novembre 2025.
Le sujet de la deuxième pièce de Camille Paré-Poirier, soit les effets à court et à long termes de la maladie et de la prise en charge médicale sur une vie d’enfant, d’adolescente puis de femme, peut certes sembler rébarbatif. Pourtant, cette œuvre sensible et captivante, mise en scène avec maestria par Laurence Dauphinais, s’avère l’une des propositions les plus abouties et convaincantes de ce début de saison théâtrale montréalaise.
Après le spectacle Je viendrai moins souvent (et le balado qui l’a inspiré, Quelqu’une d’immortelle), qui s’intéressait à la proche-aidance et au vieillissement, l’autrice et comédienne, explorant toujours l’autofiction, revisite le matériau de base de son recueil de poésie Dis merci, paru en 2021. Le texte de Dedans dehors conserve d’ailleurs la narration à la deuxième personne du singulier du livre, ainsi que le lyrisme de ses vers libres. Si celui-ci apparaît par moments un peu appuyé dans un contexte scénique, avec des phrases telles que « la vie adulte est un fruit mûr et muet », il n’en demeure pas moins que l’on appréciera l’élégance évocatrice de plusieurs passages. L’image du père de l’héroïne qui « s’enfarg[e] dans chaque flocon » lorsqu’il porte dans ses bras sa fille chérie (ayant perdu connaissance sur le trottoir) est certainement un exemple de cette éloquente beauté.
C’est que Camille, en première secondaire, est prise de douleurs dorsales d’abord mystérieuses, jusqu’à ce qu’elle reçoive un diagnostic implacable : une tumeur d’une trentaine de centimètres de long s’est logée dans sa colonne vertébrale. Se succéderont la stupeur, l’atterrement, l’angoisse, la honte, l’espoir, mais surtout la dépossession de son corps, puis le cheminement cahoteux d’une jeune femme qui tente de se le réapproprier.
Les ricochets de la douleur
Bien entendu, les tourments n’épargnent pas les parents de la jeune fille, interprétés tous deux par Mathieu Gosselin, particulièrement crédible et émouvant, il faut bien le dire, dans le rôle du père. Camille, quant à elle, tant narratrice que personnage interagissant avec les autres, est campée par deux comédiennes se relayant avec une fluidité remarquable : la dramaturge elle-même et Anne Florence. La performance exceptionnelle de cette dernière ne saurait d’ailleurs être passée sous silence. Avec une admirable sobriété, l’actrice, qui personnifie Camille enfant et adolescente, exprime les émotions complexes liées à la condition de celle qu’elle incarne, mais aussi à son âge, qu’il s’agisse de pudeur, de culpabilité, de fragilité, de timides émois érotiques, de désarroi ou encore de pulsions de vie ou de désir d’insouciance.
Par ailleurs, tous les membres de la distribution dirigée par Laurence Dauphinais s’illustrent par la justesse, voire par la délicatesse de leur jeu. La metteuse en scène, de surcroît, a su exploiter le plein potentiel de la salle Jean-Claude Germain, aux modestes dimensions, notamment en chorégraphiant des déplacements harmonieux ainsi qu’en utilisant une passerelle en hauteur pour donner de l’ampleur à l’espace et dynamiser son emploi. Ajoutons que l’environnement sonore élaboré par Gabrielle Couillard ainsi que les éclairages de Joëlle LeBlanc évoquent habilement (en en décuplant même la portée) les sensations et émotions vécues par les personnages au cœur de la scénographie délibérément glaçante (une pièce épurée garnie d’une civière et de quelques chaises) de Max-Otto Fauteux.
Ainsi tout concourt, dans Dedans dehors, à faire éclore la pleine richesse d’un texte fort adroitement construit, ne franchissant jamais la frontière du pathos tout en osant explorer franchement les méandres d’un parcours humain semé d’obstacles, avec toutes les réactions complexes que cela peut générer et les vestiges que l’on traîne avec soi au-delà du verdict clinique de guérison. Une œuvre profonde et prégnante.
Dedans dehors
Texte : Camille Paré-Poirier. Mise en scène : Laurence Dauphinais. Assistance à la mise en scène : Alexie Pommier. Scénographie : Max-Otto Fauteux. Costumes : Cynthia St-Gelais. Éclairages : Joëlle LeBlanc. Environnement sonore : Gabrielle Couillard. Vidéo : Philippe Léonard. Accessoires : Marie-Jeanne Rizkallah. Mouvements : Brianna Lombardo. Conseils dramaturgiques : Laurence Dauphinais et Mathilde Benignus. Conseils aux maquillages : Justine Denoncourt-Bélanger. Avec Anne Florence, Camille Paré-Poirier, Alexandre Bergeron, Mathieu Gosselin et Benoît Maufette. Une production de Camille Paré-Poirier, en codiffusion avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, présentée à la salle Jean-Claude-Germain du CTDA du 14 octobre au 5 novembre 2025.