L’histoire de Mélodie St-Laurent débute sur les fonts baptismaux d’une petite église au cœur des Appalaches, à Sainte-Apolline-de-Patton. Elle porte un nom prédestiné, celle qui avance dans un paysage cahoteux s’ouvrant sur le Saint-Laurent, mais dont les eaux du Lac Frontière à proximité s’écoulent vers la baie de Fundy et l’Atlantique. C’est à l’intérieur de ce décor typique que Mélodie raconte sa vie. Le maître-autel se transforme alors en boîte à malices pour une mise en abyme d’un théâtre d’objets. Les stations du Chemin de croix illustrent sa rugueuse quête de l’amour, alors que la multi-instrumentiste (fascinante Marjorie Fiset) transforme les chants chrétiens en une fresque sonore où s’animent les personnages que l’exilée fréquente dans les villes.
Mélodie intègre les événements politiques du siècle dernier dans son récit personnel. Elle parle de ceux qui ont bâti le territoire, qui ont survécu à la misère des colons, qui ont dénoncé la noirceur duplessiste pour que leurs enfants puissent conquérir le monde. Par analogie, sa vie suit le même cheminement. Son enfance est habitée par les statuettes de l’hagiographie catholique (Apolline pour les dentistes, Joseph et Marie pour Jésus crucifié, Roch et son chien pour les chasseurs…), qu’elle utilise désormais pour tenir tous les rôles de son histoire. C’est à son tour de s’arracher à l’environnement réducteur d’un Québec profond marqué par la misère avec son lot de violence conjugale, d’inceste et de pauvreté.
Après le divorce de ses parents, elle quitte son village et s’installe à Québec pour devenir comédienne. Mais surtout pour devenir une citoyenne du monde, aspirée et inspirée par la puissance de la poésie, Gaston Miron et le pays, Apollinaire et l’alcool, et par la beauté fulgurante de la peinture, portraitiste de nos émotions… Elle découvre Paris dans le regard de Sébastien, le pont Mirabeau et l’art qui nous transcende. À New York, elle suivra une piste similaire avec Fred, son nouvel amoureux de Saint-Roch.
Voilà le cœur du problème : l’Apollinoise est malade d’amour, celui qu’elle cherche, qu’elle trouve, qu’elle saccage chaque fois dans une rage folle, imbibée des alcools d’un party perpétuel. Jamais elle ne parvient à combler le vide, à trouver la paix, à aimer sans crainte. Elle vit dans des « montagnes russes appalachiennes », allant des sommets aux abimes. Elle est victime du trouble de personnalité limite, qu’elle essaie de domestiquer avec sa psy. Alors non, elle n’ira pas aux Açores avec Fred, là où Marcel Cerdan, le grand amour de Piaf, a trouvé la mort dans un terrible écrasement d’avion qui n’a laissé aucun survivant. Elle doit d’abord se reconstruire pour enfin dire avec Miron : « Je n’ai jamais voyagé vers autre pays que toi mon pays ». Construit avec tendresse envers soi-même, sur fond de beauté et de merveilles, Les Açores se veut une brillante allégorie de soi, perçu comme un pays à construire.
Substitution et métempsychose
Lorraine Côté signe ici encore un spectacle intimiste (Rashomon) monté avec une équipe soudée. Elle dirige Amélie Laprise avec doigté, dosant éclats de colère et murmures de la confession, érotisme et sexualité, émerveillement devant l’art et déprime des lendemains de beuverie. Dans un mouvement fluide, l’autrice et comédienne manipule les accessoires en forme de statues, de bouteilles de bière, de petite maquette… Et chaque objet est doté soudainement d’une force dramatique, d’une lumière singulière. Dans ses mains, l’église s’estompe pour laisser surgir la beauté du monde. La minuscule demi-scène du Bistro Marc Doré habillée par Dominique Giguère aux couleurs pastel d’une église de campagne devient un espace multi-écran où les paysages extérieurs prennent vie.
Keven Dubois, aux éclairages et à la vidéo, métamorphose avec précision les vitraux en fenêtres d’ogive et le devant de l’autel en autant de zones de projection. En imbriquant son histoire personnelle dans celle de la nation, l’autrice trace un parallèle entre la santé du pays et la sienne. Nous nous reconnaissons dans chaque situation : son histoire est celle d’une génération qui a quitté les régions pour découvrir la ville. Or, au cœur de cette ville se cachent des monstres qui menacent notre santé mentale et qu’on doit dompter. Malgré tous les dangers, il faudra bien quand même devenir.
Texte : Amélie Laprise. Mise en scène : Lorraine Côté. Assistance à la mise en scène : Mélissa Bouchard. Musique et environnement sonore : Marjorie Fiset. Décor : Dominique Giguère. Réalisation du décor : Hugues Bernatchez. Assistance au décor : Geneviève Bournival. Costumes : Dominique Giguère. Assistance aux costumes : Laurie Carrier. Éclairages et vidéo: Keven Dubois. Accessoires : Marianne Lebel. Régie : Mélissa Bouchard. Conseils dramaturgiques : Edwige Morin. Direction technique et de production : Anne Plamondon. Avec Amélie Laprise et Marjorie Fiset. Une production de La Trâlée, présentée au Périscope du 14 octobre au 1er novembre 2025.
L’histoire de Mélodie St-Laurent débute sur les fonts baptismaux d’une petite église au cœur des Appalaches, à Sainte-Apolline-de-Patton. Elle porte un nom prédestiné, celle qui avance dans un paysage cahoteux s’ouvrant sur le Saint-Laurent, mais dont les eaux du Lac Frontière à proximité s’écoulent vers la baie de Fundy et l’Atlantique. C’est à l’intérieur de ce décor typique que Mélodie raconte sa vie. Le maître-autel se transforme alors en boîte à malices pour une mise en abyme d’un théâtre d’objets. Les stations du Chemin de croix illustrent sa rugueuse quête de l’amour, alors que la multi-instrumentiste (fascinante Marjorie Fiset) transforme les chants chrétiens en une fresque sonore où s’animent les personnages que l’exilée fréquente dans les villes.
Mélodie intègre les événements politiques du siècle dernier dans son récit personnel. Elle parle de ceux qui ont bâti le territoire, qui ont survécu à la misère des colons, qui ont dénoncé la noirceur duplessiste pour que leurs enfants puissent conquérir le monde. Par analogie, sa vie suit le même cheminement. Son enfance est habitée par les statuettes de l’hagiographie catholique (Apolline pour les dentistes, Joseph et Marie pour Jésus crucifié, Roch et son chien pour les chasseurs…), qu’elle utilise désormais pour tenir tous les rôles de son histoire. C’est à son tour de s’arracher à l’environnement réducteur d’un Québec profond marqué par la misère avec son lot de violence conjugale, d’inceste et de pauvreté.
Après le divorce de ses parents, elle quitte son village et s’installe à Québec pour devenir comédienne. Mais surtout pour devenir une citoyenne du monde, aspirée et inspirée par la puissance de la poésie, Gaston Miron et le pays, Apollinaire et l’alcool, et par la beauté fulgurante de la peinture, portraitiste de nos émotions… Elle découvre Paris dans le regard de Sébastien, le pont Mirabeau et l’art qui nous transcende. À New York, elle suivra une piste similaire avec Fred, son nouvel amoureux de Saint-Roch.
Voilà le cœur du problème : l’Apollinoise est malade d’amour, celui qu’elle cherche, qu’elle trouve, qu’elle saccage chaque fois dans une rage folle, imbibée des alcools d’un party perpétuel. Jamais elle ne parvient à combler le vide, à trouver la paix, à aimer sans crainte. Elle vit dans des « montagnes russes appalachiennes », allant des sommets aux abimes. Elle est victime du trouble de personnalité limite, qu’elle essaie de domestiquer avec sa psy. Alors non, elle n’ira pas aux Açores avec Fred, là où Marcel Cerdan, le grand amour de Piaf, a trouvé la mort dans un terrible écrasement d’avion qui n’a laissé aucun survivant. Elle doit d’abord se reconstruire pour enfin dire avec Miron : « Je n’ai jamais voyagé vers autre pays que toi mon pays ». Construit avec tendresse envers soi-même, sur fond de beauté et de merveilles, Les Açores se veut une brillante allégorie de soi, perçu comme un pays à construire.
Substitution et métempsychose
Lorraine Côté signe ici encore un spectacle intimiste (Rashomon) monté avec une équipe soudée. Elle dirige Amélie Laprise avec doigté, dosant éclats de colère et murmures de la confession, érotisme et sexualité, émerveillement devant l’art et déprime des lendemains de beuverie. Dans un mouvement fluide, l’autrice et comédienne manipule les accessoires en forme de statues, de bouteilles de bière, de petite maquette… Et chaque objet est doté soudainement d’une force dramatique, d’une lumière singulière. Dans ses mains, l’église s’estompe pour laisser surgir la beauté du monde. La minuscule demi-scène du Bistro Marc Doré habillée par Dominique Giguère aux couleurs pastel d’une église de campagne devient un espace multi-écran où les paysages extérieurs prennent vie.
Keven Dubois, aux éclairages et à la vidéo, métamorphose avec précision les vitraux en fenêtres d’ogive et le devant de l’autel en autant de zones de projection. En imbriquant son histoire personnelle dans celle de la nation, l’autrice trace un parallèle entre la santé du pays et la sienne. Nous nous reconnaissons dans chaque situation : son histoire est celle d’une génération qui a quitté les régions pour découvrir la ville. Or, au cœur de cette ville se cachent des monstres qui menacent notre santé mentale et qu’on doit dompter. Malgré tous les dangers, il faudra bien quand même devenir.
Les Açores
Texte : Amélie Laprise. Mise en scène : Lorraine Côté. Assistance à la mise en scène : Mélissa Bouchard. Musique et environnement sonore : Marjorie Fiset. Décor : Dominique Giguère. Réalisation du décor : Hugues Bernatchez. Assistance au décor : Geneviève Bournival. Costumes : Dominique Giguère. Assistance aux costumes : Laurie Carrier. Éclairages et vidéo: Keven Dubois. Accessoires : Marianne Lebel. Régie : Mélissa Bouchard. Conseils dramaturgiques : Edwige Morin. Direction technique et de production : Anne Plamondon. Avec Amélie Laprise et Marjorie Fiset. Une production de La Trâlée, présentée au Périscope du 14 octobre au 1er novembre 2025.