Critiques

Black Lights : Regards sans détour

© Arnaud Caravielhe

Ce mercredi a eu lieu à l’Agora de la danse de Montréal la première de Black Lights, spectacle de la chorégraphe française Mathilde Monnier. Récipiendaire du Grand prix de la critique française, de celui de Meilleur spectacle année 2023 et du Grand Prix du syndicat professionnel de la critique française 2024, cette pièce inspirée de faits réels témoigne des violences faites aux femmes dans leur quotidien. Une œuvre où textes et gestuelles s’entrelacent pour mieux conscientiser.

Les portes se ferment. Les lumières, elles, ne s’éteignent pas. La scène est jonchée de troncs d’arbres et les sept interprètes sont déjà présentes, prêtes. La chorégraphe, qui danse aussi dans la pièce, ouvre le bal. Et ce bal, il sera composé d’anecdotes, de la presque anodine à la plus violente. Ces témoignages vécus de violences subies par des femmes rythment la pièce et sont délivrés clairement, assumés et pleinement incarnés par les interprètes qui vacillent entre théâtre et danse.

À chaque nouvelle histoire vraie, les lumières sont franches, tant sur scène que dans le public. Comme pour se faire face. Pour se regarder en face, aussi. Pour ne plus se lâcher des yeux et affronter la vérité. Les regards sont francs. Car c’est en pleine face que le public reçoit ces paroles bourrées de regards insistants, de condescendance, d’insultes dans une rue, de harcèlement, de gestes déplacés, de coups de poing dans la gueule, de pédophilie, de viol.

Les propos sont lourds et intenses. Ils sont délivrés avec justesse, sans rage ni tragédie. Car finalement, ça nous est déjà toutes arrivé et, dans la vraie vie, ce qui se passe a très souvent lieu dans le silence et la honte. De la part, évidemment, de la mauvaise personne. Donc les femmes s’éteignent, s’écrasent au sol, sourient et avancent malgré tout. Malgré toutes ces violences qui surgissent chaque jour. Chaque jour.

Et c’est justement l’accumulation des anecdotes qui fait mal. Il y en a tant, toutes différentes, toutes vécues par des femmes différentes et provoquées, la grande majorité du temps, par des hommes, eux aussi tous différents. Du coach à l’enseignant en passant par l’inconnu du quartier et le patron. C’est brutal et épeurant pour ceux et celles qui ne le conscientisent que maintenant. C’est un rappel utile pour ceux et celles qui l’ont peut-être un peu oublié.

La diversité des récits permet à chacune de s’identifier, tout comme le choix des interprètes qui ont des âges et des corps divers, des langues multiples, aussi. Et oui, la violence envers les femmes est universelle.

Le corps au service du texte 

Black Lights s’appuie en grande partie sur les textes. Ils tapissent l’entièreté de l’œuvre et sont parfois magnifiés par le corps. En effet, chaque témoignage se distingue par une approche différente des mouvements. Et ceux-ci vont prendre une place et une intensité crescendo. La quasi-immobilité, et quelques marches, rythment par exemple le premier texte. Par la suite, toute une recherche gestuelle liée à la fermeture et à l’ouverture des jambes va être exploitée. La course, la fuite, sont aussi utilisées. Les interprètes personnifient certains prédateurs, sans caricature ni exagération. Juste une intention, un petit geste, un sifflement, un espace réduit et malaisant entre deux corps. Certains propos s’accompagnent de corps qui se déforment, se déchaînent dans des postures anguleuses, inconfortables. Les mouvements prennent parfois plus d’assurance, deviennent combatifs et plus forts. Ils sont aussi parfois complètement relâchés et fluides, sur un doux piano, pour laisser place à l’émotion d’un au revoir brutal qui peut alors être synonyme de délivrance.

Ainsi, avec Black Lights, on ne tourne pas autour du pot. Le sujet est clairement amené, incarné par des textes du quotidien, du concret. La danse, quant à elle, sert d’appui, de poésie, de pauses dans la violence. Elle l’incarne sans pour autant la jouer ni l’illustrer. Une création sans tabous qui permet de continuer à ouvrir les yeux.

Black Lights

Chorégraphie : Mathilde Monnier. Interprètes : Mathilde Monnier, Aïda Ben Hassine, Carolina Passos Sousa, Jone San Martin Astigarraga, Ophélie Segala, Sophia Seiss, Elithia Rabenjamina. Musique : Olivier Renouf et Nicolas Houssin. Scénographie : Annie Tolleter, l’atelier Martine Andre et Paul Dubois. Dramaturgie : Stéphane Bouquet. Créateur lumières : Éric Wurtz. Black Lights est une productions d’OTTO Productions, présentée jusqu’au 25 octobre 2025 à l’Agora de la danse.