JEU des 5 questions

Cinq questions à Audrey-Anne Bouchard

© Laurence Gagnon Lefebvre

Diplômée en scénographie puis en théorie et pratique de la danse et du théâtre, Audrey-Anne Bouchard œuvre depuis 2008 comme conceptrice en éclairages à Montréal et à l’international. Sa deuxième pièce, Fragments : celle qui m’habitait déjà, est une expérience immersive innovante pour personnes voyantes, auxquelles on prête un bandeau, semi-voyantes et non-voyantes. 

JEU : Fragments… reprend certaines problématiques de votre premier spectacle, Camille : un rendez-vous au-delà du visuel, mais dans un nouveau format ?

Audrey-Anne Bouchard : Il y a eu trois versions de Camille, en fait, et il y avait plus d’interactions avec le public puisqu’il y avait un interprète par spectateur ou spectatrice. On l’a créé en 2019, mais avec la pandémie, comme on ne pouvait plus se toucher, on a produit Camille : le récit, davantage porté sur le récit. On l’a présenté entre autres à Montréal avec le CAM en tournée, en anglais au Segal et l’an passé à Toronto en anglais et en français. On essaie de continuer la tournée, d’ailleurs.

Votre deuxième pièce reste basée sur le toucher entre les interprètes et les membres du public. Comment la décrire ? 

Fragments est une fiction qui a été créée aussi en écriture de plateau avec une volonté d’inclusion. C’est une installation scénographique dans laquelle des odeurs, des textures et des sons évoquent une vieille maison. Celle-ci devient le lieu d’une rencontre intangible : une jeune femme venue s’y installer pour échapper à une vie toute tracée d’avance y découvre, avec le public, un piano, des livres et l’histoire d’une écrivaine ayant habité la maison en 1950.

Dans le fond, la maison est un véritable personnage qu’on peut entendre et sentir, où on peut circuler ?

Oui. Il y a un préambule qui se déroule dans un espace, une maison, qu’on voit dans la scénographie. Le public est accompagné pour entrer dans la maison. Là, il y a des contacts avec les murs qui nous parlent aussi. La première partie se déroule dans la maison, ce qui permet au public non-voyant de prendre confiance. Les deux personnages finissent par être bien dans leur domicile et Madeleine, des années 1950, décide de faire une réception chez elle. Le public se lève, le pianiste se met en action et tout le monde ressent l’impression de la fête. Elle dira : « Ouvrir ma maison, c’est aussi me faire voir de l’intérieur en sentant le regard des autres ». Mon objectif était de montrer que les choses ont changé depuis les années 1950.

Vous parlez d’écriture de plateau, comment travaillez-vous lors de la création d’un spectacle ? 

Le parti pris, au départ, était de créer un spectacle pour les personnes non-voyantes en les intégrant dans le processus. On leur demande, par exemple, ce qui les intéresse dans une pièce de théâtre. Pour elles et eux, écouter l’histoire d’une personne qui perd la vue, ce n’est pas intéressant. Ce public veut se changer les idées, comme tout le monde dans le fond. On fait de la sensibilisation pour le public voyant à travers la fiction, mais ça pourrait éventuellement emprunter d’autres formes.

D’ailleurs vous êtes constamment en train de travailler en labo et d’explorer en arts vivants nouveau genre, si on comprend bien ?  

Quand en 2013, j’ai rencontré Laurie-Anne Langis, qui est chorégraphe, on travaillait sur un spectacle de danse. Il y avait des micros sans fil et le son voyageait partout dans l’espace. Je m’intéressais beaucoup à l’idée de communiquer la danse de cette façon. Au théâtre, pour un public non-voyant, il y a du texte et un récit, mais pas en danse, ou si peu. Les personnes non-voyantes qu’on a invitées nous ont dit, par contre, que le son ne traduisait pas le mouvement. Donc il était préférable de ne pas répéter le mouvement ou la physicalité par le son. Disons que j’ai compris que ce n’était pas nécessairement une bonne idée. Pour créer, on s’est donc fermé les yeux. Après deux ans de recherche, on avait assez de matériel pour un spectacle.

Avec votre compagnie Au-delà du visuel, vous avez certainement d’autres projets tout aussi novateurs ?

Tout m’intéresse. Ce pourrait être du théâtre documentaire… On aimerait travailler pour le jeune public de façon plus poétique, peut-être. On étudie la possibilité d’un partenariat avec l’École Jacques-Ouellet de Longueuil, qui accueille des jeunes en situation de handicap visuel. Cette institution est née à la suite d’une fusion entre l’Institut Nazareth et de l’Institut Louis-Braille.

Fragments : celle qui m’habitait déjà est présentée à M.A.I. du 22 octobre au 8 novembre 2025.