Multi, pluri, interdisciplinaire, le spectacle How to Save a Dear Friend… de Mireille Selwanes Tawfik ? En fait, il s’agit davantage d’une performance, ou d’une approche performantielle, que d’une pièce de théâtre. Cette proposition hors norme procède d’une dimension interartistique où se produit un dialogue profond et non hiérarchique entre les disciplines : théâtre documentaire, chorégraphie, musique, conte et récit intimiste. Cette performance non spectaculaire, qui parle notamment de tragédies innommables sans en faire un spectacle, s’avère une belle réussite, démontrant une grande ouverture d’esprit et une envie du risque salutaire.
How to save a dear Friend… débute avec le récit mythique des aventures d’Isis, Osiris et Seth. L’amour entre les deux premiers sera détruit par le troisième. Jaloux, Seth assassine Osiris et découpe son corps avant de répartir les morceaux partout en Égypte. Osiris deviendra le dieu des morts et ressuscitera grâce aux bons soins d’Isis. L’histoire ne finit pas là évidemment, mais permet à Tawfik d’établir les bases de sa démarche. Une voix hors champ raconte pendant que se meuvent, sous une montagne de tapis et de tissus, les deux performeur∙es, Tawfik et Radwan Ghazi Moumneh, afin d’illustrer le mythe.
La performance se poursuit avec Tawfik et Moumneh qui forment des sculptures abstraites avec des objets du quotidien (tapis, meubles, escabeaux, toiles de plastique, évier, bicyclette…). Le duo se servira ensuite de cordes pour attacher certains artéfacts, à plusieurs moments en cours de (re)présentation, et les soulever par un système de poulies. Suspendus en l’air dans l’espace vide de la salle, les objets rappellent la vraie vie, tout en situant le plateau entre les mondes, entre mythes et réalités.
Par moments, la narration décrira des abus, viols, disparitions, tortures et autres cruautés infligés la plupart du temps à des femmes innocentes qui ont eu le malheur d’être nées dans ce corps qui est le leur. S’entremêlent à ces histoires vraies des épisodes de la vie de Tawfik et de sa famille, tout autant marquées par la violence ordinaire et extra-ordinaire. Celle qui nous est transmise depuis la nuit des temps par la malveillance humaine.
À d’autres reprises, les performeur∙es se draperont dans des tapis et des matelas de styromousse pour tenter de se protéger en cocon devant ces hommes qui sont et resteront des loups pour l’humanité. D’immunité il n’y a pas face aux inéluctables souffrances infligées par d’autres, surtout le patriarcat et le pouvoir, souvent indissociables. La dramaturgie fait valser le public entre ces divers états qui évitent le pathos et s’incarnent parfois dans des adresses directes au public.
Au beau milieu de la (re)présentation, cependant, les deux complices de scène se la jouent discothèque baladi dans le cadre d’une séquence sympathique qui permet de souffler un peu. La scénographie cherche d’ailleurs l’épurement et une certaine légèreté malgré les horreurs racontées. Également musicien, Moumneh joue du buzuk dans d’autres scènes, d’abord à l’archet pour en sortir des sons stridents et désagréables, puis en pinçant les cordes dans un style plus traditionnel. Tawfik, de son côté, se sert d’un langage des signes inventé qu’on ose croire universel.
Comme elle et toutes les femmes mentionnées, l’humanité survivra, semble dire la metteuse en scène, elle-même battante. La voix de sa mère prenant des nouvelles de sa trop occupée fille artiste se fait entendre à quelques reprises sur la bande-son. Pour « savoir comment elle va », dit-elle d’un ton parfois las, parfois ironique. Durant cette proposition démultipliée, il sera aussi question d’une tante disparue mystérieusement et d’un ami, Rafael, artiste dépressif qui a survécu en abandonnant sa pratique artistique. Famille, proches, amis, mythiques ou réels, seront toujours là pour partager les joies et réconforter les peines.
How to Save a Dear Friend… porte un message fort de survivance et de résistance. Les mutilations physiques et mentales imposées par des actes délétères et immémoriaux continueront sans doute, comme le démontre l’histoire humaine. Quoique l’on n’en sort jamais totalement indemne, des lueurs d’espoir subsistent, allumées par Tawfik et Moumneh, çà et là. Comme Isis avec son amoureux, le duo travaille ici à recoudre le monde, un morceau à la fois.
Coup sur coup, avec Autobiographie du rouge de Gabriel Charlebois-Plante et How to Save a Dear Friend : formules pour sortir au jour, Espace GO s’installe dans le groupe de tête de ceux et celles qui osent l’audace en scène. Dans notre contexte postpandémique et de crise financière, ces avancées interartistiques innovantes prennent une importance grandissante dont il faudra continuer de s’inspirer.
Texte et mise en scène : Mireille Selwanes Tawfik. Dramaturgie : Yohayna Hernández. Collaboration au mouvement : Émile Pineault. Assistance à la mise en scène et régie : Marguerite Hudon. Scénographie et costumes : Pénélope Dulude-De Broin. Assistance à la scénographie et aux costumes : Juliette Papineau-Holdrinet. Éclairages : Catherine Fée-Pigeon. Musique : Radwan Ghazi Moumneh. Sonorisation : Jean Gaudreau. Doublure de répétitions : Lula Brouillette-Lucien. Conseil en magie : Marc-André Brûlé. Création filmique : Charles-André Coderre. Dialogue artistique et chorégraphie de la séance des mains. Fabien Piché. Régie : Marie-Frédérique Gravel. Direction de production : Roxane Gallant. Direction technique : Nicolas Jalbert. Assistance à la direction technique : Justin Lalande. Peinture scénique : Fanny Bélanger-Poulin. Direction de production et de la création (Go) : Suzanne Crocker. Direction technique (Go) : Cello Ponce. Une production de Face de Râ en collaboration avec Espace Go, présentée à Espace Go du 30 octobre au 8 novembre 2025.
Multi, pluri, interdisciplinaire, le spectacle How to Save a Dear Friend… de Mireille Selwanes Tawfik ? En fait, il s’agit davantage d’une performance, ou d’une approche performantielle, que d’une pièce de théâtre. Cette proposition hors norme procède d’une dimension interartistique où se produit un dialogue profond et non hiérarchique entre les disciplines : théâtre documentaire, chorégraphie, musique, conte et récit intimiste. Cette performance non spectaculaire, qui parle notamment de tragédies innommables sans en faire un spectacle, s’avère une belle réussite, démontrant une grande ouverture d’esprit et une envie du risque salutaire.
How to save a dear Friend… débute avec le récit mythique des aventures d’Isis, Osiris et Seth. L’amour entre les deux premiers sera détruit par le troisième. Jaloux, Seth assassine Osiris et découpe son corps avant de répartir les morceaux partout en Égypte. Osiris deviendra le dieu des morts et ressuscitera grâce aux bons soins d’Isis. L’histoire ne finit pas là évidemment, mais permet à Tawfik d’établir les bases de sa démarche. Une voix hors champ raconte pendant que se meuvent, sous une montagne de tapis et de tissus, les deux performeur∙es, Tawfik et Radwan Ghazi Moumneh, afin d’illustrer le mythe.
La performance se poursuit avec Tawfik et Moumneh qui forment des sculptures abstraites avec des objets du quotidien (tapis, meubles, escabeaux, toiles de plastique, évier, bicyclette…). Le duo se servira ensuite de cordes pour attacher certains artéfacts, à plusieurs moments en cours de (re)présentation, et les soulever par un système de poulies. Suspendus en l’air dans l’espace vide de la salle, les objets rappellent la vraie vie, tout en situant le plateau entre les mondes, entre mythes et réalités.
Par moments, la narration décrira des abus, viols, disparitions, tortures et autres cruautés infligés la plupart du temps à des femmes innocentes qui ont eu le malheur d’être nées dans ce corps qui est le leur. S’entremêlent à ces histoires vraies des épisodes de la vie de Tawfik et de sa famille, tout autant marquées par la violence ordinaire et extra-ordinaire. Celle qui nous est transmise depuis la nuit des temps par la malveillance humaine.
À d’autres reprises, les performeur∙es se draperont dans des tapis et des matelas de styromousse pour tenter de se protéger en cocon devant ces hommes qui sont et resteront des loups pour l’humanité. D’immunité il n’y a pas face aux inéluctables souffrances infligées par d’autres, surtout le patriarcat et le pouvoir, souvent indissociables. La dramaturgie fait valser le public entre ces divers états qui évitent le pathos et s’incarnent parfois dans des adresses directes au public.
Au beau milieu de la (re)présentation, cependant, les deux complices de scène se la jouent discothèque baladi dans le cadre d’une séquence sympathique qui permet de souffler un peu. La scénographie cherche d’ailleurs l’épurement et une certaine légèreté malgré les horreurs racontées. Également musicien, Moumneh joue du buzuk dans d’autres scènes, d’abord à l’archet pour en sortir des sons stridents et désagréables, puis en pinçant les cordes dans un style plus traditionnel. Tawfik, de son côté, se sert d’un langage des signes inventé qu’on ose croire universel.
Comme elle et toutes les femmes mentionnées, l’humanité survivra, semble dire la metteuse en scène, elle-même battante. La voix de sa mère prenant des nouvelles de sa trop occupée fille artiste se fait entendre à quelques reprises sur la bande-son. Pour « savoir comment elle va », dit-elle d’un ton parfois las, parfois ironique. Durant cette proposition démultipliée, il sera aussi question d’une tante disparue mystérieusement et d’un ami, Rafael, artiste dépressif qui a survécu en abandonnant sa pratique artistique. Famille, proches, amis, mythiques ou réels, seront toujours là pour partager les joies et réconforter les peines.
How to Save a Dear Friend… porte un message fort de survivance et de résistance. Les mutilations physiques et mentales imposées par des actes délétères et immémoriaux continueront sans doute, comme le démontre l’histoire humaine. Quoique l’on n’en sort jamais totalement indemne, des lueurs d’espoir subsistent, allumées par Tawfik et Moumneh, çà et là. Comme Isis avec son amoureux, le duo travaille ici à recoudre le monde, un morceau à la fois.
Coup sur coup, avec Autobiographie du rouge de Gabriel Charlebois-Plante et How to Save a Dear Friend : formules pour sortir au jour, Espace GO s’installe dans le groupe de tête de ceux et celles qui osent l’audace en scène. Dans notre contexte postpandémique et de crise financière, ces avancées interartistiques innovantes prennent une importance grandissante dont il faudra continuer de s’inspirer.
How to Save a Dear Friend : formules pour sortir au jour
Texte et mise en scène : Mireille Selwanes Tawfik. Dramaturgie : Yohayna Hernández. Collaboration au mouvement : Émile Pineault. Assistance à la mise en scène et régie : Marguerite Hudon. Scénographie et costumes : Pénélope Dulude-De Broin. Assistance à la scénographie et aux costumes : Juliette Papineau-Holdrinet. Éclairages : Catherine Fée-Pigeon. Musique : Radwan Ghazi Moumneh. Sonorisation : Jean Gaudreau. Doublure de répétitions : Lula Brouillette-Lucien. Conseil en magie : Marc-André Brûlé. Création filmique : Charles-André Coderre. Dialogue artistique et chorégraphie de la séance des mains. Fabien Piché. Régie : Marie-Frédérique Gravel. Direction de production : Roxane Gallant. Direction technique : Nicolas Jalbert. Assistance à la direction technique : Justin Lalande. Peinture scénique : Fanny Bélanger-Poulin. Direction de production et de la création (Go) : Suzanne Crocker. Direction technique (Go) : Cello Ponce. Une production de Face de Râ en collaboration avec Espace Go, présentée à Espace Go du 30 octobre au 8 novembre 2025.