Trente ans après le dernier référendum sur la souveraineté du Québec, Un nouveau jour, du Théâtre la Bordée, amène le public dans un futur hypothétique, alors que la population a répondu « oui » à 52% à la question de l’indépendance. La table est mise pour un buffet identitaire à haute teneur en humour, en paradoxes et en références.
Le huis clos, signé par le dramaturge et romancier Jean-Philippe Baril Guérard (Haute démolition, Manuel de la vie sauvage), se déroule dans une salle de conférence cossue, pendant la dernière ligne droite d’un caucus créatif pour le grand spectacle qui célébrera la création du pays. Quatre personnages aux antipodes y sont rassemblés : une populaire animatrice télé (Sophie Dion), un documentariste pure laine (Réjean Vallée), une universitaire qui a fui l’Ontario (Danielle Le Saux-Farmer) et un jeune publicitaire (Juan Arango).
Nécessairement, l’exercice soulève des questions de valeurs, de visions et d’egos. Qu’est-ce qui caractérise le peuple québécois ? Comment trouver des images, des symboles, des idées qui transcendent les clichés ? Malgré des jours de discussion, la sauce ne prend pas.
Attaques de front
La première moitié de la pièce se déroule dans la confrontation, les pointes, les culs-de-sac et les grands cris. Habilement, Baril Guérard révèle au public toutes les infos qu’il lui faut pour comprendre les forces et les failles des personnages. Le racisme, le côté quétaine, la mollesse des convictions, le malaise mercantile, le colonialisme : l’auteur passe tout au crible. Il place ses pions pour la suite, lorsque leurs défenses céderont devant le trio étoile identitaire « hockey, poutine, Céline » et que le calme reviendra, le temps de se délecter d’un repas cuisse ou poitrine.
L’auteur a le talent de savoir faire monter la tension pendant qu’il trempe les répliques dans un humour mordant, le tout généreusement saupoudré de références bien placées. De Bourdieu à Fouki, intellectuels et amateurs de culture sont servis. Le jeune publicitaire est le porte-étendard de l’implacable capitalisme sauvage auquel carburent tous les écrits de Baril Guérard. L’interprétation de Juan Arango est impeccable : il séduit, choque, convainc, récolte les fruits d’un système dont il a compris tous les rouages. Nos marqueurs identitaires — souvent des emprunts à d’autres cultures — sont-ils monétisables ? Le pays nouveau devrait-il embrasser le grand dieu du marketing ? Pourquoi pas, puisque tout est possible.
Jeu d’adresse
Pour livrer cette partition de choix, les interprètes rivalisent d’adresse. On ne perd aucune de leurs pointes et parades. On voit clairement ce qui les rend vulnérables, contradictoires, avides et, donc, plus humains. Seul bémol, ils tombent parfois un peu trop facilement dans la colère brute, alors que d’autres nuances de jeu les auraient mieux servis.
On savoure les interventions aussi pointues qu’attendrissantes de Danielle Le Saux-Farmer, qui endosse un accent franco-ontarien exacerbé. Sophie Dion est pleinement crédible en femme de tête aux tournures de phrases très RH, doublée d’une vedette proche des gens ordinaires. Le personnage de Réjean Vallée offre un peu moins de prises : frustré, amer, toujours en opposition, il ne prend son pied que lorsqu’il accepte de balayer ses idéaux.
Instigateur du projet théâtral, en tant que directeur de La Bordée, Michel Nadeau signe une mise en scène centrée sur la direction d’acteurs. C’est judicieux : ajouter des couches de langages scéniques aurait facilement fait basculer la pièce dans la cacophonie. On note les matières nobles d’un décor qui évoque un haut lieu ministériel, une tour d’ivoire bien loin du vrai monde. Détail intéressant : la toile Le masque, de Serge Lemoyne, semble observer le caucus.
La représentation se conclut sur un crescendo savoureux, sucré à souhait, avec une petite touche d’amertume. Aussi graisseuse et lourde est-elle, la poutine identitaire rassemble et apporte un certain réconfort.
Texte : Jean-Philippe Baril Guérard. Mise en scène : Michel Nadeau, assisté de Thomas Royer. Décor et accessoires : Coralie Dansereau. Costumes et coiffures : Églantine Mailly. Bande-son : Yves Dubois. Éclairage : Denis Guérette. Avec Juan Arango, Sophie Dion, Danielle Le Saux-Farmer, Réjean Vallée. Une production du théâtre La Bordée présentée jusqu’au 22 novembre 2025.
Trente ans après le dernier référendum sur la souveraineté du Québec, Un nouveau jour, du Théâtre la Bordée, amène le public dans un futur hypothétique, alors que la population a répondu « oui » à 52% à la question de l’indépendance. La table est mise pour un buffet identitaire à haute teneur en humour, en paradoxes et en références.
Le huis clos, signé par le dramaturge et romancier Jean-Philippe Baril Guérard (Haute démolition, Manuel de la vie sauvage), se déroule dans une salle de conférence cossue, pendant la dernière ligne droite d’un caucus créatif pour le grand spectacle qui célébrera la création du pays. Quatre personnages aux antipodes y sont rassemblés : une populaire animatrice télé (Sophie Dion), un documentariste pure laine (Réjean Vallée), une universitaire qui a fui l’Ontario (Danielle Le Saux-Farmer) et un jeune publicitaire (Juan Arango).
Nécessairement, l’exercice soulève des questions de valeurs, de visions et d’egos. Qu’est-ce qui caractérise le peuple québécois ? Comment trouver des images, des symboles, des idées qui transcendent les clichés ? Malgré des jours de discussion, la sauce ne prend pas.
Attaques de front
La première moitié de la pièce se déroule dans la confrontation, les pointes, les culs-de-sac et les grands cris. Habilement, Baril Guérard révèle au public toutes les infos qu’il lui faut pour comprendre les forces et les failles des personnages. Le racisme, le côté quétaine, la mollesse des convictions, le malaise mercantile, le colonialisme : l’auteur passe tout au crible. Il place ses pions pour la suite, lorsque leurs défenses céderont devant le trio étoile identitaire « hockey, poutine, Céline » et que le calme reviendra, le temps de se délecter d’un repas cuisse ou poitrine.
L’auteur a le talent de savoir faire monter la tension pendant qu’il trempe les répliques dans un humour mordant, le tout généreusement saupoudré de références bien placées. De Bourdieu à Fouki, intellectuels et amateurs de culture sont servis. Le jeune publicitaire est le porte-étendard de l’implacable capitalisme sauvage auquel carburent tous les écrits de Baril Guérard. L’interprétation de Juan Arango est impeccable : il séduit, choque, convainc, récolte les fruits d’un système dont il a compris tous les rouages. Nos marqueurs identitaires — souvent des emprunts à d’autres cultures — sont-ils monétisables ? Le pays nouveau devrait-il embrasser le grand dieu du marketing ? Pourquoi pas, puisque tout est possible.
Jeu d’adresse
Pour livrer cette partition de choix, les interprètes rivalisent d’adresse. On ne perd aucune de leurs pointes et parades. On voit clairement ce qui les rend vulnérables, contradictoires, avides et, donc, plus humains. Seul bémol, ils tombent parfois un peu trop facilement dans la colère brute, alors que d’autres nuances de jeu les auraient mieux servis.
On savoure les interventions aussi pointues qu’attendrissantes de Danielle Le Saux-Farmer, qui endosse un accent franco-ontarien exacerbé. Sophie Dion est pleinement crédible en femme de tête aux tournures de phrases très RH, doublée d’une vedette proche des gens ordinaires. Le personnage de Réjean Vallée offre un peu moins de prises : frustré, amer, toujours en opposition, il ne prend son pied que lorsqu’il accepte de balayer ses idéaux.
Instigateur du projet théâtral, en tant que directeur de La Bordée, Michel Nadeau signe une mise en scène centrée sur la direction d’acteurs. C’est judicieux : ajouter des couches de langages scéniques aurait facilement fait basculer la pièce dans la cacophonie. On note les matières nobles d’un décor qui évoque un haut lieu ministériel, une tour d’ivoire bien loin du vrai monde. Détail intéressant : la toile Le masque, de Serge Lemoyne, semble observer le caucus.
La représentation se conclut sur un crescendo savoureux, sucré à souhait, avec une petite touche d’amertume. Aussi graisseuse et lourde est-elle, la poutine identitaire rassemble et apporte un certain réconfort.
Un nouveau jour
Texte : Jean-Philippe Baril Guérard. Mise en scène : Michel Nadeau, assisté de Thomas Royer. Décor et accessoires : Coralie Dansereau. Costumes et coiffures : Églantine Mailly. Bande-son : Yves Dubois. Éclairage : Denis Guérette. Avec Juan Arango, Sophie Dion, Danielle Le Saux-Farmer, Réjean Vallée. Une production du théâtre La Bordée présentée jusqu’au 22 novembre 2025.