Critiques

Candide : Voltaire sur le 200 volts

© Victor Diaz Lamich

Adapter ce conte philosophique écrit au siècle des Lumières n’était pas, a priori, une mince affaire, tant les péripéties et les rebondissements y sont foisonnants. Mais alors que ce projet est imaginé et mis en scène par Hugo Bélanger, directeur artistique du Théâtre Tout à Trac, tout devient possible. 

Suivre Candide, le naïf anti-héros, aux quatre coins du monde, dans une aventure hautement rocambolesque, comporte de sérieux défis. Traverser les océans, parcourir de nombreux territoires, découvrir d’improbables univers ; l’œuvre de Voltaire ne manque pas d’imagination. Et c’est là que les outils de prédilection de Tout à Trac deviennent essentiels. Art de la marionnette, théâtre d’ombres, comédie musicale, jeu masqué et choral : l’arsenal au complet est mis à contribution pour créer cette fresque délirante.

Tel un castelet démesuré, le décor est composé d’une immense plateforme déposée au centre de la scène et surplombée d’une arche dont les symboles et les hiéroglyphes font figure de marqueurs de temps. De judicieuses trappes permettent de subtiles et furtives apparitions. De larges pans en toile complètent le cadre, servant tour à tour de rideaux de scène ou de voiles qui, agrémentées de vagues amovibles, permettent de naviguer d’un continent à un autre.

Distribution survoltée

Pour incarner les principaux personnages – Candide, le docteur Pangloss, Cunégonde, son frère, Jacqueline, Cacambo, la Vieille, Martin, ainsi que les innombrables autre rôles -, Hugo Bélanger a fait appel à des artistes versatiles au jeu physique inné. Car l’empreinte assumée de la commedia dell’arte et ses fréquentes bastonnades ainsi que les changements de personnages frénétiques ne manquent pas dans ce spectacle.

Tommy Joubert dans le rôle du frère de Cunégonde, devenu Jésuite au Paraguay, nous offre des moments désopilants tant par ses prestations chantées que par ses efficaces digressions. Carl Béchard, quant à lui, sait faire vibrer un Pangloss aux envolées lyriques aussi futiles que jouissives. La délicieuse et généreuse Cunégonde n’aurait pu trouver meilleure interprète que Marilou Leblanc pour ensorceler le jeune Candide. Ce dernier, joué par Gabriel Favreau, personnifie avec justesse la pensée de l’auteur. Son jeu tout en finesse livre avec justesse la candeur du personnage face aux injustices, à la barbarie et aux invraisemblances auxquelles il est confronté.

La mise en scène inventive et énergique d’Hugo Bélanger donne à ce spectacle un rythme soutenu qui évite les temps morts (hormis une finale qui aurait sûrement pu être écourtée) grâce à la pertinente suppression de chapitres tout en nous proposant moult surprises scéniques et d’efficaces apartés. Voltaire aurait sûrement apprécié cette lecture originale de son roman. Il aurait salué qu’on en conserve l’esprit satirique face à la plus grande guerre que connaissait l’Europe à cette époque. Mais il aurait été, en revanche, effaré de constater que la perspicacité de sa fable soit encore si pertinente trois siècles plus tard…

© Victor Diaz Lamich

Candide

D’après l’œuvre de Voltaire. Adaptation et mise en scène : Hugo Bélanger. Assistance à la mise en scène et régie : Alexandra Sutto. Scénographie : Jonas Veroff Bouchard. Costumes : Jessica Poirier-Chang. Lumières : Leticia Hamaoui. Musique originale et environnement sonore : Sébastien Watty-Langlois. Accessoires : Alain Jenkins. Conception des maquillages et coiffures : Véronique St-Germain. Assistance aux costumes : Pascale Bassani. Avec : Carl Béchard, Éloi Cousineau, Florence Deschênes, Gabriel Favreau, Tommy Joubert, Marilou Leblanc, Phara Thibault et Marie-Ève Trudel. Une création du Théâtre Tout à Trac en collaboration avec le Théâtre Denise-Pelletier, présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 6 décembre 2025.