Et si l’on procrastinait aussi dans notre relation aux morts et dans notre gestion du deuil ? Et si l’on retardait sans cesse le moment de disperser les cendres ? Et si l’on ne savait plus comment faire rituel ou que l’on n’osait pas aborder cette étape ? Étape libératrice tout autant que douloureuse, car obligeant à replonger dans la perte, à buter sur l’absence. Comment gérer cela lorsqu’on est un frère et une sœur confrontés au décès d’une mère ? Qu’est-ce que ce moment révèle de notre rapport à la famille, à nos racines, à nos émotions, à notre conception de la vie ?
Voici quelques thèmes du spectacle Des hamsters dans le frigo, un spectacle entre chronique familiale et conte, croisant humour et réflexions métaphysiques sur fond de complicité familiale et de nœuds jamais vraiment exprimés, qui prend pour prétexte le départ en voiture de Montréal vers le chalet pour aller y disperser les cendres maternelles. Le voyage va s’avérer bien sûr plus complexe que prévu mais, à la manière d’un conte, va devenir étape initiatique et lieu de connaissance de soi, premiers pas vers la pacification avec son histoire.
Emmanuel et Mathilde Eustache, qui signent le texte, sont partis de leur souvenirs d’enfance, notamment de l’anecdote de hamsters conservés après leur décès dans le congélateur, afin de pouvoir réaliser une cérémonie quand les enfants (alors de cinq et huit ans) seraient prêts. Et 15 ans plus tard, à la mort de leur père, les cendres de ce dernier sont restées plus de cinq ans à divers endroits de la maison avant qu’une dispersion et un hommage soit organisés. L’écriture a aussi été nourrie de lectures sur les inhumations différées (notamment pour cause d’hiver) et ce qu’elles provoquent sur les proches.
Ces thèmes se retrouvent dans leur texte, mais c’est la mère qui est ici la disparue, une mère artiste d’origine haïtienne, dont on suit le portrait par bribes et dont on entend parfois la voix lors d’une recette de cuisine ou de l’audition de ses dernières volontés (qu’elle avait rédigé des années auparavant, une semaine après la naissance de son premier enfant). Le spectacle commence avec l’arrivée d’une marionnette à tige, en larmes, lors de l’inhumation du hamster familial (conservé quelques temps dans le frigo). Alors qu’Ana console sa fille Jenny et que la tristesse est finalement vite oubliée, Ana se dit qu’il est temps d’aller disperser les cendres de sa propre mère. Elle appelle son frère et les voilà partis.
Un réalisme magique
Le dispositif joue à la fois de réalisme et d’une symbolique liée au conte, à l’enfance : on y retrouve aussi bien des sièges et banquettes de voiture ou une glacière que des arbres, de la végétation, des souches autour d’une clairière centrale, fermée par une toile qui recevra des jeux d’ombres, notamment celle d’une marionnette-animal étrange constituée d’une tête à panache et d’un arrière-train qui évoque celui d’un lapin, un Jackalope.
À cour, un musicien a déployé tout son kit d’instruments et va accompagner l’action d’ambiances très variées (pop, onirique, ou soutenant des chansons que reprennent les personnages) et appuyer les bascules dans le fantastique. Car, sans cesse, le propos joue avec le fantastique, les rêves, et le texte tisse serré la situation réaliste en train de se jouer avec une trame fantastique dans laquelle un animal comme le Jackalope peut être réellement heurté par une voiture. Pour exprimer cette ligne fluctuante (de plus en plus serrée au fil du texte), la mise en scène de Laura Amar regorge de trouvailles et fait le pari de conventions qui se construisent et se déconstruisent à vue. Ainsi, les sièges de la voiture sont à distance mais les deux personnages qui y sont assis se parlent et jouent comme s’ils étaient côte à côte. Ces incursions dans le fantastique sont une des forces du spectacle, une particularité d’approche salutaire, comme le recours à l’humour.
Au fil de la représentation, des enjeux relationnels se font jour entre le frère (assez bohème, décidé à ne rien attendre pour n’être déçu par rien) et la sœur trop sérieuse (mais qui a dû très jeune gérer la famille, mère comprise, et qui a voulu avoir un enfant tôt pour donner à ce dernier le temps d’avoir une mère). Les interprètes tissent bien cette complicité faite d’affection, de brusquerie et de distance. Au fur et à mesure de leurs échanges, nous allons comprendre pourquoi Ana semble si éloignée de ses émotions et un peu raide. Car s’il s’agit d’aborder et de créer finalement son rituel d’au revoir – Ana, réalise qu’au fond, la cérémonie n’est pas tant faite pour les mort·es que pour les endeuillé·es. La pièce aborde aussi la question plus large de l’accès aux émotions, de ce qui forge nos identités, à partir d’un même creuset familial. Bien sûr la cérémonie ne se déroulera pas comme prévue – et c’est rien de le dire !
Texte : Emmanuel et Mathilde Eustache. Mise en scène : Laura Amar. Assistance à la mise en scène : Pascale Chiasson. Scénographie : Youri White (avec le mentorat de Vano Hotton). Costumes : Marie-Pascale Chevarie. Éclairage : Charline Roux. Musique et son : Emmanuel Eustache et Pascal Laroche Picher. Avec Mathilde Eustache, Constance Gosselin, Jonathan Daniel et Pascal Laroche Picher (musicien). Une production de Premier Acte et de Mathilde Eustache, présentée à Premier Acte du 18 novembre au 6 décembre 2025.
Et si l’on procrastinait aussi dans notre relation aux morts et dans notre gestion du deuil ? Et si l’on retardait sans cesse le moment de disperser les cendres ? Et si l’on ne savait plus comment faire rituel ou que l’on n’osait pas aborder cette étape ? Étape libératrice tout autant que douloureuse, car obligeant à replonger dans la perte, à buter sur l’absence. Comment gérer cela lorsqu’on est un frère et une sœur confrontés au décès d’une mère ? Qu’est-ce que ce moment révèle de notre rapport à la famille, à nos racines, à nos émotions, à notre conception de la vie ?
Voici quelques thèmes du spectacle Des hamsters dans le frigo, un spectacle entre chronique familiale et conte, croisant humour et réflexions métaphysiques sur fond de complicité familiale et de nœuds jamais vraiment exprimés, qui prend pour prétexte le départ en voiture de Montréal vers le chalet pour aller y disperser les cendres maternelles. Le voyage va s’avérer bien sûr plus complexe que prévu mais, à la manière d’un conte, va devenir étape initiatique et lieu de connaissance de soi, premiers pas vers la pacification avec son histoire.
Emmanuel et Mathilde Eustache, qui signent le texte, sont partis de leur souvenirs d’enfance, notamment de l’anecdote de hamsters conservés après leur décès dans le congélateur, afin de pouvoir réaliser une cérémonie quand les enfants (alors de cinq et huit ans) seraient prêts. Et 15 ans plus tard, à la mort de leur père, les cendres de ce dernier sont restées plus de cinq ans à divers endroits de la maison avant qu’une dispersion et un hommage soit organisés. L’écriture a aussi été nourrie de lectures sur les inhumations différées (notamment pour cause d’hiver) et ce qu’elles provoquent sur les proches.
Ces thèmes se retrouvent dans leur texte, mais c’est la mère qui est ici la disparue, une mère artiste d’origine haïtienne, dont on suit le portrait par bribes et dont on entend parfois la voix lors d’une recette de cuisine ou de l’audition de ses dernières volontés (qu’elle avait rédigé des années auparavant, une semaine après la naissance de son premier enfant). Le spectacle commence avec l’arrivée d’une marionnette à tige, en larmes, lors de l’inhumation du hamster familial (conservé quelques temps dans le frigo). Alors qu’Ana console sa fille Jenny et que la tristesse est finalement vite oubliée, Ana se dit qu’il est temps d’aller disperser les cendres de sa propre mère. Elle appelle son frère et les voilà partis.
Un réalisme magique
Le dispositif joue à la fois de réalisme et d’une symbolique liée au conte, à l’enfance : on y retrouve aussi bien des sièges et banquettes de voiture ou une glacière que des arbres, de la végétation, des souches autour d’une clairière centrale, fermée par une toile qui recevra des jeux d’ombres, notamment celle d’une marionnette-animal étrange constituée d’une tête à panache et d’un arrière-train qui évoque celui d’un lapin, un Jackalope.
À cour, un musicien a déployé tout son kit d’instruments et va accompagner l’action d’ambiances très variées (pop, onirique, ou soutenant des chansons que reprennent les personnages) et appuyer les bascules dans le fantastique. Car, sans cesse, le propos joue avec le fantastique, les rêves, et le texte tisse serré la situation réaliste en train de se jouer avec une trame fantastique dans laquelle un animal comme le Jackalope peut être réellement heurté par une voiture. Pour exprimer cette ligne fluctuante (de plus en plus serrée au fil du texte), la mise en scène de Laura Amar regorge de trouvailles et fait le pari de conventions qui se construisent et se déconstruisent à vue. Ainsi, les sièges de la voiture sont à distance mais les deux personnages qui y sont assis se parlent et jouent comme s’ils étaient côte à côte. Ces incursions dans le fantastique sont une des forces du spectacle, une particularité d’approche salutaire, comme le recours à l’humour.
Au fil de la représentation, des enjeux relationnels se font jour entre le frère (assez bohème, décidé à ne rien attendre pour n’être déçu par rien) et la sœur trop sérieuse (mais qui a dû très jeune gérer la famille, mère comprise, et qui a voulu avoir un enfant tôt pour donner à ce dernier le temps d’avoir une mère). Les interprètes tissent bien cette complicité faite d’affection, de brusquerie et de distance. Au fur et à mesure de leurs échanges, nous allons comprendre pourquoi Ana semble si éloignée de ses émotions et un peu raide. Car s’il s’agit d’aborder et de créer finalement son rituel d’au revoir – Ana, réalise qu’au fond, la cérémonie n’est pas tant faite pour les mort·es que pour les endeuillé·es. La pièce aborde aussi la question plus large de l’accès aux émotions, de ce qui forge nos identités, à partir d’un même creuset familial. Bien sûr la cérémonie ne se déroulera pas comme prévue – et c’est rien de le dire !
Des hamster dans le frigo
Texte : Emmanuel et Mathilde Eustache. Mise en scène : Laura Amar. Assistance à la mise en scène : Pascale Chiasson. Scénographie : Youri White (avec le mentorat de Vano Hotton). Costumes : Marie-Pascale Chevarie. Éclairage : Charline Roux. Musique et son : Emmanuel Eustache et Pascal Laroche Picher. Avec Mathilde Eustache, Constance Gosselin, Jonathan Daniel et Pascal Laroche Picher (musicien). Une production de Premier Acte et de Mathilde Eustache, présentée à Premier Acte du 18 novembre au 6 décembre 2025.